Le terrible principe de réalité

par C’est Nabum
jeudi 23 février 2012

Le stage en entreprise.

Ils sont jeunes, très jeunes même, ont encore les préoccupations de leurs camarades qui ne seront confrontés au monde du travail que dans quelques années. Eux, l'école ne leur sourit pas, ils sont catalogués comme étant des élèves en difficulté et constitueront la grande cohorte de ceux qui sortiront vraisemblablement du système éducatif sans diplôme.

Ils sont fâchés avec la lecture ou l'écriture, ne connaissent pas bien leurs tables, ne savent pas vraiment calculer, ont bien du mal à donner du sens à l'écrit et aux problèmes de la vie quotidienne. Ils ont d'autres talents mais certainement pas des capacités scolaires. Pourtant, ils doivent trouver un stage pour remplir aux obligations de leur modeste diplôme : le C.F.G., ersatz du certificat de fin d'études d'alors.

L'an prochain, beaucoup espèrent trouver un apprentissage. Le petit pécule qui est associé à cette option est un phare dans la grisaille de leur quotidien. Ils vivent cette perspective comme la fin de leur calvaire scolaire sans penser qu'il faudra encore travailler un peu pour obtenir le C.A.P., diplôme en voie de disparition mais qui est le seul qu'ils puissent espérer.

Ils pensent qu'il suffit de claquer des doigts, de dire : « Je veux un apprentissage » pour trouver ce précieux sésame vers le monde du travail. Pourtant, nous les mettons en garde, les avertissons que là encore plus que partout ailleurs, c'est le piston, les relations, l'entregent qui priment et sont bien seuls pour réussir cette épreuve.

L'expérience ne sert jamais aux autres, ils doivent se casser le nez pour comprendre que la loi de la jungle prime à toute autre réalité dans le monde du travail. Le stage devrait leur permettre d'accéder à ce terrible constat. Ils sont en troisième, dans l'année de leurs seize ans. Ils pensent que tout sera facile.

Il y a d'abord la difficulté des déplacements. Un stage, ça ne se trouve pas en centre ville ou dans leur quartier. Il faut bouger, se déplacer, oser des endroits pour eux, inconnus. Il y a aussi la nécessité de joindre le responsable, de comprendre que les horaires d'un travailleur ne sont pas ceux d'un collégien. Il faut se déplacer parce que le téléphone ne sera jamais l'instrument de la prise de contact, quoi qu'ils en pensent. Et puis, il est préférable d'être accompagné de ses parents, et ça, beaucoup ne le comprennent pas ou ne peuvent obtenir cette faveur de géniteurs débordés ou dévalorisés.

Puis il y a la réalité d'une société vermoulue par les tentations racistes. Certains se voient systématiquement refuser le stage sans comprendre pourquoi. La tenue déjà, l'absence des parents ensuite, le quartier d'habitation parfois, la couleur de peau encore mais il ne faut pas le dire. Comment l'admettre ? Comme les préparer à ce constat qui mine notre nation ?

Il faut encore supporter la concurrence, les stages des élèves plus grands et toujours plus nombreux, les séjours en entreprise de leurs camarades de troisième générale pour observer simplement et qui inondent la ville avec tous leurs réseaux plus élaborés. Il faut avouer son faible niveau scolaire, sa provenance qui est stigmatisante, ce n'est pas facile, c'est douloureux.

Quand ils ont franchi tous les obstacles, quand ils ont enfin trouvé un stage, il reste à tenir deux ou trois semaines, à respecter les horaires, à venir quel que soit le temps. (Tiens, tiens, au travail, la neige n'est pas une excuse pour ne pas aller travailler, pourtant nos préfets nous ont habitués à croire cela !) Les copains restent au collège, ils ont des horaires ordinaires, c'est le début des problèmes.

Certains ne tiennent pas, ils fuient cette réalité, se trouvent des prétextes, de bonnes excuses, des raisons de ne pas y aller. Des parents soutiennent ces enfants qui se voilent les yeux. Nous laissons sur le carreau un jeune sur sept environ. Ils sont incapables d'accepter les contraintes, les tâches demandées, les obligations. Ils s'inventent des prétextes et demain, ils resteront sur le carreau persuadés que ce ne sera que de notre faute. Comment les remettre dans le droit chemin si la famille ne joue pas le jeu ?

Nous sommes désarmés. Nous avons bien du mal avec ce système qui nous échappe totalement. De la recherche du stage à son choix, du premier contact à la signature de la convention, du départ du stage à son terme, les élèves sont bien seuls et bien démunis pour comprendre et réaliser les enjeux. Pourtant, une grande partie de leur devenir se joue à ce moment-là. Ceux qui s'arrangent pour échapper à cette obligation auront bien du mal par la suite, rares sont ceux qui éviteront alors à une très grande instabilité professionnelle, voire à une relégation totale. Terrible prédestination qui débute parfois dès quinze ans.

Stagiairement vôtre


Lire l'article complet, et les commentaires