Le travail de l’ombre de Claude Guéant en Libye (4)
par morice
vendredi 20 avril 2012
Une fois les fils approchés, et les proches conseillers joints, on pouvait espérer un jour rencontrer le dictateur en personne, pour placer les plus grosses camelotes. Les Rafale, bien sûr et ce fameux réacteur nucléaire pour alimenter une usine de dessalinaisation de l'eau de mer que Nicolas Sarkozy a complètement effacé depuis de sa mémoire. Mais après la fête du quarantième anniversaire, et malgré la venue du dictateur à Paris, on s'aperçoit que tout cela n'est que promesses. Kadhafi en venant fouler le tapis rouge de l'Elysée a réussi son coup : il est redevenu fréquentable, et c'est tout ce qu'il voulait. En Libye on se bouscule pour venir lui vendre tout ce dont il a besoin. Il a même déjà des fournisseurs attitrés (des canadiens, comme nous le verrons bientôt). Alors les contrats signés en France, il en rediscute les termes ou s'assoit dessus, et prive ainsi Sarkozy et Guéant de reversements de bakchichs que Kadhafi n'a cessé de renégocier. Un autre scénario est alors élaboré : se passer de lui, mais pas de sa fortune, gérée depuis quelques années par un seul personnage que les français vont très vite choyer dès que les relations avec Kadhafi vont s'envenimer. Ce proche conseiller du dictateur, habile négociateur embarrassé par une question juridique en France, va réussir à se faire extraire du pays, une fois Kadhafi supprimé, et rejoindre la France, lesté des 5 milliards d'euros dont il détient les clès. La ponction habituelle peut reprendre... après une longue entrevue en tête à tête le 2 juillet 2011, à l'Elysée, entre Bechir Saleh Béchir, le grand argentier de Kadhafi, et Nicolas Sarkozy en personne.
En dehors de la focalisation excessive sur Djouhri, ce qu'il y a surtout d'étrange, à ce moment là, c'est que Guéant n'a pas de spécificité ministérielle à s'occuper de ventes d'armes, il n'est ni ministre des armées ni des affaires étrangères, C'est donc un Sarkozy bis qui entre avec lui dans l'arène des ventes. Guéant, pas encore ministre (il ne l'est devenu que le 27 février 2011), était donc devenu marchand d'armes bien avant sa nomination. Mais on comprend beaucoup mieux la propension de Claude Guéant à s'imiscer dans les coups tortueux à regarder son cursus. Guéant à aussi fait une partie de sa carrière dans les services secrets, d'une certaine manière ! "Comme DGPN, il a aussi chapeauté la Direction de la surveillance du territoire (DST) et appris à connaître le chef des renseignements militaires syrien, Assaf Shawkat, beau-frère du président Bachar Al-Assad, ainsi que le patron des services secrets libyens, Moussa Koussa, un proche du colonel Kadhafi. Bientôt, ces contacts lui serviront auprès de Nicolas Sarkozy" nous rappelle la presse. DGPN, à savoir "directeur général de la police nationale", poste détenu aujourd'hui par un autre sarkozien en diable : Frédéric Péchenard.
Amesys n'a pas vendu au dictateur que des ordinateurs. Elle lui a fourni aussi un 4x4 à un tarif lui aussi mirobolant : "Avec l'accord de l'Élysée, une société française filiale de Bull sous le nom d’Amesys a livré un 4x4 furtif ultra-sécurisé au régime libyen dans le but de protéger le colonel Mouammar Kadhafi pendant ses déplacements. La vente du 4x4 a profité de l’appui de Nicolas Sarkozy et de Claude Guéant, vient citer aussi l’homme d’affaire franco-libanais Ziad Takieddine qui a été l’intermédiaire de cette vente.En 1994, Ziad a été considéré comme le principal intermédiaire pour la vente de sous-marins au Pakistan. Cet homme d’affaire a été mis en examen pour "complicité et recel d'abus de bien sociaux" et convoqué mercredi par le juge Renaud Van Ruymbeke. Selon le Mediapart, le véhicule qui a couté 4 millions d’euros est un 4x4 blindé ML de chez Mercedes équipé d’une d'une cage de Faraday et d'un dispositif électronique de brouillage pour empêcher toutes les fréquences radios dans un rayon de cent mètres autour du véhicule.
Selon le Quotidien d'Oran, c'est bien l'usage de son téléphone portable satellitaire qui a causé sa perte : "la NSA a fait de la veille durant des semaines. A la recherche d'un profil de diaphragme vocal connu. Celui de Kadhafi. Ce dernier n'a pas imaginé que sa voix serait identifiée parmi des dizaines de milliers d'autres à partir d'une base de données vocales enregistrées et fournies par l'opérateur dont le siège est basé aux Emirats arabes unis. Le numéro d'identification du terminal est alors connu et toutes les communications de Kadhafi passent sous le contrôle de la NSA. Ses appels téléphoniques deviennent des pointages de présence GPS. Il ne manque donc plus que l'ordre d'envoyer le drone pour suivre le leader lorsqu'il décide de bouger. La suite est contenue dans un article du « Canard enchaîné » : un colonel du Pentagone téléphone à l'un de ses correspondants au sein du service secret français. Chargé du dossier « Kadhafi » : le chef libyen est pris au piège dans un quartier de Syrte et il est désormais impossible de le « manquer ». C'est donc bien un renseignement technologique et non humain qui est à l'origine de cette élimination physique. Ironie du destin, le fils ainé de Kadhafi était membre du conseil d'administration de Thuraya, le réseau téléphonique le plus répandu dans la région. Il aurait mieux fait d'investir dans les technologies de piratage des drones". Obama avait autorisé les tirs à partir de drones Predator en Libye aux environs du 7 avril 2011, une décision révélée le 21 par CNN. Ce qui convenait à condamner Kadhafi : au Pakistan, les Predators en étaient à un total sidérant de responsables talibans ainis éliminés. On compte entre 1782 et 3093 victimes depuis le premier tir le 18 juin 2004. Le dernier en date du 29 mars a tué 4 talibans et en a blessé deux autres sur un marché de Miranshah, au North Waziristan.
Et en fait, le 2 juillet 2011, alors que la guerre libyenne faisait encore rage, ce sont aussi les journalistes qui révèlent les liaisons entre l'Elysée et le pouvoir libyen. C'est encore une fois le Figaro, qui, voulant bien faire, en dit beaucoup trop. Et mieux, il confirme un rendez-vous très précis entre Nicolas Sarkozy et Béchir Saleh Béchir, entretien qui se montrera surtout exceptionnel par sa durée. "Le colonel Bashir Saleh Bashir a été l'une de ces « clés », même s'il n'a pu ouvrir aucune porte. Début juin, ce très proche de Kadhafi a été reçu à l'Élysée par Nicolas Sarkozy. « La conversation a duré trois heures », assure-t-on à Tripoli. Personnage du premier cercle, francophone, Bashir Saleh semble avoir remplacé l'homme des contacts avec la France avant la crise, Moussa Koussa, l'ex-chef des services de renseignements devenu ministre des Affaires étrangères, aujourd'hui en rupture de ban. Transmis par son homme lige, le message du Guide tiendrait alors en peu de phrases : Tripoli serait prêt à des élections démocratiques à condition d'organiser la transition et que le colonel puisse garder un titre honorifique. En face, la ligne reste invariable : le dirigeant libyen doit quitter le pouvoir. « Nous passons ce message par tous les canaux possibles », indique-t-on dans l'entourage de Nicolas Sarkozy. Reste à savoir si, comme le laissait entrevoir récemment la rébellion, Kadhafi pourrait demeurer en Libye après s'être démis du pouvoir". Nicolas Sarkozy avait dès juillet 2011 déjà décidé d'abandonner Kadhafi, ce qui signifiait aussi d'abandonner les contrats mirobolants, car il venait de s'apercevoir que les promesses d'achats du colonel n'étaient que du pipeau. A-t-il à ce moment décidé de se débarrasser de l'encombrant dictateur, seul Saleh le sait. Mais l'entretien de trois heures de long a largement eu le temps d'établir à la fois un plan de sortie pour lui-même et un autre plus élaboré encore pour se débarrasser de l'encombrant dictateur : le sort de Kadhafi a très certainement été scellé ce jour là. Saleh était au courant, obligatoirement, de tous les déplacements du dictateur, et il savait où il se terrait. Lui venait ainsi de trahir son maître, ayant négocié son extraction une fois Kadhafi sorti du circuit (ou proprement éliminé !).
Un Béchir devenu pour beaucoup ces derniers mois le second personnage de la Libye : "lorsque l’émissaire russe pour la Libye Mikhaïl Margelov évoquait, il y a peu, l’existence de « contacts » entre des proches de Kaddafi et des insurgés à Paris et à Pretoria, c’est à lui qu’il pensait. Sa présence a en effet été signalée, il y a une dizaine de jours, dans la capitale française. Béchir Salah Béchir, 64 ans, directeur de cabinet du « Guide », a longtemps été négligé par les observateurs : personnalité affable et plutôt effacée, il ne pèse ni sur l’échiquier tribal ni au sein de l’appareil sécuritaire. Mais dans la Libye en guerre, alors que l’entourage fidèle au dictateur se réduit comme peau de chagrin, son ascension a été fulgurante. Au point de devenir aujourd’hui le vrai Premier ministre et le quasi-numéro deux du « Kaddafiland » assiégé" nous disait Jeune Afrique le 1er juillet 2011, confirmant par la même la venue en France de Saleh. On peut donc sans problème imaginer que l'homme qui détenait les cordons de la bourse de la fortune de Kadhafi a dû être mis au parfum, en 2007, lors de l'accord passé entre Kadhafi et Sarkozy pour le paiement d'une partie de sa campagne électorale, comme l'avait clamé avant sa chute le fils de Kadhafi. Au quel cas Saleh détiendrait peut-être des preuves de ces tractations (on parle d'enregistrements). D'où sa soudaine importance en France, et le fait aussi qu'on le ménage d'une certaine manière, où qu'on le maintienne dans un silence forcé. Le chef des renseignements libyens Abdballah Al Sénoussi l'aurait clairement laissé entendre dans une vidéo où il était interrogé par Moussa Ibrahim. Comme le dit Jeune Afrique : "Un homme qui vaut sept milliards de dollars [environ 5 milliards d’euros, NDLR] peut acheter beaucoup de protection ». C’est en ces termes qu’un cadre du Conseil national de transition libyen (CNT), cité par le Financial Times dans son édition du 9 avril, explique la complaisance des autorités françaises à l’égard de Béchir Salah Béchir"... tout est dit, là, je pense. C'est plus que ce que peux offrir Bettencourt...
L'autre personnage important des contacts des futurs dissidents du régime de Kadhafi est Moussa Koussa, qui lui aussi va trahir son mentor et aller se réfugier en Angleterre, mais ce n'est uniquement que pour ne pas monter ses liens étroits avec.. Claude Guéant, qui lui a facilité la chose. Encore lui, toujours le même à la manœuvre. Guéant, lors de ses nombreux voyages en Libye avait en effet rencontré à plusieurs reprises le cercle proche de Kadhafi, d'où émergent Béchir Saleh Béchir, mais aussi Moussa Koussa. "Au point que lorsque Moussa Koussa demande à bénéficier du statut de résident français, l'Elysée, via Claude Guéant, lui procure une adresse et une carte de résident pour dix ans (du 10 juin 2008 au 9 juin 2018, document délivré par la Préfecture de Nanterre)" Explique Marianne, qui poursuit : "le cabinet de Claude Guéant a refusé de confirmer cette information. Il semble que ce genre de privilège ne soit pas distribué à la légère : ainsi la demande de bénéficier du même genre de traitement par Bachir Saleh, directeur de cabinet du Guide, lui a été refusée". Refusée un temps, peut-on dire aujourd'hui : le temps, très certainement, d'en discuter le tarif exact, sans doute ; ou pour des raisons que je vous propose de voir un peu plus loin. Que ce soit pour Koussa ou pour Saleh, en tout cas, c'est bien le même homme qui se charge de leur sort : Claude Guéant, omniprésent bras droit du président.
Et dans toutes ces magouilles, qui conduisent à condamner Kadhafi en le séparant de ses plus proches conseillers, appelés à trahir en échange d'une protection française, il y en un qui se retrouve floué : c'est comme par hasard le même qui avait été roulé dans la farine lors de l'affaire Thévenot, sous Charles Pasqua. C'est en effet Juppé, mis à l'écart des négociations. Enfin pas tout à fait, puisque des "collaborateurs" de Juppé vont avouer qu'ils avaient bien entendu des émissaires de Kadhafi en train de trahir : "Évaluer la réalité de ces discussions demeure malaisé. « Kadhafi envoie des émissaires, il manipule, il entretient des contacts indirects », relève-t-on dans l'entourage d'Alain Juppé. « Il distille des messages, son entourage le fait aussi, parfois dans son dos », ajoute-t-on. Des initiatives destinées à accréditer l'idée qu'il est toujours aux commandes et qu'une solution passe forcément par lui, analyse-t-on à Paris. De fait, le dirigeant libyen a toujours été un négociateur hors pair, utilisant plusieurs canaux et surenchérissant au dernier moment. En outre, quand sa survie politique est en jeu, il est capable d'aller vite et loin, en Bédouin pragmatique. On l'a vu en 2003, lorsque, effrayé par l'invasion de l'Irak, il entame des négociations avec Londres et Washington". En fait de grand manipulateur, c'est Guéant, le double de Sarkozy qui se révèle être le maître ici. Sous ses allures de petit préfet anodin de province, on a affaire à un véritable Machiavel.
Mais depuis octobre 2010, Mesmari, visiblement, informe les français sur la situation en Libye, donnant très certainement de précieux renseignements sur les déplacements du dictateur, ses points de chute et ses habitudes. "Le 18 novembre, Maghreb Confidential écrivait, « Les allées et venues de Nouri Mesmari ont suscité beaucoup de curiosité ces dernières semaines. Le chef du protocole de Mouammar Kadhafi qui semblait être le frère siamois du dirigeant libyen, s’était rendu en France fin octobre, en passant par la Tunisie. Officiellement, Mesmari, qui souffre d’une maladie chronique, était venu à Paris pour subir une intervention chirurgicale. Sa femme et sa fille lui avaient en effet rendu visite et résider un temps à l’Hôtel Concorde Lafayette de Paris. Il a été perdu de vue depuis. Mesmari qui voudrait prendre sa retraite est l’un des plus proches confidents de Kadhafi et connaît parfaitement tous ses secrets. » On verra même un dernier visiteur à l'hôtel Concorde : Mouatassim Kadhafi en personne, venu lui aussi tenter de persuader Mesmari de rentrer. Le fils Kadhafi repartira au pays sans lui le 5 février. Le 5 décembre, Mousmari sera... libéré, par les français, une libération de façade : "relâché sur ordre de la cour d’appel de Versailles, qui juge sa détention « irrégulière » au regard des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme", ce qui fait sourire tout le monde dans le milieu judiciaire.
Or cette esclavagiste des temps modernes qui risquait alors sept années de prison pour maltraitance, âgée de 56 ans s'appelle justement... Kafa Kachour Bechir, déclarée "gérante en immobilier", en France, d'où la localisation de son procès. Et ce n'est autre que la femme de Béchir Saleh Béchir. Logique, alors d'avoir un procès... pipé : Claude Guéant avait là un moyen de pression idéal sur celui dont il était devenu le protecteur. Et effectivement, puisqu'au final, le 15 mars... les charges vont s'évanouir. Les sept ans disparaissant de l'accusation, après que le procureur eût requis (quand même) 2 ans de prison avec sursis, pour le principe, et 50 000 euros d'amende, qui ne pèseront rien dans l'escarcelle du couple, tant l'argent détourné en Libye est conséquent. Le jugement définitif sera rendu le 25 avril prochain, après le premier tour des élections. Mais avec cet épisode,
La France a eu une politique extérieure aventureuse en Libye à tous les niveaux, comme vient de le dénoncer Anne Lauvergeon, la dirigeante d'Areva opposée à la vente de centrale nucléaire à la Libye, celle que Sarkozy ne veut plus reconnaître. Dans son livre elle révèle que son seul correspondant gouvernemental sur le sujet s'appelait Claude Guéant, et personne d'autre. Anne Lauvergeon dit s'être opposée "vigoureusement" à la vente d'équipements nucléaires à la Libye. "Nous jouions à fronts renversés", explique-t-elle. "L'Etat, censé être plus responsable, soutenait cette folie. Imaginez, si on l'avait fait, de quoi nous aurions l'air maintenant !" "Pourtant, quelle insistance ! A l'été 2010, j'ai encore eu, à l'Elysée, une séance à ce sujet avec Claude Guéant et Henri Proglio", ajoute-t-elle, en citant les noms du secrétaire général de l'Elysée de l'époque et du PDG d'EDF, avec qui ses relations sont notoirement mauvaises" précise le journal divulguant ces révélations. Proglio, autre âme damnée, était donc partisan de fournir Kadhafi en nucléaire...
Au bilan final, Il y a donc bien un danger public en France, pour la République, et c'est bien... avant tout Claude Guéant.
PS : l'annonce le 8 avril de la CNT via Mohammed al-Allagui le ministre de la justice libyen, affirmant qu'elle ne remettrait pas Saif El Islam au TPI va dans le même sens de pressions exercées sur le gouvernement provisoire lybien. Celui qui a affirmé que son père avait payé la campagne politique de Nicolas Sarkozy en 2007 ne pourra jamais le dire devant un tribunal international. En Libye, c'est une peine de mort qui l'attend. Il est affligeant de constater que Mouammar et Mouatassim Kadhafi avaient été capturés vivants (on détient des vidéos le prouvant), et qu'ils ont été purement et simplement liquidés dans les minutes qui ont suivi. Afin de ne pas parler lors de leur procès. La suspicion est de règle en ce qui concerne les commanditaires exacts de ce qui sont bien des assassinats
(*) Kadhafi n'avait pas pu utiliser cette étrange Toyota Land Cruiser munie d'une HK21 entièrement rétractable et dirigée par caméra, retrouvée à Syrte par une équipe de la BBC. Les portes blidées possèdaient des ouvertures pour laisser passer des armes. Qui avait pu concevoir un tel engin et pour quel usage ?
(**) L'article du 26 octobre du Canard Enchaîné, en France, résume parfaitement ce que j'ai pu jusqu'ici expliquer de la disparition de Kadhafi,selon lui programmée par les USA et la France :
Obama et Sarkozy ne voulaient pas qu’il s’en sorte vivant. De crainte qu’il ne parle trop lors de son procès devant la Cour pénale internationale.
Mercredi, 19 octobre en fin d’après-midi, un colonel du Pentagone téléphone à l’un de ses correspondants au sein du service secret français. Chargé du dossier « Kadhafi », l’une des priorités actuelles des généraux de l’équipe Obama, l’Américain annonce que le chef libyen, suivi à la trace par des drones Predator US, est pris au piège dans un quartier de Syrte et qu’il est désormais impossible de le « manquer ». Puis il ajoute que laisser ce type en vie le transformerait en « véritable bombe atomique ». Son interlocuteur comprend ainsi que la maison Blanche a rendu son verdict, et qu’il faut éviter de fournir à Kadhafi la tribune internationale que représenterait son éventuel procès. Depuis quelques jours d’ailleurs, des commandos des forces spéciales américaines et françaises participaient ensemble à cette chasse au Kadhafi. À Paris, au Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), à la Direction du renseignement militaire (DRM) et au service action de la DGSE, plusieurs officiers évaluaient à une cinquantaine de membres du COS (Commandement des opérations spéciales) les militaires présents à Syrte. Leur mission : porter assistance aux unités du CNT qui investissaient la ville, quartier par quartier, et, selon le jargon maison utilisé par un officier du CPCO, « ´´traiter´´ le guide libyen et les membres de sa famille ». Une formule codée en cours à la DGSE : « livrer le colis à Renard », et agir en sorte que Kadhafi n’échappe pas à ses poursuivants (une unité du CNT baptisé « Renard ? ».
Hypocrisie internationale.
À l’Élysée, on savait depuis la mi-octobre que Kadhafi et l’un de ses fils s’étaient réfugiés à Syrte, avec gardes corps et mercenaires. Et Sarko avait chargé le général Benoit Puga, son chef d’état-major particulier, de superviser la chasse à l’ancien dictateur. Ce qu’il a fait en relation avec la « Cuve », le bunker souterrain où des officiers du CPCO sont en contact permanent avec tous les militaires engagés à l’étranger et les services barbouzards. À la DGSE comme à la DRM on ne se gêne pas d’ailleurs pour évoquer l’ « élimination physique »du chef libyen, à la différence des formules bien plus convenables employées par l’Élysée, s’il faut en croire un conseiller du Président. « La peine de mort n’était pas prévue dans les résolutions de l’ONU qui ont permis à l’OTAN d’intervenir, ironise un diplomate français. Mais il ne faut pas jouer les hypocrites. À plusieurs reprises, des avions français et britanniques avaient déjà tenté de liquider Kadhafi en bombardant certains de ses repaires, à Tripoli ou en détruisant notamment un de ses bureaux. » Et le même de signaler que, lors d’un procès devant la Cours pénale internationale, « ce nouvel ami de l’Occident aurait pu rappeler ses excellentes relations avec la CIA ou les services français, l’aide qu’il apportait aux amis africains de la France, et les contrats qu’il offrait aux uns et aux autres. Voire plus grave, sait-on jamais ? ».
Le 20 octobre à 8h 30 du matin, l’objectif allait être atteint. Trois avions de l’OTAN s’approchent de Syrte. Rien à voir avec une mission de reconnaissance effectuée par hasard : une colonne de 75 véhicules fuit la ville à vive allure. Un drone américain Predator tire des roquettes. Un mirage F1CR français de reconnaissance suit un Mirage 200-D qui large deux bombes GBU-12 de 225 kilos guidées au laser. Bilan : 21 véhicules détruit et Kadhafi seulement blessé.
Soupirs de satisfaction.
Des forces spéciales françaises sont alors présentes sur les lieux. L’histoire ne dit pas à quelle distance de ce qui va survenir, et que raconte avec abondance de détails un officier des services militaires de renseignements : « Il est capturé vivant par des combattants surexcités. La foule scande ῞Allah Akbarˮà pleine poumons, le menace de ses armes et se met à le tabasser pendant que d’autres combattants qui peinent à prendre le dessus, crient de le maintenir en vie ».On connait la suite, quelques images de ce lynchage suivi d’une exécution par balles sont apparues sur les écrans de télévision et dans la presse écrite. Mais la disparition de Kadhafi n’est pas la fin de l’histoire car, en croire une analyse barbouzarde, « la Libye est entrée dans un no man’s land politique, une zone de turbulences imprévisibles. » Voilà qui devrait inquiéter ceux qui, dans plusieurs capitales occidentales et arabes, ont poussé des soupirs de satisfaction que Kadhafi ne serait jamais la vedette d’un procès international.
Claude Angeli