LE TROISIÈME SEXE

par Jacques-Robert SIMON
lundi 10 octobre 2016

 « On ne naît pas femme, on le devient. » Déjà le deuxième sexe exhortait les femmes à surmonter les multiples prédéterminations qui les maintenaient dans l’ailleurs ou l’à-côté. Les législations ont changé depuis 1949 et les Sciences ont progressé. Pour quel résultat ?

LE TROISIÈME SEXE

Jacques-Robert SIMON

 On ne naît pas femme ! Naît-on noir ? Naît-on pauvre ? Naît-on différent et doit-on ou peut-on le rester ?

 Sur la grande avenue qui monte vers Les Lilas un homme jeune marchait d’un bon pas tout en criant dans son portable vissé à l’oreille : « Je l’avais dit, je l’avais dit …. D’accord, je te laisse parler ». Les hurlements durèrent encore pendant plusieurs centaines de mètres sur le même ton. Avec la main gauche, celle qui ne tenait pas le téléphone, il trainait une petite fille qui ne semblait pas terrorisée par les vociférations venant de ce qui semblait être son père. Que Simone de Beauvoir va-t-elle lui apporter ?

 Dieu ou la Nature a organisé une reproduction sexuée pour les humains : ils doivent trouver un partenaire pour se reproduire et leurs descendants ne sont pas génétiquement identiques ni à l’un, ni à l’autre des parents. Dans la Nature, le bien, le mal, le beau, le laid, la raison, l’insensé n’interviennent pas dans le « choix » d’un mode de reproduction, seul compte la survie. Non pas la survie d’un individu pris isolément mais la survie de l’espèce : le devenir de la collectivité est l’unique source de « choix ». Et le bien être d’une collectivité n’a rien à voir avec celui d’un individu, ou d’une somme d’individus. Le mode de reproduction des Hommes permet de créer des êtres uniques, tous différents les uns des autres. Dieu ou la Nature a choisi la différence plutôt qu’un empilement d’identiques afin que l’espèce soit mieux armée pour se perpétrer en s’accommodant d’éventuelles modifications de l’environnement.

 Toutefois, cette précieuse unicité d’un individu ne s’exprime pleinement que rarement dans une société dont la structure hiérarchique nécessite des semblables plutôt que des égaux. Des concours, des rivalités entre identiques permettent de faire émerger des meilleurs, laissant en route les moins meilleurs et surtout les autres : une séparation entre classes homogènes se dessine peu à peu. La reproduction sexuée induit une organisation sociale stricte : la famille, le chef de famille, le chef de clan, le chef du village, le chef d’État ; le rôle de la femme dans les décisions concernant les collectivités était inexistant, leur accès aux responsabilités inenvisageables. Dès que les conditions sociales et politiques furent réunies, les femmes ne se soumirent plus au seul rôle que la Nature (ou Dieu) leur avait assigné. Un combat s’installa entre la Nature et la Loi des Hommes.

 Lorsque les règles, les normes, sont définies par une classe dominante, celles-ci favorisent inévitablement les membres de cette même classe dominante. C’est une observation générale qui concerne les femmes dans leur désir d’égalité, mais pas seulement les femmes, également les pauvres, les artisans, les artistes, les minorités de toutes sortes. Un certain nombre de lois furent promulguées au cours du temps qui tendaient à soulager les femmes de leur condition naturelle (droit à la contraception, droit à l’avortement, promotion de la parité…). Ceci illustre le déplacement de la morale (pour l’essentiel judéo-chrétienne) au réglementaire : la loi de Dieu fait place à celle des Hommes.

 Toutefois, même en allégeant les contingences naturelles liées à la maternité, les femmes ne peuvent que difficilement se substituer aux hommes dans un jeu conçu par eux. La masculinisation des femmes s’est donc accompagnée par la féminisation des hommes. Le règne animal montre par de multiples exemples que les caractères mâle et femelle ne sont pas toujours rigidement fixés par les gènes.

 D’autres types de sexualité reproductive que celle pratiquée par l’Homme sont possibles, les tortues en fournissent un exemple. Les mâles et les femelles vivent en solitaires et ne se rencontrent que pour l'accouplement. La femelle peut s'accoupler avec plusieurs mâles durant la même saison, elle gardera le sperme intact durant 4 à 5 ans dans les replis de son appareil reproducteur. Elle garde donc le pouvoir de pondre des œufs fécondés sans visite récente d’un mâle. La température d’incubation des œufs va déterminer le sexe des descendants : entre 27 et 29°C les mâles prédominent, entre 31°et 33°C ce sont très majoritairement des femelles. La fatalité des gènes n’est donc pas absolue et d’autres facteurs peuvent déterminer le sexe des membres d’une nouvelle génération.

 Chez les poissons clown, l'individu dominant est la femelle, plus grosse que le reste du groupe. Elle forme un couple stable avec un mâle sexuellement actif. Les autres individus du groupe sont des mâles immatures qui n'interviennent pas dans la reproduction. Si la femelle dominante vient à disparaître, son compagnon attitré, le mâle dominant, se transforme en femelle et prend sa place. La perte d’un proche peut donc conduire à un changement de sexe.

 Les exemples pris dans le monde animal ne montrent qu’une seule chose : des facteurs liés à l’environnement peuvent profondément affecter le type de sexualité pratiquée. La transmission d’un ensemble chimique, les gènes, ne détermine pas complétement le comportement des descendants. Il faut maintenant se demander dans quel sens on doit orienter les pratiques sexuels de nos enfants et qui doit s’en charger, car il n’est guère possible de rester parfaitement neutre.

 Najat Vallaud-Belkacem dans une interview du 31 août 2011 propose une possibilité : "La théorie du genre, qui explique ‘l'identité sexuelle’ des individus autant par le contexte socio-culturel que par la biologie, a pour vertu d'aborder la question des inadmissibles inégalités persistantes entre les hommes et les femmes ou encore de l'homosexualité, et de faire œuvre de pédagogie sur ces sujets". La

« théorie du genre » ou gender theory est apparue aux États-Unis au cours des années 1970. Mais elle ne semble être qu’une invention de ses détracteurs, il existe par contre des gender studies nées parallèlement au développement du féminisme. Ces travaux étudient la manière dont la société associe des rôles à chaque sexe. Exemples : « pourquoi les hommes font moins le ménage », « pourquoi une femme mécanicienne ou un homme sage-femme paraissent insolites », etc. À ce type de questions il y a des réponses évidentes telles que desserrer un écrou nécessite de la force physique et que les femmes n’apprécient guère de montrer leur intimité à des hommes inconnus (du moins dans la plupart des cas). Mais il y a probablement une part de vérité dans le formatage différent par la société selon que l’on est homme ou femme. Mais le problème n’est pas là, puisque l’apparition d’un troisième sexe semble inéluctable, il faut s’interroger sur sa nature.

 L’homosexualité est-elle un signe de modernité, un pas vers ce troisième sexe base d’une société harmonieuse et pacifiée ?

 Le nombre d’homosexuels n’est pas connu avec précision, en particulier faute de définition précise. Il semble acquis que les classes aisées sont très présentes dans cette population et que l’homosexualité est beaucoup plus répandue dans les grands centres urbains qu’ailleurs. La population gay se caractérise par sa jeunesse et par une surreprésentation des 25-44 ans. Dans la hiérarchie socioprofessionnelle, les gays occupent plus souvent que l’ensemble de la population des emplois de professions intellectuelles, de cadres supérieurs. Ils sont plus diplômés que la moyenne et disposent en conséquence de revenus supérieurs. Il y a également beaucoup plus d’homosexuels que d’homosexuelles.

 L'homosexualité est rejetée par la plupart des instances religieuses (Dieu), mais aussi par la Nature pour des raisons apparemment différentes. Les premières ne peuvent admettre une remise en cause d’un modèle (le Père tout puissant, le fils, la vierge Marie…) base de l’édifice qu’elles ont bâti. La seconde doute que les technologies biologiques puissent assurer la pérennité de l’espèce humaine en construisant en laboratoire des embryons aux qualités génétiques choisies par les acheteurs à un prix fixé par le marché.  

 Le troisième sexe pourrait peut-être donner naissance à un surhomme, un homme nouveau, "plus haut des hommes que ceux-ci le sont du singe". Ou bien il ne représenterait que les derniers soubresauts de sociétés rassasiées d’opulence alors qu’une forte minorité sombre dans le néant. Les prochaines générations le sauront.

 


Lire l'article complet, et les commentaires