Le TSCG, l’échec de la théorie de l’engrenage et les derniers feux de l’Euro

par M. Aurouet
jeudi 11 octobre 2012

Privée d’Etat et de fédéralisme coopératif, enserrée dans un ensemble de règles contraignantes à la légitimité douteuse, la monnaie unique était mal partie dès sa création (Traité de Maastricht, Pacte de stabilité et de croissance). Mais son funeste destin, qui se dessine année après année, mois après mois, n’était pas non plus une fatalité. Il faut d'abord admettre pour cela que la plupart des vertus attachées à l’euro ne lui sont en fait pas vraiment propres. Elles dépendent bien plus, en réalité, de l’évolution politique de la construction européenne. Seule la naïveté commande en effet de croire que la simple existence d’une monnaie unique suffit à garantir le dynamisme économique de la zone monétaire en question. Un sens plus aigu des réalités enseigne que l’euro ne pouvait marcher qu’à une double condition : d’une part, qu’il fût l’outil d’une communauté de nations et de citoyens libre de déterminer son usage et d’autre part, que cette communauté scellât une solidarité politique suffisamment élevée pour mettre de l’harmonie et de la cohérence là où les différences socio-économiques laissées à elles-mêmes n’engendrent que désordres et, finalement, chaos.
 
La première condition exige une politique monétaire commune adaptée aux circonstances et au choix politique majoritaire, forcément fluctuant. La seconde condition implique une fiscalité européenne, un budget commun bien doté et des politiques économiques communes, que ce soit sous forme de coordination ou d’impulsion via des politiques publiques communautaires. Nous savons qu’à l’origine, ces deux conditions n’étaient pas réunies. Mais, envisagée comme un pari, la monnaie unique pouvait engendrer dans son sillage une dynamique politique communautaire qui aurait gommé les incohérences initiales, donné à l’euro sa force pour, finalement, garantir sa pérennité. Or, au grand dam des tenants de cet engrenage vertueux, c’est un véritable scénario de la catastrophe qui s’est déroulé et se déroule encore sous nos yeux. Car fragilisés par les incohérences de la zone euro dans le contexte économiquement déprimé que nous connaissons, les décideurs de cette zone n’ont aujourd’hui rien mieux à proposer, à travers le TSCG, que la reconduction renforcée des conditions initiales dont on sait qu’elles sont arbitraires, bancales et en tous cas parfaitement incapables de garantir la pérennité de la monnaie unique, même en tenant compte des changements observés depuis 2008 du côté de la Banque Centrale Européenne sous les coups de boutoir des marchés financiers.
 
Il ne faut pas s’y tromper : ce nouveau traité a une portée historique majeure car il signe l’enterrement de la théorie de l’engrenage vertueux, supplantée par un fédéralisme coercitif juridiquement sanctifié qui ne permettra, au mieux, que de gagner du temps avant la décomposition finale de la zone monétaire. Car l’espoir de corriger les déséquilibres avec des budgets publics assainis partout et durablement, est déjà mort si l’on veut bien admettre que les cures d’austérité correspondantes alimenteront l’impopularité de l’Union tout en aggravant la situation économique des Etats membres, et parmi eux ceux qui connaissent le plus de difficulté. Il ne suffira pas de neutraliser les politiques budgétaires pour sauver l’euro : c’est un remède qui n’a rien à voir avec le mal mais qui, en revanche, constituera la raison suprême des réformes structurelles partout en Europe tout en actant encore un peu plus le divorce de la démocratie et des organes supranationaux. En fait de remède, le TSCG ouvre plutôt la voie à un suicide collectif. Il se pourrait d'ailleurs qu'il ne soit que le dernier enfant d'une Europe communautaire agonisante.
 
En conséquence, et sauf à se réjouir du monde européen selon le TSCG, il demeure deux issues cohérentes possibles. La première consiste à prendre acte de l’échec de la monnaie unique. Cela suppose de conserver un minimum de bon sens économique et politique, suffisant en tous cas pour ne pas se lancer dans une aventure de sauvetage de l’euro au prix de la démocratie et du déclin économique et social de la grande majorité des Etats membres. Cette option conduit logiquement à organiser intelligemment la fin de la monnaie unique. Par intelligemment, il faut comprendre sans haine envers l’Union européenne, en gardant à l’esprit qu’au-delà de l’euro, il y a une maison commune à conserver en partie et, surtout, à rafraîchir. L’autre issue consiste à réaliser l’union politique de l’Europe à travers une Constitution qui la réconcilie avec la démocratie et qui la dote des moyens institutionnels, financiers et économiques de cette solidarité. Bref, il s'agirait pour la construction européenne d'une improbable sortie par le haut.
 
Sans faire ici le tour de la question et sans fermer complètement la porte aux deux issues, je ne vois rien dans la conjoncture actuelle qui rattache l’Europe communautaire à l’engrenage vertueux qui permettrait encore de sauver l’euro. Je vois des élites dirigeantes qui ne croient pas majoritairement à une fédération politique et dont la carrière dépend de résultats électoraux nationaux, et donc à la défense de leurs intérêts nationaux devant des électeurs qui, ma foi, y sont encore fort sensibles surtout quand il s’agit de l’argent de leurs impôts. D’un autre côté, il n’y a guère d’enthousiasme non plus dans les masses vis-à-vis d’une intégration européenne accrue. Au contraire, chaque jour qui passe la rend de plus en plus impopulaire, et, comme nous l’avons souligné, ce n’est pas le TSCG qui arrangera les choses ! En outre et peut-être surtout, la question cruciale de l’avenir européen, entre confédération et fédération, n’irrigue pas fondamentalement les débats publics, en tous cas sa portée demeure très largement insuffisante pour espérer la voir occuper une place de choix et ainsi influencer les événements. J’ajouterai enfin que l’Europe politique, perpétuelle arlésienne, a surtout fait fonction jusqu'ici de mythe improbable permettant d’avaler tellement de couleuvres que notre gorge est aujourd’hui complètement saturée.
 
Avec le chemin pris par le TSCG, le réalisme politique inspire donc deux avenirs possibles : soit celui d’un total collapsus, l’Europe étant jetée avec l’eau de l’Euro ; soit celui d’une stabilisation confédérale de l’Union, dans la foulée d’un inévitable abandon de l’Euro, d’un retour des monnaies nationales et d'une reconfiguration partielle des contours de l'Union européenne (institutions et politiques). Ce qui selon moi n’est pas de nature à rassurer les euro-enthousiastes, c’est que l’Euro n’est pas le seul "boulet", si l'on veut bien me pardonner la formule, d'une Union dont l’idéologie de marché constitue la problématique à vrai dire fondamentale. Si les Européens venaient à rejeter le libre-échangisme et le sacro-saint principe de concurrence libre et non faussée, il se pourrait que l’Union soit alors l’objet d'un rejet viscéral, validant le retour aux souverainetés nationales. Perspective qui serait dommageable au regard des apports réels de l’Union, mais qui ne serait vraiment alarmante au demeurant que si les démocraties étaient menacées dans les espaces nationaux et qu’un nouvel esprit nationaliste et militariste se faisait jour. Ce qui, on en conviendra, est un risque mais pas une certitude. La seule chose qui me paraît à peu près certaine se situe sur le plan géopolitique, puisque je ne vois guère comment une Europe divisée pourrait échapper à une inféodation toujours plus grande envers Washington. Vous me direz, l’Europe communautaire ne l’aura pas plus empêché. Sans doute, finalement, parce que l’explication est beaucoup plus simple : fatiguées par l’Histoire, les nations européennes ne rêvent peut-être plus que de devenir des Suisse plus ou moins grandes, à l’abri d’une puissance américaine qui a le grand mérite de neutraliser celle des voisins immédiats.

Lire l'article complet, et les commentaires