Le vingt-et-unième siècle sera religieusement correct
par Pierre Régnier
vendredi 23 mars 2012
Il sera violent, tricheur et lâche.
Dans les dernières pages de son livre Le système totalitaire Hannah Arendt rapporte que Luther "eut un jour l'audace de dire" que "il devait exister un Dieu parce qu'il fallait à l'homme un être auquel il pût se fier".
Ce propos me conforte dans l'estime que j'ai toujours, a priori, pour les femmes et les hommes qui ont une démarche religieuse. D'une certaine manière il nous ramène à une conception de "l'homme-Dieu", mais sans l'orgueil qu'implique ce concept dans son expression philosophique dominante.
C'est seulement le meilleur de l'homme qui est ressenti comme Dieu, pas le pire, pas même le simplement mauvais, pas même le seulement imparfait. Dieu, c'est le parfait de l'homme, cette part de lui-même à laquelle il aspire et qu'il sait ne pouvoir atteindre jamais.
Mais cette part est si mystérieuse et si belle dans son imagination qu'il veut lui donner toute la place. Il la fait toute puissante et infinie. C'est pourquoi il la projette hors de lui-même et la nomme Dieu. C'est pourquoi il sait qu'il "peut s'y fier". C'est pourquoi elle est pour lui absolument sacrée.
Cette sacralisation est absolument nécessaire à l'homme croyant pour qu'existe, pour qu'il ressente un sens à sa vie. Et cette nécessité est parfaitement respectable.
L'autre part de l'homme, cependant, celle qui va de l'imparfait au pire, déforme Dieu en permanence. C'est la vie ! Les difficultés, les fatigues, les angoisses, les égarements de toutes sortes, les nécessaires combats de la vie déforment à chaque instant la part inconnaissable et inatteignable de l'homme.
Et l'homme croyant se trompe et fait Dieu à son image. Il le fait même violent. Quand il déraisonne complètement il oublie l'aspiration merveilleuse qui lui a fait inventer Dieu, et il va jusqu'à sacraliser sa propre violence qu'il a projetée en lui.
Pire : il dogmatise. Il interdit toute remise en question de cette sacralisation. Il dit aujourd'hui : voici trois mille ans que nous sacralisons la violence, nous n'avons pas pu nous tromper si longtemps.
Même quand la violence à base théologique est flagrante, ce qui est très courant de nos jours, l'homme croyant préfère la nier, se renfermer dans ses certitudes, qu'il transforme alors en mensonges, en tricherie, en lâcheté, en hypocrisie.
Mais le croyant répugne évidemment à s'attribuer de si négatives caractéristiques puisqu'il sait que sa démarche religieuse est une recherche de vertu. Associée, le plus souvent, à une réelle humilité. Il se sait sincère sur ce point, et le mépris dans lequel des non-croyants croient devoir le tenir ne fait que conforter ses certitudes.
Il s'invente alors - ou sa religion invente pour lui - des petits processus mentaux qui lui permettent de se situer hors de sa "mauvaise foi", de ne pas se sentir vraiment concerné par elle. Elle "le dépasse" alors et "il n'y est pour rien".
Tel est, tout spécialement, cette dogmatisation, énoncée dans un monde religieux où "les voies de Dieu sont impénétrables", autre petit truc bien pratique pour fuir - oh, pas même, non, simplement éviter, contourner, ne pas voir - sa responsabilité très personnelle dans la violence du monde.
Les impénétrables voies de Dieu peuvent ainsi faire massacrer des individus en plus ou moins grand nombre "pour le bien de l'humanité", ce qui sera compris un jour, pense le croyant, quand enfin il aura, avant ou après sa mort, atteint le degré spirituel nécessaire à cette compréhension.
Il faut s'indigner, gueuler très fort contre cette transformation de doux individus en monstres - s'ils accomplissent eux-mêmes les crimes prétendument "commandés par Dieu" - ou en complices de monstres s'ils les excusent, les tolèrent ou veulent les ignorer. Veulent ignorer le très direct rapport entre l'horreur commise et l'horrible croyance apprise.
Il faut gueuler très fort car cela n'a rien, absolument rien d'inévitable, de fatal. Il faut gueuler très fort car ces comportement criminels, qui détruisent l'auteur autant que ses victimes est simplement l'aboutissement de banals entêtements dans des défauts très banalement humains comme l'orgueil, la vanité, le goût du pouvoir personnel.
Pour le croyant le problème paraît totalement insoluble quand ces très humains défauts sont les caractéristiques dominantes de ceux qui lui sont donnés comme "bergers", a fortiori s'ils lui sont donnés comme bergers infaillibles. D'un tel niveau de spiritualité qu'ils sont forcément infaillibles quand ils énoncent les dogmes. Ou ce qu'il faut respecter, même quand ce n'est pas le cas, comme des dogmes.
Après comme avant les tueries de Toulouse je gueule très fort avant tout contre ces mauvais bergers que sont le pape actuel, le magistère et la hiérarchie de son église mais, j'en conviens, c'est par simple commodité, parce que je les connais mieux que les autres, parce que j'ai été longtemps parmi eux, que j'ai longtemps communié avec eux.
Mais il y a évidemment d'aussi mauvais bergers aux plus hauts degrés de responsabilité du judaïsme et de l'islam. Et tous sont les plus responsables de la violence aujourd'hui commise au nom de Dieu.
Avec, bien sûr, ces autres responsables au plus haut niveau que sont, en France au moins, les gouvernants chargés de faire appliquer et respecter la laïcité républicaine et qui ne le font pas.
Et avec aussi, bien sûr mais on le dit trop peu, ceux qui aspirent à les remplacer et qui sont aussi lâches que les gouvernants, depuis des années quand il s'agit de réfléchir sur la manifeste relation entre l'islam et les très concrètes violences islamiques.
Comme eux ils nient cette évidente relation.
Pire : comme les indignes "dignitaires" religieux et comme les gouvernants qui trahissent la laïcité républicaine, les objectifs de non-violence et de paix, ils interdisent la réflexion et l'expression à ceux qui sont plus lucides, plus honnêtes et plus courageux sur la bien réelle, bien évidente violence intrinsèque à l'islam.
Je ne suis pas fataliste et je veux faire mentir mon titre. Alors je termine en me mettant à rêver que demain, dès demain, les croyants des différents monothéismes vont se révolter et exiger de leurs mauvais bergers qu'ils cessent de justifier, sacraliser, dogmatiser et enseigner à leurs enfants l'épouvantable conception criminogène de Dieu.
Je me mets à espérer de toutes mes forces que ces croyants vont dès demain gueuler très fort à leur tour :
vous êtes odieux quand vous continuez d'affirmer que Dieu a ordonné des "bons massacres" qu'il faudrait seulement "savoir bien interpréter".
Et je me mets à rêver que les politiciens athées et agnostiques vont enfin le gueuler avec ces croyants au lieu de simplement se moquer d'eux et de leur foi comme il est si facile de le faire.
Peut-être qu'alors, mais alors seulement, je me serai trompé et que le vingt-et-unième siècle sera très religieusement incorrect.
C'est-à-dire, enfin, théologiquement pacifié.