Le vrai vainqueur du débat présidentiel et la supercherie des sondages

par Lonesome Cowboy
mercredi 22 mars 2017

Dans l’heure qui suit la fin du débat présidentiel de TF1, deux sondages surgissent du chapeau d’Elabe et d’Opinion Way pour jauger la performance des candidats. Sans surprise, ils sont repris dès le lendemain et sans la moindre critique par l’ensemble des grands médias. On retrouve dans ces enquêtes douteuses tous les principaux biais garantissant un risque de manipulation maximale. Détaillons

1) Un échantillon problématique

Les deux sondages se basent sur un échantillon « représentatif » d’environ 4000 français établis selon la méthode des quotas. Seuls les individus ayant regardés le débat jusqu’au bout et s’étant portés volontaires sont retenus pour l’enquête, soit environ 1100 personnes.

Premier biais significatif, l’échantillon est donc largement biaisé. Au mieux, il représente fidèlement les français souhaitant ou pouvant endurer le débat jusqu’à la fin. Les résultats se basent donc sur l’appréciation de français « tenaces », probablement très politisés et investis dans la campagne, ou tout simplement disposant du luxe de pouvoir rester devant leur poste de télévision de 21h à minuit trente pour ensuite prendre trente minutes pour répondre à un questionnaire par internet.

On comprend bien que dans ces conditions, l’échantillon est tout sauf représentatif.

Si on suppose que l’électorat de Le Pen est plutôt « populaire » et peu « politisé », on comprendra par exemple que cette dernière ne bénéficie pas de résultats favorables.

A l’inverse, si on fait l’hypothèse que l’électorat de Macron est très « cadre supérieur » et celui de Mélenchon très « politisé », on comprend que ces deux candidats reçoivent des scores meilleurs que Marine Le Pen.

 

2) L’incertitude mathématique

Comme nous l’expliquions dans un article détaillé, la notion de marge d’erreur d’un sondage sur un échantillon utilisant une méthode des quotas (ou non aléatoire) est mathématiquement nulle et dénuée de sens.

Pourtant, les instituts Opinon Way et Elabe préviennent qu’empiriquement, leur échantillon de 1000 personnes serait sujet à une marge d’erreur de 3,5%. Traduction : annoncer Macron comme le plus convaincant à 26% signifie qu’il y a 95% de chance que le score de Macron soit entre 29,5 et 22,5%. Le second candidat, selon Elabe, serait Mélenchon, à 20%, soit en réalité un score situé entre 23,5 % et 16,5%...

Donc non seulement l’incertitude sur les résultats n’est pas mathématiquement vérifiable, mais en plus elle est dans tous les cas considérable.

 

3) La réponse partisane non crédible des sondés

Autre biais majeur, ce genre d’enquête incite clairement les partisans des différents hommes politiques à citer leur candidat, quel que soit sa performance, ce qui induit un biais majeur en faveur des candidats déjà favorisés par les sondages. Si 28% des Français votent Le Pen, elle a plus de chance d’avoir un score honorable que Hamon qui ne totalise que 12% des intentions de vote.

 

4) L’interprétation des journaux

L’empressement de la presse à saluer la « victoire » d’Emanuel Macron témoigne soit d’une incompétence et incrédulité totale, soit d’une volonté de faire passer un message précis.

Si les scores des deux études place Macron en tête sur la question portant sur le candidat ayant été le plus convaincant, l’analyse des questionnaires livre une toute autre perspective, sujette à interprétation.

Emmanuel Macron étant doté de 25 à 26% d’intention de vote avant le débat, il apparait évident qu’il reçoive une réponse favorable à la question centrale traitant du candidat ayant le plus convaincu, ne serait-ce que parce qu’il avait déjà convaincu le plus grand nombre de téléspectateurs avant le débat.

Si on observe les autres questions, à l’inverse, on se rend compte que c’est Mélenchon qui améliore le plus son image (+14% selon Opinion Way), donc qui a convaincu le plus.

Pour faire simple, on pourrait résumer en disant que Macron a rassuré ses électeurs, alors que Mélenchon a convaincu les hésitants. Or c’était bien là l’enjeu du débat.

Sur trois autres sujets (l’autorité, la capacité à comprendre les français et l’honnêteté) Mélenchon arrive en tête, avec parfois jusqu’à 10 point d’avance sur Macron. Seul sa crédibilité et présidentialité le place derrière Macron.

La presse aurait donc très bien pu choisir de titrer « Mélenchon apparait comme le candidat le plus convaincant, proche des français et capable de faire respecter l’autorité » ce qui aurait été aussi douteux que « Macron plus convaincant du débat » compte tenu des faits expliqués en début d’article, mais tout aussi rigoureux du point de vue de l’interprétation des deux sondages.

 

5) La fausse confirmation des sondages d’opinion

On l’aura compris, les résultats annoncés dans la presse n’ont aucune valeur. Certains vous diront que ce sont les sondages des prochains jours qui permettront de confirmer l’effet du débat.

Déjà, Elable (décidément spécialiste des sondages bidons) publie une enquête qui montre une progression de Macron (en tête des intentions de vote à 26%, soit +0,5%) et une inversion des tendances à gauche avec la montée de Mélenchon (13,5%, soit +0,5%) et l’effondrement de Hamon (11%, soit -2%). Sans parler des biais innombrables et de l’incertitude très large compte tenu de la taille de l’échantillon (moins de 900 personnes), on serait plutôt tenté de voir dans ce résultat les éléments suivants :

 

Conclusion :

La frénésie sondagière que l’on observe dans ces deux cas d’école devrait être regardée comme un exercice pathétique et dénué de sens, si elle ne recevait pas un tel écho dans les médias.

Car c’est là le font du problème. A accorder du crédit à des études qui n’en mérite guère, les médias se lancent dans une entreprise de manipulation d’opinion (consciente ou non) qui présente un double risque.

Si elle fonctionne, l’élection perdra son caractère démocratique. Si elle échoue, nous allons au-devant d’une surprise…

Acrimed note que les questionnaires sur internet ont donné un tout autre résultat, lui aussi biaisé bien entendu, mais contrastant le « story telling » de la victoire de Macron.

Pour commencer à ressembler à une démarche scientifique, les sondages auraient dû être effectués sur des panels de téléspectateurs indécis, disposés dans des salles de visionnage et interrogés en tête à tête à la fin, comme le faisait les américains pour les débats présidentiels.

Le seul constat à peu près certain que l’on peut tirer de tout ce « bruit », c’est qu’Hamon a beaucoup perdu dans ce débat. Les deux enquêtes lui sont très défavorables et pour le coup, peu de biais peuvent le sauver (il disposait d’une meilleure intention de vote que Mélenchon, ses électeurs sont très susceptibles de regarder le débat et ses scores sont très bas même en appliquant les marges d’erreurs les plus optimistes). Malgré le soutien des médias (qui ont largement couvert son meeting de Bercy), sa campagne s’effondre et les appels au ralliement de Mélenchon et au vote utile sonnent de plus en plus creux. Comme ces sondages en somme.

Sources :

Pour comprendre les biais des sondages et leurs mécanismes : http://www.politicoboy.fr/critique-medias/sondages/

Sondage Opinion way / Le point : http://www.lepoint.fr/presidentielle/presidentielle-debat-et-le-plus-convaincant-a-ete-emmanuel-macron-21-03-2017-2113444_3121.php

Sondage Elabe/ BFMTV : http://www.acrimed.org/Grand-debat-un-sondage-pour-BFM-TV-qui-ne

Sondage d’intention de vote Elabe du 22 Mars : http://www.ouest-france.fr/elections/presidentielle/sondage-apres-le-debat-macron-se-detache-melenchon-depasse-hamon-4873813

 


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