Légitime défense, ma vie pour la loi, la loi pour ma vie

par Desmaretz Gérard
mercredi 2 novembre 2016

Dans l'exercice de sa profession, le policier reste plus exposé que la plupart des autres citoyens aux : provocations - refus d'obtempérer - injures - bousculades - rébellion - voies de faits, etc. Il peut avoir à maîtriser une personne, la blesser par accident, et dans certaines circonstances graves être l’auteur ou la victime coups et blessures volontaires ou involontaires. Autant de faits d'échelle de gravité variée pouvant transgresser la loi pénale. Rappelons que la loi pénale régit les rapports des membres d’une même société au sein d’un même État avec pour souci la préservation des libertés publiques inscrite dans la constitution. Le texte essentiel qui établit les faits constituant une infraction punissable et en déterminant la peine encourue s'appelle le Code pénal.

« La Loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n'est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas » (Art. 5 de la constitution de 1789). Le droit pénal général définit les conditions pour qu'une personne puisse être déclarée responsable d'une infraction et définit : les éléments constitutifs de l'infraction, la tentative, la complicité. Cette branche du droit étudie également les circonstances (aggravantes ou atténuantes), la justification de l'infraction (démence, contrainte, légitime défense). Si l'auteur a visé l'acte et ses conséquences et qu'il l'a accompli, on parle d'intention criminelle ; si l'auteur a voulu l'acte mais sans en vouloir les conséquences prévisibles, il y a faute pénale (exemple blessures involontaires). On retiendra que les infractions sont classées selon leur gravité : crime - délit - contravention. Cette classification correspond a différentes juridictions : assises, correctionnelle, tribunal de police, d'instance, de proximité.

Toute infraction requiert la réunion : d'un élément légal : un texte qui prévoit l'infraction - un élément matériel : un fait, un acte (pas le résultat) - un élément moral, l'œuvre de la volonté de l'auteur. L'obligation de porter secours, par exemple, nécessite :

  1. un fait, crime, délit contre l'intégrité physique d'une personne encore vivante ;

  2. de s’appliquer à toutes les personnes, même à un agresseur blessé rendu inoffensif ;

  3. la possibilité de porter secours ou assistance immédiatement ;

  4. l'absence de risques sérieux pour soi ou à un tiers.

Cela s'applique même pour une personne non présente sur les lieux, un médecin, un policier, etc., qui refuse de se déplacer ou qui ne répond pas aux appels pourra être sanctionné. Pour que l'abstention volontaire de porter secours en pleine connaissance de cause soit constituée, il faut avoir eu connaissance du péril, savoir que son intervention était nécessaire et urgente. C'est l'appréciation de la bonne foi qui prédomine. L'obligation d'assistance, de secours aux personnes est un devoir pour tout policier ou gendarme.

Rappelons que la notion des libertés individuelles reste très importante puisque elle prévoit à tout citoyen le droit de circuler librement sur l’ensemble du territoire sans pouvoir être arrêté ou détenu en dehors des circonstances prévues par la loi et dans les formes prescrites. Cette notion avait déjà été prise en compte par la déclaration universelle des droits de l’homme (c'est sur cet article que se fondent certaines personnes empêchées de se rendre en Syrie). Pour mémoire, le CPP régit l’activité des différentes institutions chargées d’appliquer ou de faire respecter la loi (parquet, police, juge d'instruction), leur fonctionnement, l'organisation, leur compétence , et explicite les modalités d'action, la manière de faire, et les règles à respecter pour constater une infraction.

Les lois préservent le citoyen de l'arbitraire. L'article 7 de la Constitution précise : « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la Loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance.  » On distingue les principes :

de la légalité des délits et des peines : « nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi » (article 111-3) ;

la non rétroactivité des lois pénales : « un citoyen ne peut être jugé pour des faits qui n'auraient pas constitués une infraction au terme de la loi au moment de leur commission » (article 112-1) ;

la présomption d'innocence  : « tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ».

Force doit rester à la Loi, ce qui signifie que les policiers peuvent employer la force pour faire respecter la loi, mais n’importe quel moyen n’est pas admissible. Cela doit se faire sans brutalité inutile - la violence ne doit être utilisée qu’en dernier ressort et rester proportionnelle à la résistance qu’elle doit vaincre, quelques exceptions valent seulement pour la gendarmerie : « Les officiers et sous-officiers de gendarmerie ne peuvent, en l'absence de l'autorité judiciaire ou administrative, déployer la force armée que dans les cas suivants :

1° Lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux ou lorsqu'ils sont menacés par des individus armés ;

2° Lorsqu'ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu'ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiés ou, enfin, si la résistance est telle qu'elle ne puisse être vaincue que par la force des armes ;

3° Lorsque les personnes invitées à s'arrêter par des appels répétés de «  Halte gendarmerie » faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s'arrêter que par l'usage des armes ;

4° Lorsqu'ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt » (article L 2338-3 du Code de la défense).

Le problème que pose la légitime défense est assez complexe, aussi ai-je ressorti mes cours annotés et mis à jour. Dans un but de simplification, disons que les faits justificatifs font disparaître l'élément légal de l’infraction. La LD se juge à l'intention qui la détermine et l'acte peut être susceptible de pardon. L’article 122-4 du code pénal : «  il ny a ni crime ni délit lorsque lhomicide, les blessures et les coups étaient ordonnés par la loi et commandés par lautorité légitime  ». L'article 122-5 précise : « il ny a ni crime, ni délit lorsque lhomicide, les blessures et les coups étaient commandés par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi même ou dautrui.  » Et l'article 122-7 : « n'est pas responsable la personne qui face à un danger actuel ou imminent qui menace elle même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ».

Pour qu’un acte de défense soit considéré comme légitime défense, quatre conditions sont exigées :

1) Acte illégitime : contraire au droit (la légitime défense ne pourrait être invoquée à l’encontre d’un policier qui use de la force nécessaire pour conduire un individu récalcitrant au poste de police ou qui procède à une perquisition sur CR d'un juge.

2) Acte injuste  : agression contre une personne, qu’il agisse de l'intégrité physique ou de liberté individuelle, à l’exclusion des biens et animaux.

3) Nécessité actuelle : l’agression subie doit être imminente ou immédiate et ne pouvoir être évitée qu’en commettant l’infraction de coups et blessures volontaires. Si la menace est passée, la riposte est exclue. Elle est assimilée à une vengeance. Si c’est dans le but d’anticiper une action future, la nécessité n’est plus admise car la personne avait la possibilité de se mettre sous la protection de la justice. On ne peut faire justice soi même. Ce dernier aspect interdit également le piégeage quel qu’il soit, bien qu'un garagiste ait été relaxé pour avoir piégé un poste à transistor dans son domicile.

4) La riposte :

a) doit être nécessaire (pas d’autre moyen, impossibilité de fuir) ;

b) simultanée : si l'agresseur cesse son attaque on ne peut continuer la riposte.

c) proportionnée avec le risque encouru. Tuer pour défendre des biens reste beaucoup plus délicat à apprécier car cela peut déboucher sur l'excès de légitime défense.

Le point « c » appelle un développement, car dans l’esprit de certaines personnes cela signifie que pour pouvoir riposter avec un couteau, il faut que l'agresseur soit armé lui aussi d’un couteau. Rien de plus faux. Un individu brandissant une arme blanche à quelques mètres peut se révéler plus dangereux qu'un autre porteur d'une arme à feu à l'étui. L'interprétation de proportionnalité de la riposte est appréciée selon : les forces en présence - les circonstances de temps - de lieu - la personnalité de la victime et celle de l’agresseur. Si un individu en menace un autre d’une arme froide (rasoir, couteau, cutter), l'agressé peut utiliser une arme à feu (légalement détenue) pour protéger son intégrité physique, car sa vie est menacée. Par contre, il aurait beaucoup de mal à justifier l’usage de son arme sur une agression aux poings. S'il déclare avoir tiré sous la peur, il perd le bénéfice de la légitime défense, la peur n'étant pas considérée comme une excuse. Ce qui importe, c'est la perception du danger (arme factice) et non sa réalité. Mais il ne saurait être question de tirer sur un malfaiteur qui s'enfuit. A ce moment il ne représente plus une menace actuelle imminente.

Parmi les doléances actuelles des policiers en colère figure un aménagement de la loi portant sur la légitime défense, ils souhaiteraient : bénéficier de la présomption d'innocence - de l'usage de sommations - du renversement de la preuve - voire de tirer préventivement (pré-riposte), certains de conclure sardoniquement : « mieux vaut affronter la Cour d'Assises et ses jurés que de finir dans une bière portée par six collègues. » Pour de nombreux pénalistes, revoir les lois encadrant la légitime défense reviendrait à ouvrir une boîte de Pandore. La présomption de LD ne repose pas sur la qualité de l'auteur des faits (citoyen ou dépositaire de l'autorité publique), pas plus que cela ne constitue une circonstance aggravante à l'égard du policier qui a reçu une formation en droit et au tir, et il revient à l'instruction de l'établir ou de l'infirmer. Le parquet est tenu de prouver qu’il y a eu légitime défense seulement dans deux cas : « Est présumé avoir agi en état de légitime défense celui qui accomplit l’acte : 1° Pour repousser, de nuit, l’entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité ; 2° Pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence (article 122-6 du CP). »

La loi du 3 juin 2016 et l'article 122-4-1 (CP) stipule que les fonctionnaires de la police nationale - militaires de la gendarmerie nationale - militaires déployés sur le territoire – et agents des douanes, que ces forces : « ne sont pas pénalement responsables si elles font un usage absolument nécessaire et strictement proportionné de leur arme dans le but exclusif d'empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d'un ou plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d'être commis, lorsque l'agent a des raisons réelles et objectives d'estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont il dispose au moment où il fait usage de son arme. » Les spécialistes du droit criminel de faire remarquer que le CP réprime un délit accompli tandis que la légitime défense se doit de rester immédiate afin de prévenir d'un danger mortel avéré, et que le policier n'est pas au-dessus des citoyens : « La garantie des droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée » (art : 12 de la constitution).

L'article R315-5 du code de la sécurité intérieure (décret n°2014-1253 du 27 octobre 2014) permet au ministre de l'intérieur d'autoriser : « par arrêté toute personne exposée à des risques exceptionnels d'atteinte à sa vie, sur sa demande, à porter et transporter une arme de poing ainsi que les munitions correspondantes dans les limites fixées au 1° de l'article R. 312-47. L'autorisation, délivrée pour une période qui ne peut excéder un an, est renouvelable. Elle peut être retirée à tout moment. (...) En cas de retrait ou de non-renouvellement de l'autorisation de port d'arme, l'autorisation d'acquisition et de détention d'arme devient aussitôt caduque. Son titulaire se dessaisit alors de l'arme et des munitions selon les modalités prévues aux articles R. 312-74 et R. 312-75. » Charb, illustrateur à Charlie et tireur sportif, s'était vu refuser sa demande. La suite ? tout un chacun la connaît. Le policier chargé de le protéger a lui aussi été assassiné !

Les hommes politiques, êtres calculateurs rattrapés par leurs calculs, ont tissé un filet qui les protège eux seuls. En France, la seule arme autorisée reste le tire-bouchon, dans le langage familier, les bouteilles d'alcool s'appellent des munitions et les bouteilles vides des cadavres ! La seule liberté qui reste aux citoyens est de se réfugier sous les jupes de Marianne et de faire confiance à ceux chargés de les protéger et désignés par l'État. Mais rien ne leur garantit qu'un policier ou un militaire sera là au moment fatidique, ni qu'il sera en mesure de le faire (affaire Charb et celle du militaire proche du Bataclan en sont l'illustration tragique). Ce n'est pas la fonction qui conditionne l'efficacité de la riposte en cas d'un danger mortel, mais le caractère individuel, et la crainte des conséquences n'est pas une vertu. Le principe de l'auto-défense dans un cadre légal ne saurait alors se déléguer. Confier sa défense à un tiers ou à la maison du roi est une forme de lâcheté qui revient à renoncer à protéger personnellement son prochain, et qui va à l'encontre du principe d'égalité et de fraternité. La vie c'est comme une allumette, elle ne sert qu'une fois, faisons en sorte qu'elle brûle le plus longtemps possible.

 

 


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