LePen et ses 3R : révoltant, révisionniste, récidiviste

par morice
mercredi 28 avril 2010

« Les juifs ont bénéficié de l’action du gouvernement du Maréchal Pétain » a affirmé ce week-end Jean-Marie Le Pen. La phrase vous a peut-être échappé, mais certains l’ont bel et bien notée comme la énième tentative du leader de l’extrême droite française de réhabiliter un régime qui a marqué de son empreinte raciste et antisémite l’histoire de la France. Comme argumentaire, Le Pen a repris celui d’un homme jugé après guerre qui avait déjà tenu les mêmes propos. Le premier « Commissaire aux questions juives » du gouvernement de Pétain. Ce n’est nullement un hasard. Le Pen, en vieux renard de la politique, sait bien ce qu’il doit au ministère d’Eric Besson. Selon lui encore, « les lois anti juives n’allaient pas jusqu’à la déportation », ce qui est la négation pure et simple du sort d’une récente académicienne : combien de temps va-t-on encore laisser cet individu falsifier l’histoire à ce point sans réagir ?

En France, en 1940, vivaient 330.000 Juifs. 75 721, dont 11 400 enfants, ont été déportés vers les camps. Seuls 2 500 et 3 000 sont revenus vivants. Si les juifs français ont été déportés, notamment par des gens comme Papon, c’est bien en raison de lois créées par le régime de Vichy, dirigé par Pétain. Lors de la rédaction de l’infâmant Statut des juifs, paru au journal officiel du 18 octobre 1940, qui débouche sur le port de l’étoile jaune, cet ostracisme évident, Pétain a activement participé, en donnant son avis à plusieurs reprises, plusieurs témoignages en font foi. Pétain était maurassien, et traînait avec lui cette pensée d’extrême droite raciste et antisémite. Lors du conseil des ministres du 1er octobre 1940, a rapporté Paul Baudoin " c’est le maréchal qui se montre le plus sévère pour que la justice et l’enseignement ne contiennent aucun juif". C’est bien l’état français dirigé par le Maréchal Pétain qui fait apposer le tampon "juif" ou "juive" sur les cartes d’identité, qui permettront plus facilement les arrestations et les rafles. Cela ne va pas vraiment dans "l’aide" aux juifs prônée aujourd’hui par LePen : le tampon conduira directement à la numérotation à même la peau, à l’arrivée des camps : Simone Veil en sait quelque chose. Son numéro 78651 reçu à Auschwitz-Birkenau, elle l’a fait graver sur son épée d’académicienne...
 
En fait, les propos de Le Pen sont la photocopie mot pour mot de ceux des amis de Xavier Vallat, à qui Le Pen a tant cherché à ressembler : lors de son procès, ils donneront la même explication au déficit de juifs français dans les camps au regard des autres pays européens : "alors que des 4 343 000 juifs autochtones qui habitaient en Autriche, en Belgique, en Tchécoslovaquie, en Allemagne, en Grèce, en Hollande, au Luxembourg, en Pologne et en Yougoslavie, il ne reste que 337 500 survivants - ce qui veut dire que 92 % de ces juifs ont disparu -, les chiffres donnés pour la France par ce document officiel publié en 1946 prouvent que si, hélas ! la plupart des juifs étrangers sont morts en déportation, 95 % des juifs de nationalité française sont heureusement survivants. Voilà la réponse." C’est cité par Robert Paxton, dans son indispensable "La France de Vichy", page 339.
 
Selon eux, c’est grâce au Maréchal, qui passera son temps à son procès à se présenter comme le "bouclier" face aux exigences allemandes, que des juifs échapperont aux camps : une thèse qui vole en éclats avec les rapports allemands retrouvés par Paxton, qui se plaignent de l’excès de zèle antijuif des français ! Le Pen, parlant comme Vallat le "Commissaire aux questions juives" , remplacé par Darquier de Pellepoix ? Logique, en ce moment, il se sent les mêmes ailes lui pousser : "la création d’un « ministère de l’identité nationale » promise aux électeurs de Le Pen et confié à Hortefeux n’a qu’un seul précédent du même type dans l’Histoire de France : le « commissariat général aux questions juives » du sinistre Xavier Vallat. Certes, nous dira-t-on, la situation n’est pas la même. Les Sans Papiers raflés ne partent pas à Drancy ou à Auschwitz, ils sont « simplement » jetés dans des avions ou des ferrys. Mais l’intention est la même : déshumaniser, traquer, créer la peur permanente. Les Sans Papiers ne vivent plus l’Etat de Droit. Ils sont passés de l’autre côté du miroir. Contre eux, la France viole tous les textes internationaux qu’elle a signés : droit d’asile, droit de vivre en famille, droit à la santé, droit à l’éducation exactement comme la France de Vichy avait privé de tout droit dès 1940 les Juifs, les Tziganes, les communistes, les homosexuels … La France d’aujourd’hui recopie même le vocabulaire de Vichy. Comme autrefois, les Sans Papiers sont officiellement « en surnombre dans l’économie française » nous dit la "La Feuille de Chou" . Du Vallat, l’homme qui avait ainsi salué le 6 juin 1936 l’arrivée de Léon Blum au gouvernement : " Pour la première fois, ce vieux pays gallo-romain sera gouverné par un Juif"...

 
En France de 1940, soumis à des lois antijuives, les actions de soutien aux Juifs seront toutes des actions individuelles, qui mettront en danger ceux qui décideront de les mettre en œuvre. Car en face d’eux, il y a désormais des lois, édictées par le gouvernement de Pétain, quoi qu’en dise Le Pen. "Bien avant que l’Allemagne nazie fasse la moindre pression, le gouvernement de Vichy, dans l’urgence absolue, produit dès octobre 1940 une série de lois organisant l’exclusion sociale des juifs, nationaux ou étrangers, résidant en France. C’est ainsi que la loi du 3 octobre 1940 leur interdit d’appartenir à des organismes élus, d’occuper des postes à responsabilité dans la fonction publique, la magistrature ou l’armée, et d’exercer une activité ayant une influence sur la vie culturelle (enseignants, journalistes, producteurs ou réalisateurs de films ou de programme radios). La loi Crémieux de 1871, étendant la nationalité française aux juifs d’Algérie est abrogée le 7 octobre. La loi du 21 avril 1939, qui punissait les outrances antisémites, est également abrogée. L’exclusion n’est plus simplement permise, mais également l’injure qui d’ordinaire l’accompagne". 
 
 Je vous ai déjà cité l’exemple d’un homme admirable qui a beaucoup fait pour sauver des milliers de juifs. Or cet homme était à la tête d"un service qui aurait pu faire des ravages s’il avait été mis au service pleinement de la vision raciste de Vichy. Quand Le Pen ose affirmer que les juifs français, comparés aux pays voisins, dont notamment la Hollande, ont moins subi la déportation, il ne fait que constater le travail admirable de René Camille, le créateur de l’INSEE et le directeur du "Service National des Statistiques". J’ai déjà rendu compte ici de son travail exemplaire "Très vite, il se heurte aux vues de Vichy, qui désire introduire dans ses recensements la notion de juif, selon l’infâme statut des juifs promulgué dès le 3 octobre 1941, année où doit avoir lieu le recensement (quinquennal) français. Pendant trois années, l’homme qui en France pouvait ficher toute la population juive fera tout pour en délayer la réalisation ou en fausser les résultats. C’est René Bousquet qui va passer outre, en effectuant ses rafles à partir des maigres renseignements de police qu’il a, dont de nombreuses fausses dénonciations. Même chose pour le STO : dès 1942, le gouvernement de Vichy demande à Carmille de lui fournir grâce à ses cartes perforées les noms des hommes à envoyer en Allemagne. L’homme rechigne une seconde fois, et à Vichy on s’impatiente. A la Gestapo aussi..." Camille était un juste, même s’il n’a toujours pas été reconnu en tant que tel, un de ceux qu’a salué ce week-end le grand rabbin de France en insistant sur leur démarche individuelle avant tout :"les trois quarts de la communauté juive (avaient) survécu, notamment grâce à l’aide de familles françaises. (...) Nous ne devons pas oublier la fraternité et l’héroïsme de tous ces Français qui ont permis à des Juifs de survivre »."
 
Le Nord a eu aussi les siens, salués parfois bien tard : ainsi Marianna Tysiak, aujourd’hui 86 ans, d’origine polonaise, et catholique, et ses parents, demeurant à Loos-en-Gohelle, près de Lens, qui avaient hébergé et sauvé deux enfants juifs. Tous trois reconnus en 2009 par la commission Yad Vashem "Juste parmi les nations" pour avoir sauvé Marie et Norbert Cymbalista, âgés de sept ans et trois ans en 1942. Son nom et celui de ses parents sont gravés depuis sur le mur d’honneur dans le Jardin des justes, sur le site de Yad Vashem, à Jérusalem. Ils avaient aussi sauvé auparavant Abel Kestenberg et Hélène Grunfas. L’histoire exemplaire de la famille de Justes Tysiak avait été retrouvée par une classe d’histoire, des élèves de troisième du collège René Cassin à Loos-en-Gohelle, et de leur professeur, Sylviane Roszak, que l’on salue ici-même. 
 
Leur histoire exemplaire va à l’encontre des déclarations de Le Pen, car ils ont bien agi selon leur seule volonté, en prenant de très grands risques : "En 1942, la situation des Cymbalista, juifs et eux aussi originaires de Pologne, devint difficile dans la ville de Lens où ils vivaient. Ils placèrent donc leurs enfants chez les Tysiak. Puis ils furent arrêtés lors de la rafle du 11 septembre 1942 (qui comptera 528 déportés à Lens *), déportés à Auschwitz dont ils ne revinrent pas. Les Tysiak décidèrent alors de cacher les enfants Cymbalista, d’autant plus que les Allemands, peu avant la rafle, étaient venus chercher un autre enfant juif que le couple hébergeait. Sa mère avait accepté de dire aux Allemands où se trouvait son enfant et de les accompagner pour le récupérer. Elle pensait ainsi le garder avec elle, dans la déportation" . Des risques énormes : "Un jour de 1944, les Allemands ont débarqué à la ferme des Tysiak, sans que les enfants aient le temps de se réfugier dans la porcherie. Ils se cachèrent sous un lit. En fait, ils avaient été dénoncés par un collaborateur. Les Allemands recherchaient donc les enfants juifs mais Marianna Tysiak, qui avait séjourné en Allemagne avant son arrivée en France, connaissait l’allemand et entama la conversation avec eux pour leur expliquer que les enfants avaient quitté leur domicile depuis longtemps. Elle bavarda futilement avec ses visiteurs et évoqua leur Allemagne. Ils en oublièrent de fouiller complètement la maison. Les enfants furent sauvés grâce au sang-froid de leur protectrice. « Moi, pendant ce temps, je n’arrêtais pas de trembler, cachée sous le lit », confia Myriam Troper-Cymbalista." 
 
Les exemples, comme ailleurs en France, dans la région, ne manquent pas : "de l’antisémitisme qui a sévi avant les grandes rafles lensoises, Marie garde le souvenir honteux des quolibets et des insultes. Elle garde surtout le souvenir de l’intuition de ses parents. "À bord d’une K Z 4 Renault, nous avons pris le chemin de l’exode jusque Quimper. Si je ne me trompe pas, nous sommes restés en Bretagne jusqu’en 1941." Puis ils sont revenus à Lens et la vie a repris presque normalement, malgré la présence des Allemands. "Hélas, tout s’est précipité : recensement au commissariat, port obligatoire et payant de l’étoile juive... Bien avant septembre 1942, mon père avait eu vent que quelque chose allait se passer. Il avait cherché de l’aide auprès d’une organisation clandestine. Mme Maréchal, appelée alors "La comtesse" a pris en charge Marie, ses frère et sœur et d’autres enfants juifs. Munie de documents officiels en ordre, elle a accompagné les gamins en zone libre. "De nos parents, restés à Lens, nous n’avions que peu de nouvelles. Une des dernières lettres de nos grands-parents paternels ne laissait pas de doute quant au sort réservé aux juifs de Pologne." Encore une fois, sauvés par une initiative personnelle, alors que le port de l’étoile juive les condamnait à l’extermination ! C’est bien l’administration française qui "convoquait", et des policiers français qui arrêtaient ! Un film récent l’a bien montré, à ceux qui en doutaient encore !
 
C’est donc bien du révisionnisme que d’attribuer à Pétain le fait d’avoir sauvé une partie des juifs : ce sont bien ses lois, parafées par lui, et les policiers français qui remplissaient les trains de Papon en partance pour Buchenwald ! René Camille, lui, avait pris une initiative purement individuelle en reculant le plus possible l’usage des premières machines mécanographiques Hollerith-IBM pour calculer le nombre de juifs à envoyer en camp d’extermination. Camille sera arrêté par Klaus Barbie en personne."Il part dans le dernier convoi pour Dachau, où il meurt du typhus le 25 janvier 1945, ayant rejoint ceux qu’il avait protégés quatre années de suite en sabotant ses propres statistiques ! Deux jours plus tard, l’armée rouge pénétrait dans Auschwitz et y découvrait 7500 rescapés seulement". La France lui est redevable des milliers de vie sauvées, pas Pétain, sinon il n’aurait pas fini en camp de concentration !
 
La différence entre la Hollande et la France n’est due en rien à une hypothétique action de Pétain, mais bien à une mise en place différentielle des machines mécanographiques à calcul rapide, celle décidée par Camille, résistant à l’emprise antijuive souhaitée par Pétain. "En Hollande, ou un homme tout dévoué aux nazis fera chauffer ses Dehomag, le taux de juifs assassinés sera plus du double de celui de la France. La Hollande a versé mécanographie dès 1916, et en 1940 IBM y crée la Watson Bedrjfsmachine Maatschappij N.V, dirigée par JW. Schotte, qui travaille donc sur du matériel estampillé IBM. JW Schotte, resté à New-York, sera secondé sur place par Pieter Van Ommeren, qui va mettre un zéle certain à recenser les juifs de son pays, aidé par un démographe, Jacobus Lambertus Lentz, même pas antisémite, mais particulièrement aux ordres. C’était lui qui avait préparé l’administration hollandaise, parlant même de "l’homme de papier" qu’était devenu grâce à lui chaque hollandais. Le 10 janvier, l’ordre lui est donné de recenser tous les juifs du pays par le décret 06/41 signé de Frederich Wimmer, secrétaire d’état nazi". Cela, soit Le Pen le nie, soit il l’ignore : en tout cas, il se trompe sur l’analyse des faits. Comme a son habitude, il verse révisionniste, refaisant l’histoire à sa façon. En faisant une nouvelle fois son Vallat. C’est le même Le Pen qui taxe les camps d’extermination de "détail" de l’histoire, c’est le même qui était dans la salle en train d’écouter Dieudonné amenant sur scène le pape français du négationnisme : Robert Faurisson. Il ignore même, Le Pen, d’où venait exactement le gaz pour exterminer  : "le gaz qui a été utilisé par les nazis pour exterminer les juifs avait été aussi fabriqué... en France. Chez Ugine (Ugine-Kuhlman), à Villers-Saint-Sépulcre, dans l’Oise, près de Beauvais."  Comme il ignore le sort d’ Hélène Berr , la "Anne Frank française", dont il convient de lire l’ouvrage... dans les écoles, sinon partout.
 
Les faits sont là et sont tenaces  : "non, contrairement à la légende complaisamment répandue, Vichy n’a rien protégé. En promulguant une législation d’exclusion, en privant les juifs de leurs droits fondamentaux, de leurs emplois et de leurs biens, l’État français a grandement préparé le travail des nazis et c’est la police aux ordres de Vichy qui, seule ou aux côtés des Allemands, a raflé les juifs dès mai 1941, un an avant la rafle du Vel’ d’Hiv". 
 
Quand il n’est pas négationniste, il est révisionniste : l’homme qui a vendu un disque sur les chants nazis souhaite toujours remodeler l’histoire selon sa vision des choses : or les faits historiques lui montrent qu’il se trompe, et que ses tentatives répétées de disculper les responsables porte un nom. C’est une tentative perpétuelle de faire du fascisme une idéologie acceptable. Le Pen se prend depuis toujours pour maître Isorni, l’avocat de Pétain qui a passé sa vie à tenter de le réhabiliter. Elle ne l’est pas, acceptable, cette idéologie. Et les français n’en veulent plus : ils ont déjà eu Pétain.
 
(*) on peut voir dans la rafle du 11 septembre à Lens une autre rafle du vel’d’hiv nordiste. "En juin 42, ils sont recensés et doivent porter l’étoile jaune. En juillet, c’est la rafle du Vel’ d’Hiv et le 11 septembre, le jour de Roch Hachanna, le nouvel an juif, une autre grande rafle est organisée dans notre région et en Belgique. On le sait moins, mais elle est équivalente au Vel’ d’Hiv."
 

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