Les actuels défis environnementaux peuvent-ils être la fin des démocraties ?

par Zacharie
lundi 17 avril 2017

En mars 2010, James Lovelock, célèbre environnementaliste britannique, déclarait au Guardian :

« (…) even the best democracies agree that when a major war approaches, democracy must be put on hold for the time being. I have a feeling that climate change may be an issue as severe as a war. It may be necessary to put democracy on hold for a while. ».

C’est à dire que « (…) même les meilleures démocraties admettent qu'à l'approche d'une guerre importante, la démocratie doit être suspendue provisoirement. Il me semble que le changement climatique est peut-être une chose aussi grave que la guerre. Il pourrait être nécessaire de suspendre la démocratie pour un certain temps. »

 

Hein ? Quoi ?

Le documentaire « Deux degrés avant la fin du monde » du groupe Data Gueule publié en 2015 explique plusieurs choses au sujet du réchauffement climatique. D’abord le fameux objectif de deux degrés d’augmentation entre les années 1850 et 2100 est fortement compromis puisqu’aujourd’hui, en moyenne, on enregistre déjà 1,15 degré de réchauffement depuis 1850, dont 60% s’étale sur les quarante dernières années. Ensuite, entre 1960 et 2013, la production mondiale de blé a diminué de 2 % et celle de maïs de 1,2%. La population mondiale, elle, a augmenté entre 1950 et 2015 de 191 %, passant de 2,5 milliards de personnes à 7,3 milliards. Enfin qui dit réchauffement dit montée des eaux, en effet la montée du thermomètre empêche peu à peu à l’Arctique de se reformer en hiver et le fait fondre en été, et le niveau des mers augmente. On enregistre ainsi une hausse moyenne de 1,7mm/an entre 1900 et 1993 et une hausse moyenne de 3,2 mm/an entre 1993 et 2010.

 

Un premier constat s’impose à nous : l’évolution des défis auxquels nous faisons face prend un caractère exponentiel, qui ne sont pas sans conséquences.

 

Dans ce même documentaire, les propos de Lucile Maertens, chercheuse à Sciences Po Paris et docteur en relations internationales, sont recueillis. Le manque de ressources génère des conflits. Les pays d’Afrique, par exemple, sont touchés de sécheresses plus fréquentes, ce qui pénalise des populations généralement paysannes. L’affaiblissement des conditions de vies peut alors faciliter la récupération politiques par des puissances terroristes menaçant nos démocraties : Boko Haram, Daesh… Il est alors indéniable d’imputer une partie de la responsabilité dans la genèse de grands conflits – et donc catastrophes humanitaires- comme en Syrie, au Yémen, en Somalie au réchauffement climatique. Pour revenir au cas de la fonte des glaces, cela génère en outre d’autres tensions, à savoir d’une part la convoitise des nouveaux puits de gaz et de pétrole, essentiels à l’activité humaine aujourd’hui et l’emergence de nouvelles routes commerciales plus performantes dans le cadre du Groenland ou de l’Arctique d’autre part. C’est ainsi que l’ex secrétaire général de l’ONU Ban Ki Moon publie en 2009 un rapport démontrant que le réchauffement climatique est un facteur de menaces, puis déclare en 2011 que ce dernier est une menace à la paix.

Ces informations en tête, nous pouvons revenir à Monsieur Lovelock, résumons son propos ainsi : nous avons vu que le réchauffement climatique peut être source de guerres, par conséquence celui-ci est aussi grave que la guerre elle même, peut-être pire. Alors réfléchissons ainsi : en quoi la démocratie peut-elle être un frein à la guerre, justifiant alors sa suspension pour mieux gérer la guerre ?

 

Empêcher toute contestation…

 Un point évident : si on est en guerre, il vaut mieux éviter de compromettre son bon déroulement, or en démocratie logiquement, chacun à le droit de donner son avis, puisque le pluralisme politique et la liberté d’expression sont de mise. De fait, on peut décider de refuser la guerre, comme ce fut le cas pour certains allemands lors de la Première Guerre mondiale, ou de la guerre du Vietnam ; pour toutes les guerres en réalité. Cependant, les contestations de la guerre du Vietnam ne pouvaient avoir lieu qu’en dehors du pays, et nous éloignons donc de notre sujet. En Allemagne en revanche s’est formée une Union Sacrée, c’est-à-dire que les partis politiques oublient temporairement leur clivage pour le temps de la guerre, afin de soutenir l’Empereur. Nous voici dans un exemple de nécessité de suspendre la démocratie.

 Supposons maintenant que le réchauffement climatique remplace la guerre. Si l’on suppose aussi que la priorité de le combattre mondialement est donnée, et étant donné l’évolution exponentielle des dangers qui en découle, il serait alors contre productif d’autoriser telle ou telle personne de s’opposer au programme. Dans ce cas la suspension de la démocratie serait alors reconnue d’utilité et de nécessité publique, à l’instar de l’article 16 de la Constitution de la Ve République.

 

…et donc permettre une mobilisation générale

 On le dit souvent : si votre pays est en crise économique, déclenchez une guerre ! Grossièrement, l’effort de guerre permettra de la production, donc de la croissance et donc une relance de l’activité économique, ce fut le cas dans les deux Grandes Guerres par exemple : les hommes au front et les femmes à l’arrière pour produire, construire, cultiver... et permettre un maintien de l’effort de guerre. Cette thèse vaut si on a de la main d’œuvre à mobiliser, et, comme précisé ci-dessus, une contestation de la part d’une partie de la population serait autant de main d’œuvre potentielle de perdue.

Ce raisonnement très économique vaut également pour le réchauffement climatique : selon nos hypothèses, il faudrait donc une mobilisation générale et totale pour le combattre, afin de pouvoir contrôler la situation le plus rapidement possible.

 

Protéger la démocratie…

 « Pourquoi supprimer la démocratie ? Mais pour la protéger voyons ! » . L’article 16 de la Constitution française a un but : garantir la pérennité des institutions républicaines, donc démocratiques. Si la démocratie est directement menacée, la suspendre pour permettre de gérer plus vite la crise permet in fine de pouvoir la rétablir par la suite, inversement, conserver la démocratie en temps de guerre risquerait de la détruire durablement, pour finir par instaurer un autre régime politique.

 On sait que le réchauffement est source de tensions, donc de menaces aux démocraties. Affronter directement le problème et suspendre la démocratie apparaîtrait alors comme nécessaire à sa survie, puisque sont maintien la menace elle-même.

 

… pour diffuser la démocratie à long terme.    

C’est l’Histoire du monde lui même, plusieurs démocraties sont directement nées de la guerre, après les défaites des régimes précédents, notamment sous l’influence des U.S.A. Les USA n’ont pas eu besoin de suspendre leur démocratie, mais en aurait-il été autrement pour d’autres puissances hypothétiques ayant une conception différente de la démocratie, celle d’une « flexi-démocratie » ? Si l’on suppose que lors d’une guerre entre une démocratie et un régime autre, et que la démocratie, par sa suspension, à vaincu le régime, alors elle pourrait essayer d’implanter la démocratie dans le vaincu, ou alors des populations pourrait d’elles même défaire le régime en place s’il ne leur convenait pas.

Cet argument très hypothétique peut s’appliquer au réchauffement climatique : plusieurs populations en conflit souhaitent la démocratie aujourd’hui, que ce soit en Afrique ou au Moyen Orient, des mouvement démocratiques naissent. Si on sait que certains conflits sont liés au réchauffement (appauvrissement des moyens de subsistance), alors de par la suspension des démocraties pour le limiter permettrait peut-être à terme de faire disparaître certains conflits et d’amener à la démocratie.

 

 

En somme, on pourrait supposer que les défis environnementaux, notamment le réchauffement, pourraient mener à la fin de la démocratie ; mais dans le but de la restaure par la suite. On peut donc donner raison à Lovelock. Cependant cette vision est très limitée : le réchauffement, déjà très avancé, et ses conséquences pourraient déjà surprendre les démocraties et les détruire durablement, s’il est trop tard. De plus suspendre les démocraties dans cette lutte résulterait d’un consensus mondial, semblable aux accords de la COP21 par exemple, dont on sait que les compromis on en quelque sorte « vidés » les accords de consistance ; de plus, certains pays ne seraient pas enclin à abandonner la démocratie, au nom de leur histoire ou de leur qualité de vie. Ayant une vision souvent de court terme, on peut supposer le cas d’un consensus mondial de cette nature comme étant utopiste et irréalisable. Enfin, à la manière du paradoxe d’Easterlin, si l’on parvient à ce consensus, la lutte contre le réchauffement est et sera permanente, selon notre thèse, il est très probable que suspendre la démocratie au nom de la lutte signifie la fin de la démocratie.


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