Les « bébés couples », un phénomène nouveau ?

par Eric Donfu
mardi 18 janvier 2011

De nombreux parents s’inquiètent de voir leur fils ou leur fille vivre en couple, sous leur toit, dès 15 ou 16 ans. Des couples qui peuvent même durer, et se prolonger au-delà de vingt ans. Ce phénomène est-il récent ? Comment est-il vécu par les parents ? Que révèle-t-il de la situation de ces jeunes, en 2011 ?

En un demi-siècle, la France a connu l’urbanisation croissante accompagnée du développement de la famille nucléaire, puis la diminution de la taille des ménages, et aujourd’hui la diversification des parcours résidentiels qui va de pair avec la montée de l’individualisme.

Mais si ce phénomène des « bébé couples » est bien récent, il surprend surtout par la forme qu’il prend aujourd’hui, c’est-à-dire la cohabitation avec les parents. Hier, il y a cinquante ans, et jusque dans les années 70, on attendait d’être marié pour habiter avec son conjoint. On convolait pour la vie, les femmes se mariaient jeunes et faisaient des enfants jeunes. Aujourd’hui, l’âge moyen à la naissance d’un enfant est passé de 24 à 30 ans, et plus de la moitié des enfants naissent hors mariage. Les relations avec les parents sont passées de la norme au lien, et une complicité unie souvent la mère et la fille. Les calendriers de vie sont bouleversés, on quitte le foyer parental plus tard, sans exclure d’y revenir un jour, si besoin. Face aux difficultés de logement, la famille apparaît comme un point d’ancrage : la solidarité entre générations s’exerce de manière privilégiée autour du logement et le choix résidentiel obéissant autant à une logique familiale qu’à une logique économique. L’autonomie résidentielle, c’est-à-dire la situation dans laquelle un jeune ne réside plus au foyer familial tout en restant à la charge financière de ses parents est également importante aujourd’hui, tout en étant mal connue.

En France, en 2011, la situation des jeunes n’est pas brillante. En 2009, la France comptait 8, 18 millions de jeunes de 16 à 25 ans, représentant 12,7% de la population. L’augmentation de leur autonomie, et en particulier celle des femmes, se heurte à l’allongement des études et au chômage des jeunes, avec un taux de chômage de plus de 20% (de 7 point supérieur à la moyenne des autres pays riches) et un taux d’emploi des 16-25 ans de 28,5% au 4e trimestre 2008, soit un des plus faible d’Europe. Trois ans après leur sortie, 11% des diplômes de l’enseignement supérieur sont au chômage. Un cinquième des jeunes de 16-25 ans vit en dessous du seuil de pauvreté (20,2% contre 13% de l’ensemble de la population). Les tensions sur le marché du travail ont aussi eu des répercussions sur les niveaux des salaires (avec un impact sur les revenus disponibles), des enfants comme des parents. La progression des formes d’emplois précaires touche aussi les jeunes et les femmes. Conjugués avec la rigidité du marché locatif, ces différents facteurs expliquent les difficultés des jeunes à accéder au statut d’adulte.

Dans ce contexte, si un quart des jeunes des années 50 accédaient à l’ensemble des attributs de l’indépendance avant 22 ans, cette proportion a décru pour ne concerner que 8% des générations nées au début des années 70. Pas étonnant donc que 91,5% des jeunes de 20 ans et 63% des jeunes de 16 à 25 ans vivent chez leurs parents, contre 18% qui ont constitué une famille et 13% qui vivent seuls. Et même lorsqu’ils ne sont plus scolarisés, la moitié d’entre eux cohabitent toujours avec leurs parents. D ‘ailleurs, 90% des jeunes ayant quitté le domicile familial sont locataires et la majorité d’entre eux vivent dans les grandes villes et dans un petit logement. Notons aussi que 20% des personnes sans abris en Ile de France étaient des jeunes de 18 à 25 ans. L’absence d’un emploi stable et la rareté des logements bon marchés constituent donc des obstacles majeurs à l’accès à l’indépendance des jeunes quittant leur famille.

Dans le contexte, ou l’âge moyen de la mère à son premier enfant augmente, il ne faut pas négliger les différences liées à la classe sociale. Les femmes diplômées font leur premier enfant à 30 ans, contre 25 ans pour celles qui n’ont aucun diplôme. Si, depuis 10 ans, toutes les femmes font des enfants de plus en plus tard, il faut noter que l’âge moyen au premier enfant a reculé de 13 mois entre 2000 et 2008 chez les non diplômés. Ces femmes se mettent en couple plus tôt, avec un premier enfant plus tôt, se retrouvent souvent en situation monoparentale plus jeune et se remettent régulièrement en couple après, en refaisant éventuellement un autre enfant.

Mais l’impact des « bébé couples » n’est pas facile à traiter. Ces couples peuvent-ils durer ? Il semble que le développement des personnalités laissent assez peu de chances à un couple formé à 16 ou 17 ans, de tenir à trente ans. Constitués dans l’amour fusion alors que aucun des deux ne sait vraiment qui il est, ils peuvent déboucher sur une opposition qui se révèle entre deux étrangers. Mais, et au-delà du fait que les hommes et les femmes ont rarement les mêmes attentes, il peut exister des cas d’harmonies qui dépassent les générations. Nous les définirons cependant comme des exceptions. En effet, si les femmes forment leur premier couple à 23 ans et les hommes à 26, la durée de vie des couples mariés est de treize ans en moyenne, et celle des couples non mariés de huit ans. Et de couple en couple, l’individu se transforme.

Nous assistons en ce moment à une précocité de la maturité sexuelle des enfants. Dès 9 ou 10 ans, les filles ont déjà conscience de leurs charmes. Garçons et filles se connectent sur facebook et plus de la moitié d’entre eux a déjà vu des images pornographiques à onze ans. A15 ans, 20% des jeunes filles ont déjà eu des relations sexuelles, souvent à l’âge de 13 ans. La mode des « sex-friends », ces « copains de baise », des relations que l’on choisit juste pour faire l’amour, avec un code excluant tout sentiment avec eux, est une pratique minoritaire, mais de plus en plus répandue. En fait, avec l’acceptation de plus en plus courante de l’homosexualité, il semble bien qu’une petite révolution sexuelle se profile, avec une recherche des petits et des grands plaisirs, sans exclure le grand amour mais en voulant tout… Une libéralisation sous couvert d’un retour à la norme, quand une jeune fille vous répond que les « sexfriends » c’est pour « ne pas coucher avec tout le monde, comme on fait nos parents… » 

D’ailleurs, le fait sensible, concernant les bébés couples, est souvent l’attitude des parents. Car pour un couple de parents, accepter l’intrusion d’un copain ou d’une copine dans le foyer conjugal relève d’une élévation du niveau de tolérance. Sans compter que, à la sortie de l’adolescence, le premier couple se forme souvent sur le modèle parental, en mimétisme ou en opposition, il faut que les parents acceptent que leur enfant ait une vie sexuelle, sous le même toit.Et ce alors que la vie intime des enfants ne concerne pas ses parents…Alors, les cas où la conjointe ou le conjoint fait désormais « partie de la famille » sont courant, mais ceux où les parents s’opposent à cette cohabitation précoce aussi.

Mais, même si le mariage est en déclin, dépassé par le PACS dans de nombreux départements, et même si l’on se sépare plus qu’il y a vingt ans, le couple reste bien une valeur centrale. L’exigence est plus grande, mais en 2011, peu de gens résistent à sa pression. La saint valentin fait toujours recette, et les célibataires représentent un marché juteux… Alors, comment déplorer que, avec « les bébés couples » (terme qu’ils réfutent) même les ados s’y mettent ? 

Eric DONFU 


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