Les bourses ou la vie !

par Jacques-Robert SIMON
mardi 28 août 2018

Le choix qui s’impose urgemment à tous, à cause des divers dérèglements politiques, économiques et écologiques, est un choix pour longtemps, pour toujours, car une valeur suprême, indiscutable, doit se dégager : la Vie ou l’Argent.

 Parler d’argent c’est se demander si les réserves encore disponibles de pétrole correspondent à 50 ou 100 ans de consommation, s’il en est de même pour le gaz, si les immenses réserves de charbon pourront être utilisées, si l’énergie nucléaire pourra bénéficier de réacteurs de seconde génération pour abonder l’humanité pour des millénaires, si le lithium est assez abondant pour toutes les voitures électriques programmées, si les terres rares sont bien distribuées à la surface du globe, si le cuivre, l’argent, le zinc, le germanium… ne viendront pas à manquer.

 Mais le problème n’est pas là : une intransigeante intelligence collective basée sur une éducation individuelle qui promeut l’intelligence plutôt que le dressage peuvent scientifiquement et technologiquement venir à bout des difficultés les plus terribles. Tout au contraire, l’appât du gain, la fascination de la réussite individuelle, ne peuvent pas, et n’ont jamais pu dans le passé, fournir des solutions aux problèmes car ils en sont la source.

 Mais l’argent peut tout acheter dit-on partout, il aliène les corps comme les âmes, c’est par lui que tout débute ! Plutôt que de contredire théoriquement ces billevesées, il est plus efficace de prendre un exemple concret, une expérience sociologique portant sur plusieurs millions, plusieurs dizaines de millions de personnes. L’histoire de l'Arabie saoudite et la saga du pétrole nous le fourniront.

 En 1932 naît l’Arabie saoudite concrétisant les conquêtes d’un chef de tribu sur une grande partie de la péninsule arabique. Le pays est extrêmement pauvre à sa création. En 1938, un premier gisement pétrolier est découvert par une compagnie américaine qui deviendra quelques années plus tard l’Arabian American Oil Company (Aramco). Malgré quelques subterfuges, la compagnie est entièrement gérée par les États-Unis. L’Arabie saoudite connaît un enrichissement vertigineux à partir des années 1970. Cette richesse lui sert en particulier au financement de mosquées à l’étranger, dans lesquelles est prêché le wahhabisme, version rigoriste de l’Islam. La vente de pétrole a permis un enrichissement considérable des quelques 28 millions de saoudiens actuels. Le PIB par habitant de l’Arabie est supérieur ou comparable à celui de la France selon le mode de calcul. Des apports financiers externes énormes ont donc été faits mais aucun savoir-faire local animé en propre par les saoudiens n’a émergé, ni scientifique, ni technique, ni artistique, ni littéraire, ni philosophique. L’Arabie Saoudite compte environ un tiers d’étrangers parmi sa population, pour beaucoup, mais pas seulement, des travailleurs peu qualifiés, des chauffeurs, des bonnes… qui permettent un mieux vivre aux nantis. Mais l’insuffisance structurelle de main-d'œuvre locale qualifiée en matière technologique a conduit l'Arabie saoudite à s’adresser à des contractants étrangers pour les projets industriels livrés clefs en main, y compris pour la maintenance et l’exploitation des usines ou des équipements. Des efforts de saoudisation ont bien été faits, mais, de nos jours, des domaines aussi stratégiques que l'électronique, l'informatique ou l'optique manquent cruellement de compétences locales.

 L’épandage sans limite d’argent dans un pays donné pendant 86 ans n’a donc conduit à rien d’autre que d’enrichir et d’enkyster une caste sans engendrer le moindre talent, la moindre vertu. Le pétrole ne rend pas riche mais pauvre en génie, en énergie, en valeurs. L’Arabie est la règle, pas l’exception. Très souvent les pays pauvres dotés de ressources naturelles abondantes sont incapables de sortir du sous-développement. C’est le rôle pervers de l’argent Roi : il conduit au pouvoir des gens inintéressants et sans projet autre que celui de continuer de bénéficier des privilèges dont ils disposent. L’argent facile conduit aussi les moins méfiants de se complaire dans une langueur mortifère.

 La bourse, ou plus exactement le pouvoir financier, règne maintenant avec les mêmes effets sur la planète entière et fait donc régner la même loi que celle installée depuis presque un siècle en Arabie : la puissance des privilégiés stériles qui n’oeuvrent pas pour bâtir une quelconque société mais qui utilisent leur bonne fortune pour rester puissant ou le devenir de plus en plus.

 Mais les bourses vont de pair avec la Bourse et l’argent-Roi.

 De tout temps le libertinage et la pratique plus ou moins intensive des divers modes de vie amoureuse ont constitué la norme dans la caste dirigeante, ils étaient inaccessibles à la piétaille. Les risques sociaux étaient minimes lorsqu’on se trouvait au sein des puissants. Ces risques deviennent des périls lorsque son seul travail, et non pas l’accumulation du travail des autres, permet de vivre voire quelquefois de seulement survivre. Ce ne sont pas les pratiques qui sont condamnables, c’est le fait d’offrir une impasse comme exemple social à suivre qui est dramatique. Sur un paquet de cigarette des photos ignominieuses devaient permettre de se prémunir de l’usage d’un produit dangereux. C’est tout le contraire pour les bourses : plus elles sont exhibées plus la modernité s’installe. L’instabilité familiale et comportementale est peut-être le signe du génie pour quelques artistes, mais pour une femme seule avec ses enfants c’est plutôt le signe qu’elle a tenté d’atteindre la médiocrité d’une certaine élite incapable d’aller au-delà de ses jouissances élémentaires.

 La mercantilisation forcenée de la planète est tellement avancée que plus personne n’ose proposer un plan de vie alternatif sous peine de moqueries voire de bannissement social. Pourtant tous les progrès dont nous bénéficions ne furent pas les produits d’un investissement, le résultat de calculs financiers ; ils ne furent pas conduits pour gagner, n’eurent pas pour dessein de gravir l’échelle sociale, de dépasser les autres. Marie Curie qui travailla dans « un laboratoire tenant à la fois de l’étable et du hangar à pommes de terre » pourrait en témoigner. Il faut un tout autre sacré que les bourses, il faut revenir à la vie. L’argent n’est qu’un moyen de quantifier les échanges, il perd toute vertu lorsqu’il se transforme en source de pouvoir car alors il interdit l’amour.


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