Les causes de la délinquance, lettre d’une éducatrice à un éducateur

par BUOT-BOUTTIER
lundi 22 janvier 2007

Cher collègue éducateur,

« Ne prenons pas le problème à l’envers, c’est bien cette société qui produit de la violence, et ceci n’est que la conséquence des maladresses successives de nos politiques ! », dites-vous en partie lors d’un commentaire déposé sur le blog « L’EDUC écrit ». Au risque de vous paraître désagréable, je me permets de préciser que je ne vous rejoins pas sur le propos. Car s’il est des responsables à trouver face à la situation de délinquance de certains jeunes aujourd’hui, la seule évocation de la société et des politiques me paraît réductrice et caricaturale. La situation n’est-elle pas, en effet, plus complexe que cela ?

Si certains jeunes flirtent avec Dame délinquance seulement parce que la société est violente et les politiques inefficaces, pourquoi les jeunes ne sont-ils pas alors tous délinquants ? Parce qu’ils sont pauvres et exclus, me répondrez-vous peut-être ? (Excusez-moi, cher collègue, pour ce "petit jeu" de questions-réponses). Mais la violence n’est pas, il me semble, l’apanage des pauvres, encore moins leur fatalité ! Et il en va de même pour le mécanisme de l’exclusion, qui est malheureusement inhérent à la société humaine. L’exclusion n’est pas que sociale ou culturelle, elle revêt bien d’autres parures. Elle peut être psychologique (je fais référence ici aux personnes considérées comme "hors norme" parce que souffrant de difficultés psychologiques), affective (exclure l’autre à travers un rejet d’ordre affectif), liée à l’origine, au savoir-être (rejeter l’autre parce qu’il est différent, l’homophobie en est un exemple), liée à la pensée... En ce sens, beaucoup ont à supporter les affres de l’exclusion, à des degrés divers certes, mais la peine fut encore plus douloureuse pour quelques uns que pour certains gamins des quartiers. Et ils ne sont pas nécessairement devenus délinquants.

Le tout est, me semble-t-il une question de norme dominante dans laquelle il est de bon ton de s’inscrire. Or nous sommes bien là au cœur d’une problématique sociétale face à laquelle chacun est assujetti. Etre dans la norme et se fondre dans la masse ou oser être singulier au risque de se voir parfois exclure de la communauté. Et le secteur social n’y échappe pas. Il est en effet actuellement de bon augure chez les éducateurs qui oeuvrent dans le social (en opposition avec le champ du handicap) de critiquer fiévreusement M. Sarkozy, et ce, quoi qu’il fasse et quoi qu’il dise, n’est-ce pas là une forme de pensée dominante et excluante ? Je ne défends pas particulièrement la politique du ministre de l’Intérieur mais toutes les propositions sont-elles à rejeter en bloc ? Quoi qu’il en soit, le débat est quasi-impossible à mener sur le terrain, sous peine d’une forme d’exclusion de la communauté éducative (en faisant en sorte que "l’éducateur traitre" parte de lui-même...). Mais pour en revenir à nos jeunes « pauvres et exclus qui vivent dans une société violente, dirigée par des politiques qui ne servent à rien », (j’assume ici la caricature de vos propos dans la mesure ou ce discours est celui de bon nombre d’éducateurs de rue), mon expérience quotidienne ne m’amène pas à penser la situation de la même manière que vous. Beaucoup de ces jeunes évoluent dans une posture de toute puissance, certains s’inscrivent dans une réelle impunité, et ce malgré des délits parfois graves. D’autres, parfois les mêmes, bien que sans emploi, passent leur vacances en Thaïlande où ils paieront une Asiatique pour les accompagner et leur donner du bon temps durant le séjour, en se moquant des éducateurs qui partent en vacances au camping. Les vêtements de certains sont des marques de la tête aux pieds, leur portable est dernier cri, tout comme la console dans la poche. Ces jeunes ne sont-ils que des vicitimes ? Ne peut-on pas les appréhender également comme des acteurs de leur posture d’aujourd’hui et surtout de celle qu’ils pourraient adopter demain ? Une jeune fille m’a résumé récemment la pensée de certains : « Pourquoi aller bosser huit heures par jour pour payer ton loyer et ta voiture alors que tu peux gagner la même chose en quelques jours ? ». Elle faisait référence au trafic. Ce dont je parle ici, c’est du quotidien de mon travail d’éducatrice en prévention spécialisée. Or, je crois à la portée d’un accompagnement éducatif auprès de ces gamins, je crois à un vrai boulot éducatif mais pas tel qu’il est mené actuellement sur le terrain. Pas dans un tel contexte de victimisation. Face à ces nombreux constats, bien réels, quelle est mon hypothèse ? Que la responsabilité est tant partagée qu’elle finit pas être diluée... Les politiques n’ont pas anticipé le phénomène, peut-être par manque de volonté ; l’école n’a pas été en mesure de s’adapter ; certains parents, et je dis bien "certains", desdits gamins ne se responsabilisent pas suffisamment face à leur enfant, ils ne disent pas l’importance de l’école, ont peur parfois de dire non ; le décalage culturel de certaines familles ne représente pas toujours une aide dans ce contexte ; les éducateurs de rue, premiers acteurs sociaux sur les quartiers, sont trop souvent responsables d’un discours de victimisation des jeunes, ils ne les aident pas à se responsabiliser, à être acteurs de leur présent et de leur avenir. Enfin trop de citoyens lambda laissent parfois un gamin de dix ans leur manquer de respect dans la rue, par peur, par lassitude, par désintérêt ? Ils perdent l’initiative de se positionner en adultes structurants. N’est-ce pourtant pas cela "faire société". On peut enfin ajouter le rôle des médias de masse, la mondialisation, et j’en oublie certainement.

J’espère, cher collègue, que le tout ne vous aura pas froissé mais j’attends impatiemment le moment où chacun regardera la situation en face et cherchera enfin des solutions adaptées à des réalités de terrain. C’est de la société de demain dont il est question.


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