LES CHEVAUX
par alinea
mardi 11 décembre 2012
Lorsque le Seigneur eut créé le cheval, il dit à cette magnifique créature : « Je t'ai créé différent de tous, tous les trésors du monde reposent entre tes yeux, Tu écraseras mes ennemis sous tes sabots mais tu porteras mes amis sur ton dos ; Tel sera le siège d'où s'élèveront les prières qui me sont adressées. Tu trouveras le bonheur sur toute la terre Et tu seras aimé entre toutes les créatures Car pour toi s'accroîtra l'amour du maître de la terre Tu voleras sans avoir d'ailes Et tu vaincras sans épée. » Mahomet.
On n'aime bien que ce que l'on connaît ; aimer est un acte, un engagement qui suit ou non le désir, la rencontre ; or on entend très souvent : « j'aime les animaux », « j'aime les enfants, les femmes,etc... ». Ceci est un mensonge raciste, car détester ceux qu'on ne connaît pas est du même tonneau ! Se faire une idée a priori sur quoi que ce soit qu'on connaît peu ou mal est une imbécillité belliciste.
Pourtant, bien sûr, on peut être par sa sensibilité et son histoire tout à fait indigné voire révulsé par l'injustice, la violence, la maltraitance. Mais c'est tout autre chose.
Puisque Mr. Tarrier nous a déversé toute sa haine, en haut de page, à la Une, je me sens tenue de vous proposer humblement, en bas de page, en entrefilet, mon amour.
Je n'ai pas la science infuse, je ne suis pas née dans le milieu « cheval », cela a été une rencontre vers l'âge de douze ans, une rencontre excitant ma curiosité, me trouvant timide et me laissant pendant longtemps humble devant la découverte d'un autre monde si merveilleux. J'ai commencé à monter de la manière classique, sans critique, j'ai fait des concours hippiques et des concours de sauts, des balades et des randonnées.
De ma vie je n'ai jamais été quittée par ce tremblement d'émotion avant de monter à cheval ; ce n'est pas une peur mais plutôt l'incertitude de mériter ce cadeau, cette joie que me donne l'animal.
À quarante ans, j'ai rencontré un manadier, ses chevaux et ses taureaux ( ceci est une autre histoire que j'ai plus ou moins racontée ici même) ; j'ai monté alors en rênes d'appui, puis, tout en évidence, rênes longues.
Cette présentation de ma petite personne est juste là pour situer le niveau de mon discours : ni vérité ni contrition : mais observation et évolution.
Les chevaux donc sont des animaux de troupeau nomade. Force est de constater qu'ils ne vivent nulle part de cette manière ; même dans les steppes d'Asie Centrale, ils ont été réintroduits ; en Amérique et dans certains coins d'Afrique, il y a ( peut-être) encore quelques troupeaux sauvages mais tous, au départ, ont été amenés par l'homme ! Cela fait plus de cinq mille ans que le cheval n'est plus sauvage ( à quelques rares exceptions près) ; or, ceux qui détiennent l'amour vrai pour eux ( et d'autres espèces) les voudraient loin de l'homme, vivant leur vie sans entraves. Ce n'est pas un vœu pieu ni même une illusion, c'est une pure ignorance : Stephen Budiansky en fait la généalogie, dessine toutes les branches dont « le nôtre » est issu mais qui pour différentes raisons ont disparu ; et celui qui nous reste, n'existe encore que grâce à l'homme. En effet, le cheval a un système digestif extrêmement compliqué et fragile qui ne le rend pas très résistant aux aléas de l'évolution. En revanche, la jument a gardé cette particularité qui lui donne le choix du moment de la mise bas ; elle a un mois pour se retourner, attendre que le troupeau soit dans un espace paisible à la nourriture abondante. Dans ses conditions plus ordinaires aujourd'hui, si elle subit un stress, elle peut « retenir » le poulain jusqu'au calme revenu.
Au sud de l'Espagne, les haras royaux et de quelques autres nobles milliardaires se payent le luxe, dans le Guadalquivir, d'entretenir des centaines de juments, étalons et poulains s'égayant en liberté dans des espaces infinis ! Il y a néanmoins sélection et de cette sélection restent les meilleurs, qui assurent la continuité de la race, et de l'espèce.
En Europe de l'Est, on trouve le même genre d'élevage. Semi-libre.
Un cheval est un être rassuré quand il a un dominant qu'il peut suivre en toute quiétude ; dans le troupeau, c'est la jument « chef » mais dans sa vie plus ordinaire aujourd'hui : c'est l'homme. Pour que le cheval soit sain, bien dans sa tête, heureux en somme, il faut que cet homme soit un dominant. Or, l'homme qui possède le caractère dominant sans avoir besoin d'user de violence, n'est pas si courant ; la plupart des hommes se contentent de domination, de pouvoir ; aussi le cheval qui aura pour dominant un tel homme sera-t-il contraint et malheureux. On peut casser un cheval, comme on peut casser un chien ou un enfant ! L'homme est excellent dans cet art !!!
Il faut voir cet homme doué de dominance, rentrer dans un troupeau, sans un geste ni un pas trop vif, sans mot, aller vers un cheval, lui passer le licol et partir avec lui. Quitter les siens pour suivre le guide.
J'invite qui veut à venir dans mon troupeau et faire de même, sans fouet, sans cri, sans violence.
Alors, qu'on ne parle pas d'esclavagisme en ce qui concerne les chevaux : les chevaux veulent ; sinon, on n'en tire rien !(1)
Quand l'humanité ne sera qu'un ramassis d'urbains effarouchés devant le sang, devant la mort, heureusement, je ne serai plus là !
Tous ceux qui aiment les chevaux, tous ceux qui vivent avec eux voudraient pouvoir le faire tel que les décrit Robert Vavra dans son « Cheval nu » ; mais tous les hommes ne sont pas des contemplatifs, des millionnaires, des Chevaliers ni même et surtout des rustres nés dans une écurie !
Alors, l'homme fait avec le cheval, comme il est ; et dans ce domaine comme dans tous les autres, il y a le meilleur et il y a le pire !
Tout le monde n'est pas Klaus-Ferdinand Hempfling ; tout le monde n'est pas les frères Pignon ; tout le monde n'est pas Bartabas ni tous les chevaux Zingaro !
L'homme est bien nanti pour être la jument de tête pour les chevaux : en plus de sa vigilance il possède la capacité d'anticipation, le projet, le but.
Il est curieux d'attaquer un homme qui probablement possède le plus ces qualités alors que beaucoup sont empêtrés dans les oripeaux d'une certitude de supériorité, cet humanisme, qu'il ont reçus d'une mauvaise fée penchée sur leur berceau, la certitude d'un « donné », sans aucun effort qui les rend brutaux, incompétents sans toutefois que cela entame leur suffisance. Il y a un nombre incalculable de gens « qui se la jouent », qui en rêvent, et qui, l'époque aidant, réalise ce rêve. Nombreux de leurs protégés meurent prématurément ou partent à l'abattoir. Cela est vrai ; tristement vrai et fréquent.
Mais !! c'est Bartabas qu'on attaque !
Donc, arrivés à ce nom qui, semble-t-il pose problème, il faudrait se poser quelques questions :
Pourquoi tous les êtres humains qui sont, soit en phase, soit en admiration, soit en fraternité avec les animaux, ceux qui choisissent de vivre avec eux, de les élever, de les faire danser, n'ont pas le même rapport à la mort que le citadin contemporain qui a peur des araignées ?
Pourquoi le mouvement Vegan et autres végétaliens est né récemment dans ce monde de confort consumériste ?
( « Ce qui rend impur, ce n'est pas de manger e la viande, mais d'être rude, dur, calomniateur, sans pitié, arrogant, avare. »
« Ce qui rend impur, ce n'est pas de manger de la viande, mais la haine, l'intempérance, l'entêtement, la bigoterie, la fourberie, l'envie, l'orgueil, la suffisance, la complaisance avec ceux qui commettent l'injustice. » Amagandha-sutta dans Sutta Nipâta.)
ET : qu'est ce que cela touche en moi, le comportement de l'autre, pour provoquer ma véhémence, ma haine, mon intolérance ou ma colère ?
Qui suis-je et que sais-je donc pour m'imaginer pouvoir rendre le monde à l'image de ce qui me sied ?
Petites proses :
« M'accordant au pas de mes chevaux quand je les changeais de parc, j'observais le mouvement de leurs oreilles en réponse à ma voix ; seule avec eux, mêlée à eux, je me sentais bien. Les humains qui m'accompagnaient parfois gâchaient cette plénitude parce qu'ils étaient bruyants et que le bruit de leur contentement brouillait l'empathie. Puis je les lâchais, ils étaient si confiants en moi qu'ils n'avaient aucune impatience ; ils défoulaient alors leur enthousiasme dans un galop de contentement, ils revenaient paître tout près et je les regardais heureuse de ce bonheur donné.
Nous avaient-ils été donnés par un Dieu bienveillant ?
Leur avions-nous été donnés par le même ?
Le mariage de l'homme et du cheval avait-il été inscrit dans ces zones inconnues que l'on ne pouvait décemment pas appeler « hasard » ?
Il y avait mille histoires merveilleuses au sujet de ce mariage mais mille réalités aussi et ces réalités souvent n'étaient pas à la mesure de mes rêves. Catherine qui aimait les chevaux autant que je les aimais et savait d'eux tant de choses que j'ignorais, acceptait des données que je refusais : je refusais la dépendance- réciproque- autant qu'il était possible ; elle aimait être indispensable, j'aimais les voir sans qu'ils me voient, les savoir vivre tels qu'ils étaient ; elle aimait le rituel des soins et se donnait tant qu'elle ne percevait pas la prison dans laquelle elle les enfermait, elle semblait croire ce fait incontournable, un genre de vérité que l'on ne peut remettre en question . Je respectais leur nature, n'exigeais rien d'eux qui leur fut inutile, ne m'imposais pas comme chef parce que je ne voulais, jamais, trahir leur confiance ; ne pas les dévoyer, ne pas les décevoir et je concevais qu'ils se passassent de moi ! Je ne voulais pas ternir leur majestueuse beauté.
En cela j'allais à l'encontre de bien des vérités reçues comme obligations dans notre commerce avec eux. Elle aimait leur gratitude, collectionnait leurs petits faits comme des victoires et leur aliénation leur tenait lieu d'amour. Moi, je ne m'étais jamais sentie assez grande pour penser suffire.
L'homme est bon tant qu'il étouffe. L'homme est mauvais tant qu'il accable : j'en avais tellement vu, des bêtes, rescapées de sévices ou abruties de bonté !
On ne dressait plus les chevaux que par vanité, pour les spectacles, les jeux, les enjeux, les loisirs, les profits... nous avions beaucoup perdu en abandonnant le temps partagé du labeur, du voyage, même la guerre, c'était dire... quand l'homme et la bête vivent la même chose ; l'amour n'avait plus aujourd'hui ces buts à servir et je ne pouvais pas m'y résoudre. Je sautillais dans une réalité dont j'évitais les écueils sans jamais trouver l'adéquation, et je me contentais de marcher chaque jour sur la frontière ténue qui alliait leur nature à la mienne.
Je m'approchais de Gyoryn, le licol ballant à l'épaule, le cliquetis de la boucle.. « viendras-tu avec moi pour une balade ? » , mon respect était l'espace de son choix. Un jour qu'il m'avait suivie jusqu'au portail, au moment de sortir, il ficha ses sabots dans le sol ; quatre pieds déterminés à ne pas bouger eurent raison de mon intention. Le lendemain, un autre jour, il venait et nous partions tous les deux pour des voltes et des courses, libres. Nous partions au pas, Gyoryn avait quelques réticences à quitter ses copains mais j'avançais à peine la main sur son encolure et il se mettait au trot puis au galop ; je me faisais légère, je tenais à peine les rênes, nous étions deux à décider du rythme : il n'y a pas besoin d'ordres péremptoires quand il y a coïncidences, je m'enivrais de sa puissance, de sa souplesse, il était mon corps animal et je serais partie avec lui au bout du monde. Il avait le pied sûr, je n'avais aucune crainte et nous pouvions aller partout ; dans les descentes trop caillouteuses je mettais à terre, marchais à ses côtés comme une fée et n'aurais su dire pourquoi j'éprouvais tant de fierté et de légèreté : j'étais à ses côtés comme un cadeau immérité.
Ainsi, m'écartant des errements consensuels qui dictent de toujours imposer sa volonté, je laissais faire : céder n'est pas forcément une faiblesse, ce peut être une écoute, un respect, de l'amour.
Et l'animal fait la différence.
Quand je dressais un cheval, il me fallait cet accord tacite avant de commencer, ensuite, je ne cédais jamais. De ce principe posé, quiconque par la suite pouvait, comme moi, attendre le partage d'un désir pour le réaliser.
J'avais rencontré sur les plages du nord un homme agenouillé, en pleurs, côté de son cheval mort. Compatissant à sa douleur je m'étais approchée et restais silencieuse. Autour de lui des gens s'étaient regroupés et j'appris ainsi que le cheval s'était noyé d'avoir nagé trop loin et trop longtemps dans l'eau froide. Alors mon émotion se changea en colère : qui l'avait autorisé à entraîner l'autre dans sa folie ? Et je me doutais que jamais sa douleur lui en ferait prendre conscience.
La conviction est la condition nécessaire à la dominance : on n'obtient rien d'un animal si l'on n'est pas convaincu, l'impatience ni la violence ne peuvent rien. La conviction, plus forte que le savoir, ne se joue pas, on ne peut la travestir, elle est ancrée en soi, elle est sans doutes, elle est virile ; elle peut servir des desseins personnels, elle se passe de réflexion, elle est même détruite par elle, ainsi sans doute tous les buts peuvent être poursuivis : elle peut être l'attitude juste, le geste de survie, immédiat, le sens d'une réalité qui induit la bonne réaction mais elle peut tout aussi bien servir le fanatisme le plus meurtrier ou le plus suicidaire ( ce qui, dans certaines situations perverses peut représenter l'attitude juste).
Quand je tirais mes onze chevaux en cabestre, les mains pleines de cordes, au passage de la route, devant le fossé, moi devant, eux derrière, ils sautaient sans m'effleurer et la conviction qui les entraînait n'était pas domination.
J'avais des ambitions démesurées et je laissais aux autres la séduction, le pouvoir et l'abus de pouvoir, les certitudes de toute leur mixture héréditaire jamais digérée ni remise en question, je n'en étais plus victime mais indifférente car je ne voulais que cette conviction intime, profonde et totale que me donnait l'osmose avec la nature et les animaux avec qui j'étais confiante, certaine qu'il n'y avait pas de mensonge ni de duperie. Ma conviction trouvait écho en eux et je leur en étais reconnaissante.
Le manque d'imagination et plus encore l'incapacité à se mettre à la place de l'autre étaient souvent les forces les plus probantes chez ceux qui détenaient un quelconque pouvoir. Exécuté avec art, ce pouvoir subjugue alors qu'il ne fait que couvrir avec brio et pour le plaisir des yeux la dérision de la mégalomanie du dresseur : le génie en moins, il ne reste que la misère. Et cette misère, certains ne la voient pas. » ( Amours en noir et blanc, Ervine d'Ase)
J'ai écrit ce texte il y a déjà quelques années ; je n'ai rien changé de mes rapports avec les chevaux ; en revanche, je suis maintenant convaincue que l'artiste – qui aujourd'hui reçoit les retombées de sa gloire sous forme de fortune par exemple- quand il est un artiste, ne crée pas pour flatter son ego. Même quand il crée avec ses chevaux. Un artiste est mû par une force créatrice qui le dépasse et pendant des siècles celui-ci est resté dans l'humilité de l'anonymat et de la pauvreté dépendante de mécènes. La gloire et la richesse d'un torero, d'un créateur de spectacles, au fond, seuls artistes d'une œuvre éphémère, ne me semblent pas être suffisantes pour leur en ôter le génie.
Le but d'un artiste n'est pas « soi » ou ce n'est pas un artiste ; mais le plus humble des hommes inculte est sensible à l'art tandis que l'ego qui se flatte grâce à quelque talent ne fait que provoquer de maigres sensations à des snobs, des ignorants ou des consommateurs.
L'artiste va au delà de soi, vers un dépassement de soi et sa conscience de soi n'ôte en rien sa fonction de vecteur entre la beauté et le spectateur. Entre le divin et le profane.
On peut considérer que l'art est sacré.
Pourquoi penser après tout, que le cheval n'est pas apte à désirer, admettre ou vouloir un dépassement de soi ; quand on voit la formidable intelligence qu'il met à apprendre, on peut raisonnablement se poser la question. Mais pour ce faire, il a besoin de la motivation de son guide. Celui en qui il porte sa confiance, et, n'est-ce pas cela l'amour ?
Pourquoi supposer que l'animal est prédestiné à la simple satisfaction de ses besoins dans le minima de ses dispositions ?
Toute notre observation prouve le contraire : les mammifères apprennent et tout comme les humains n'apprennent que ce qu'ils peuvent faire ! Ils repoussent, eux-mêmes ou grâce à nous, leurs limites.
Quelle supériorité innée, quel amour pur possèdent ceux qui pensent l'animal incapable de jeux avec l'homme, de connivences, de complicité, d'amour ?
Un cheval ne pense pas, mais il vit.
Je conseille à tout le monde d'en faire autant.
(1) : on peut maltraiter un cheval, on peut le fouetter, alors on n'obtiendra que sa fuite... et, au bout de l'histoire, sûr qu'il vous tuera.
ET DIEU PRIT UNE POIGNÉE DE VENT DU SUD, SOUFFLA DESSUS ET CRÉA LE CHEVAL (légende bédouine)