Les choses se gātent

par Imhotep
mercredi 14 mai 2008

Si l’on peut discourir avec humeur, virevolter avec des mots, s’amuser un peu de notre Omniscient, il arrive parfois que la réalité dépasse la galéjade et que l’on passe du mode léger au mode plus grave.

Deux faits, ce mardi 13 mai, devraient nous inquiéter. Et ceci sans aucune ironie. Jusqu’à présent, tout ce cirque m’amusait, mais voilà qu’il ne me fait plus rire. Il me semble que l’on a sous-estimé la réunion à l’Elysée du 7 mai. Avant même cette réunion le colérique et coléreux Sarkochef avait violemment secoué les puces du sieur Lefébvre car il n’attaquait pas assez Ségolène Royal à propos de son affaire de licenciement féminin. Par parenthèse, si ce n’est pas Dominique Paillé qui s’y est collé, un des multiples autres clairons de l’UMP, c’est tout simplement pour ces raisons que nous donnent Bakchich Info : Le mouvement [UMP] se garde bien de rappeler que ce dernier a lui aussi été condamné, dans diverses procédures. La justice lui a infligé dix mois de prison avec sursis et 30 000 € d’amendes pour abus de confiance, une condamnation concernant des détournements effectués à l’encontre de l’association "Appel Europe" qu’il avait créée avec des laboratoires pharmaceutiques, comme Bakchich l’avait rappelé en son temps. Et Paillé, alors attaqué par un collaborateur, avait été également condamné par les Prud’hommes, et n’avait pas fait appel (Le Post). On dit en langage courant : édifiant. Ainsi le porte-parole de l’Elysée a été condamné, comme le directeur de cabinet de Christine Lagarde, à payer 600 000 € pour fraude fiscale, comme Santini est renvoyé en correctionnelle. Et ils veulent donner des leçons !

Il ne faut pas se tromper, les chiens de garde sont lâchés et, croyez-moi, une bête blessée est dangereuse, d’autant plus dangereuse qu’elle a le pouvoir. Et l’ordre de la chasse à courre a été donné le 7 mai. Tout homme politique d’envergure et sain d’esprit se poserait les bonnes questions de sa chute dans les sondages. Mais que peut faire un paranoïaque, un mégalomaniaque ? Le mégalo ne peut jamais s’en prendre à lui-même. Le parono voue une guerre sans merci à tout ce qui bouge. Si tu n’es pas avec moi tu es contre moi ! Un belle devise.

Le rappel des faits. Le 10 avril dernier, en appel, Ségolène Royal est condamnée. La nouvelle sue, le crieur public de l’UMP, la seconde voie hurlante de Sarkoléon fait un communiqué sanglant à l’AFP qui le diffuse. Ensuite, Raffarin demande la démission de la Dame du Poitou. Fin avril, le cheftain est énervé et gueule à tout va. Il bouscule sans ménagement ses sirènes UMPistes. Lefèbvre, sous pression, se fend d’un communiqué le 1er mai qui reprend son ancien communiqué et qu’il raccroche comme il peut à la fête du travail. Ce communiqué évidemment n’apporte rien à la connaissance ni des affaires ni de la position de la légaliste UMP concernant Royal. L’AFP ne reprend pas ce communiqué. Le reste vous le connaissez. A la suite d’une virulente attaque contre elle, l’AFP se rebiffe dans un contexte très difficile pour elle alors qu’elle dépend à 40 % de l’Etat qui peut l’étrangler du jour au lendemain. Les journalistes se défendent becs et ongles, son président (Louette) ne peut que prendre le parti de l’AFP bien qu’il fut nommé par le pouvoir. Et c’est là que cela se gâte. On apprend (ici dans le Figosky) que la réponse, pourtant simple et compréhensible de l’agence de presse, ne suffit pas. Voilà que : Le conseil supérieur de l’Agence France presse a été saisi par le parti de la majorité, qui lui reproche de ne pas avoir diffusé un communiqué commentant la condamnation judiciaire de Ségolène Royal.

Alors que le gouvernement, l’UMP et Sarkozy squattent la télévision, les radios, font les couvertures de tous les magazines (Dati, Yade, Carla, Cécilia, Sarkozy...) depuis un an, avec un score jamais vu à part du temps de l’ORTF, que les journaux abondent en informations concernant chacun des membres éminents de l’UMP (Karoutchi, Devedjian, Paillé, Balkany, Sarkozy fils, Morano, Lefébvre, Coppé, Fillon, les ministres, les conseillers et le roitelet lui-même), l’UMP fait un procès injuste à l’AFP et va encore plus loin en saisissant ce conseil. On aimerait qu’ils saisissent le CSA par la même occasion. On a la terrible impression que la vitesse supérieure est passée. Le premier prétexte est futile et injustifié. Maintenant ils osent dire qu’ils attendent une réponse à leurs questions :


Frédéric Lefèbvre reproche une « censure », une « obstruction volontaire » de l’AFP. Celle-ci, par le biais de son PDG, Pierre Louette, rétorque qu’elle n’a pas vocation à « devenir une machine à diffuser des communiqués » et qu’elle est libre de choisir les informations qu’elle traite.

« Objectivité »
« Tant que nous n’aurons pas cette explication, nous continuerons de la demander et c’est la raison pour laquelle nous avons saisi le Conseil supérieur, en posant un certain nombre de questions », a expliqué lundi le député UMP, qui précise que sa question est « celle de l’objectivité » de l’agence.

Il faut remarquer en passant que, pour une agence qui ne diffuse pas l’information, celle-ci est diffusée à tout-va, et tout le monde est au courant que l’AFP serait un organe de censure. Cela en est à un point hallucinant dans les commentaires des journaux où l’on découvre que certains de ceux qui écrivent croient que l’AFP n’a jamais parlé de Royal, que c’est un repère de gauchistes, qu’ils ne passent pas les communiqués de l’UMP. La désinformation a fonctionné à plein.

Ainsi loin de calmer les choses (au passage l’idée lumineuse d’Albanel est déjà enterrée. Il ne devait plus y avoir de couac. En matière d’amateurisme, ce gouvernement est champion de l’Univers. Je leur conseille Jean-Claude Van Damme comme aide) en les ramenant à de justes proportions, cette UMP enfonce-t-elle le clou en aggravant les menaces. Une épée de Damoclès volette au-dessus de la liberté de la presse.

Cette nouvelle marche gravie dans la pression contre la presse est à associer à ce fait tout aussi inquiétant. Ce jour où l’UMP attaque l’AFP de façon officielle, Sarkozy est allé à Vienne dans l’Isère. Voici un extrait de l’article de Libé Lyon que je vous conseille de visiter entièrement pour y voir les photos :

Des militants veulent manifester aux abords. Certains du PS, d’autres du PCF, d’autres encore de la LCR. Ils sont environ 150 à 200, selon un journaliste présent. Mais il y a également énormément de policiers en civil, sur la place et dans toutes les rues avoisinantes. Normal pour une visite présidentielle. Sauf que le journaliste présent constate que les policiers sont en train de contrôler et fouiller les militants, et surtout de saisir tous leurs tracts, leurs autocollants et même leurs journaux. Celui-ci a Rouge dans son sac ? Saisi. Celui-là L’Huma à la main ? Saisi également. Quelques jeunes gens de la LCR refusent de remettre leurs tracts, ils sont alors menottés et embarqués. Sous l’objectif d’un photographe...

Ainsi des manifestants anti-Guide sont-ils considérés comme des terroristes. Cela nous rappelle le conseil des ministres en Corse où 2 000 CRS avaient été déplacés du continent, où tout un gigantesque périmètre autour de la préfecture avait été interdit. Et si certains trouvent cela normal, je n’ai aucun souvenir qu’un pouvoir des vingt-cinq dernières années se soit jamais comporté de cette façon. Si, il y a eu une période assez détestable, en juin 81 où nous avions entendu deux phrases célèbres : celle de Jack qui avait dit que la France était passée de l’obscurité à la lumière et Quilès au congrès de Valence du PS qui avait dit : "il ne faut pas dire que les têtes vont tomber, mais lesquelles et le faire le plus vite possible". Je m’en souviens bien pour avoir été à l’extérieur de ce congrès et séquestré pendant 4 heures par le service d’ordre du PS car j’avais eu la mauvaise idée de venir manifester contre cette lumière que le vote populaire avait eu la gentillesse d’apporter à notre nation obscurcie. J’étais jeune et giscardien à l’époque. Du reste, devant les CRS immobiles, une charge véhémente des gardes du corps du PS avec manche de pioche avait fait des blessés notamment parmi des filles de 18 ans qui étaient traitées de putes de petites bourgeoises et qui avaient ramassé de sacrés coups (une jambe de "putes de petites bourgeoises" résiste mal à un manche de pioche manié par un laborieux militant de la classe ouvrière, fier de sa force et de sa brutalité. Résultat : bras et jambes cassés et silence dans la presse, et complicité policière). Les CRS avaient courageusement laissé passer les brutes et n’étaient pas intervenus. Pendant ce temps, dans ma cage au milieu du congrès, je n’en menais pas large. Chaque militant qui passait tapait sur le fourgon où j’étais retenu prisonnier et montré comme une prise de guerre, un bon petit sauvage. J’ai eu droit à une magistrale claque d’un lourdaud de 120 kg qui m’empêchait de me lever et qui me refusait le droit à la parole. Je faisais le maraud, mais je me demandais si j’en ressortirais entier. Ma plainte - car il me semblait peu démocratique d’avoir été séquestré et peu en accord avec la ligue des droits de l’homme de recevoir une baffe à renverser une pyramide - a subi un classement vertical. Le pouvoir donne des ailes et favorise la justice. Donc, mise à part cette période de revanche outrée et malsaine, où les nouveaux arrivants se goinfrent de puissance et d’arrogance, foulent aux pieds la démocratie, je n’ai pas de souvenir d’une telle façon de gouverner, d’une action policière aussi liberticide. On ne peut dire que l’AFP propage cette information-là où l’on voit des policiers en civil faire œuvre de police politique à fâcheuse résonance. Je ne pense pas que l’UMP ni Lefèbvre se plaignent que l’AFP ne reprenne pas ces photos.

Il nous reste quinze jours pour faire un mai 2008.

Vignette photo JPK prise sur le site de Libé Lyon.


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