Les conditions implicites d’une société démocratique

par Gilles Mérivac
mardi 5 mars 2019

Une puce électronique ou un moteur thermique ne fonctionnent bien que dans une plage de paramètres donnés, les ingénieurs le savent bien. Mais ce que l'on sait moins c'est qu'il en est de même pour le régime démocratique. Tel est l'objet de cet article.

La définition

Naturellement, il existe cinquante nuances de démocratie, et les manières de l'exercer sont encore plus nombreuses. Il y a peu de rapport entre la démocratie à la française, dans laquelle les pouvoirs sont délégués aux élus après un vote tous les cinq ans et une démocratie partipative, comme en Suisse, où les citoyens peuvent faire à tout moment des pétitions et des référendums.
Nous dirons donc plus sobrement qu'il s'agit d'un système dans lequel chaque personne a le même poids électoral pour décider de la politique de la cité. C'est évidemment une approximation puisque sont exclus du processus les très jeunes, et très souvent ceux qui ont un casier judiciaire.
Le processus est donc inévitablement très compliqué, puisque dans la plupart des cas, il s'agit de déléguer les pouvoirs de décision à des gens supposés en faire bon usage. Le cas opposé d'une démocratie participative est aussi possible mais aboutit à une lourdeur impraticable avec des états de grande taille.

La compétence de l'électeur

Mais oui, avant de savoir si l'élu est capable ou non d'exercer sa tâche, il est important de savoir si l'électeur lui-même a des capacités de discernement, et cela n'a rien d'évident !
C'est ainsi par exemple que l'on écarte les mineurs pour leur manque d'expérience, car l'expérience vécue est capitale dans le domaine politique et il faut énormément de temps pour aboutir à une opinion cohérente. Mais ce n'est pas la seule condition, et de loin.


Choisir en connaissance de cause sous-entend que l'on a accès à des informations de sources diverses, non tronquées et non biaisées. Par exemple, ma mutuelle m'envoie régulièrement un bulletin de vote concernant des candidats que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam, comment voulez-vous que je fasse un choix sensé ?
C'est la même chose pour n'importe quelle élection, si les seules informations dont dispose l'électeur se réduisent à la propagande du parti au pouvoir, il n'y a pas de choix réfléchi possible, ce n'est plus qu'un simulacre de démocratie.
Un autre biais plus subtil est le jugement sur l'apparence des candidats, et non sur leurs convictions. Beaucoup de gens qui n'ont pas le goût ou l'envie de réfléchir se contentent de mettre le bulletin correspondant à celui ou celle qui leur dit de la meilleure manière possible ce qu'ils ont envie d'entendre. Ils n'élisent donc pas un président mais un acteur de cinéma qui joue ce rôle.
Pour comprendre le monde dans lequel on vit, le rôle de l'éducation est primordial. L'école est et reste en grande partie le seul moyen de montrer le tableau général de l'évolution humaine à travers les siècles. Les livres, la télévision et le net apportent bien sûr des informations importantes mais fragmentées. La personne qui n'a pas eu accès à une instruction de base s'y retrouvera difficilement. C'est pourquoi les régimes qui ne veulent pas être remis en question font toujours main basse sur l'instruction et l'orientent suivant leurs besoins.

L'homogénéité de la population

Voilà une condition à laquelle on ne pense pas souvent. Supposez que vous ayez deux ou plusieurs communautés sur le même territoire en état d'affrontement larvé (je pense qu'il est inutile de donner des exemples, vous les trouverez facilement vous-même). A chaque instant, pour un motif plus ou moins futile, la violence peut donc éclater.
Dans ce cas de figure, le pouvoir quel qu'il soit n'a pas d'autre choix que celui d'exercer une violence encore plus grande afin de faire régner l'ordre public. Il apparaît donc à un observateur extérieur comme un pouvoir autoritaire, voire tyrannique. Il est facile de juger une telle situation de loin, mais confronté au même problème, que ferait-il, cet observateur extérieur ?
Dans ce cas de figure, la restriction des libertés individuelles est inéluctable, ainsi que l'affaiblissement progressif de la pratique démocratique qui se réduit alors à une peau de chagrin.
Le même genre d'incompatibilité se verrait si une fraction importante de la population n'acceptait plus les règles du jeu démocratique. Dans tous les cas, la condition essentielle est qu'il y ait un consensus suffisamment large sur le type de société désiré, s'il y a trop d'écart entre les désidérata, c'en est fini de la démocratie.

Les influences extérieures, la corruption et la démagogie

Les sommes d'argent qui circulent aujourd'hui sont sans commune mesure avec les fortunes du passé, du simple fait de la loi des grands nombres. Dans bien des cas, des articles ou des services sont vendus à des milliards d'utilisateurs et génèrent des recettes colossales. Il en est de même avec les régions disposant de ressources énergétiques ou de matières premières indispensables à toute économie.
Il est bien sûr plus que tentant d'utiliser cet argent pour influer sur la direction politique des états moins favorisés de manière à péréniser leur rente de situation. Cela se fait de différentes façons, par exemple en achetant les moyens d'information ou en exerçant un chantage sur les commandes, ou encore en corrompant certains élus.
En règle générale, plus les gouvernements sont centralisés et plus l'influence des lobbies est facile à exercer puisque la cible est bien circonscrite. Il suffit alors de bien placer ses pions et d'attendre le bon moment pour faire prévaloir ses vues. Bruxelles est un exemple parfait de ce type d'opérations.
Il va sans dire qu'un pays pauvre ou endetté est une proie facile et peut difficilement faire vivre une réelle démocratie.
A l'opposé, mais d'une manière qui n'est pas incompatible avec ce système, on trouve la corruption des électeurs, les promesses que l'on sait impossibles à tenir en est la forme la plus simple, le clientélisme qui cible des catégories précises est une autre forme de démagogie qui est très répandue.
Pour qu'ils soient bénéfiques au plus grand nombre, les choix du citoyen devraient dépendre uniquement de ses convictions, ce qui signifie qu'il a une autonomie réelle par rapport au pouvoir, donc qu'il ne dépend pas entièrement des aides qu'il reçoit, sinon il n'est plus libre car sa subsistance est liée à son vote. Une société vraiment démocratique suppose donc des personnes libres et responsables.

Ces différentes conditions sont-elles réalisées ?

Elles le sont partiellement dans quelques états, mais jamais complètement. D'une manière générale, ce sont les pays ou les partis qui se targuent d'être démocratiques qui en sont le plus éloigné. Ce qui signifie qu'un régime démocratique n'est qu'un idéal vers lequel un peuple devrait tendre.
Mais pourquoi cet idéal est-il souhaitable ? Une élite éclairée et bienveillante ne serait-elle pas préférable à ce régime si difficile à mettre en oeuvre ? Hélas, l'expérience historique est là pour montrer qu'une telle élite n'existe pas, et qu'elle finit toujours par mépriser et déconsidérer les gens qui n'en font pas partie.
L'idéal démocratique est de proposer un cercle vertueux qui pousse les gens à réfléchir, à s'informer et à exercer leur responsabilité. Ce n'est pas une démarche facile, beaucoup de gens préfèreraient s'en remettre à "l'état-maman", mais c'est la seule et unique voie vers une manière de vivre qui en vaut la peine.


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