Les dérapages irresponsables de Nicolas Sarkozy

par Nicolas Cadène
vendredi 6 avril 2007

Il est troublant de constater l’incroyable silence qui règne autour des véritables dérapages du candidat UMP Nicolas Sarkozy. Pourtant ceux-ci ont des conséquences particulièrement sérieuses.


Il n’est pas nécessairement exagéré de dire que sa politique globale de sécurité et ses propos disproportionnés et indignes d’un ministre de la République (une jeunesse des quartiers sensibles qualifiée de « racaille » à nettoyer au « Kärcher ») ont provoqué, ou au moins aggravé, la crise des banlieues à l’automne 2005. Sans parler à ce propos des mensonges de la version officielle du drame de Clichy (décès dans un transformateur EDF de deux jeunes poursuivis par des policiers) donnée aux chaînes de télévisions par le ministre d’Etat Sarkozy qui savait ce qu’il faisait (ou s’il ne le savait pas, il a alors fait preuve d’une grave incompétence).


Parfois, les propos « déplacés » de Nicolas Sarkozy n’ont que peu de conséquences. Mais souvent ces propos, ces dérapages, illustrent la tendance à l’hystérie du candidat :
« Je suis entouré d’une bande de connards ! Méhaignerie aurait dû se taire. Ce centriste mou parle trop ! C’est vrai que ça va être difficile et même quasi impossible de tout faire mais il ne fallait pas le dire. C’est toujours comme ça une campagne : on promet pour être élu et après on déçoit (...) Heureusement que la Ségolène est nulle et que sa campagne ne prend pas, sinon, c’est moi qui serais dans la merde aujourd’hui. » (La Réunion, le 16 février 2007, à propos des déclaration de M. Méhaignerie sur l’impossibilité de réaliser les baisses fiscales de M. Sarkozy).

Puis, pour ceux qui croyaient encore que le candidat UMP avait une certaine culture politique, certaines de ses déclarations publiques sont là pour leur rappeler son ignorance :
« Il y a quelques années, François Mitterrand dans une réplique superbe disait : Vous n’avez pas le monopole du cœur. » (Cette phrase est en réalité de Valéry Giscard d’Estaing ; Mont Saint Michel, le 30 janvier 2007).

Notons d’ailleurs le « dilemme » pour l’envoyé spécial du Figaro, Charles Jaigu. Pouvait-il simplement mentionner l’erreur, même minime, même de distraction, même provoquée par la Majesté des lieux, du candidat de la droite ? Impossible. Comme le souligne le blog « Big bang blog », « le candidat est infaillible. L’erreur a donc été contournée, grâce à un artifice de rédaction qu’il faudra étudier dans les écoles de journalisme. »

Quant à la blogosphère sarkozyste, elle a tout bonnement rectifié la phrase du candidat (avec une jolie innovation orthographique dans le prénom de Giscard) (cf. le big bang blog et Libération).

Le candidat UMP a également l’art de « gaffer » en réponse à une soi-disant « gaffe » de madame Royal :
« Pour moi, la Corse n’est pas un sujet de plaisanterie, spécialement quand je parle avec le Premier ministre d’un autre pays. » (Janvier 2007). Ce que Nicolas Sarkozy appelle pays est bien le Québec à propos duquel l’humoriste Gérald Dahan qui avait réussi à se faire passer pour le Premier ministre du Québec auprès de Ségolène Royal la veille dit fort bien :
« Monsieur Sarkozy, le Québec, ce n’est pas un pays, c’est une province. »

Tout cela pourtant pourrait relever comme pour les autres candidats de la fatigue d’une campagne, du stress et de la pression qu’elle provoque s’il n’y avait plus grave.

Ainsi, devant des millions de Français et alors qu’il veut récupérer certaines voix frontistes, Nicolas Sarkozy n’hésite pas à tenir des propos caricaturaux, populistes, nauséabonds de la part d’un homme politique se disant républicain :
« Je ne veux plus de fille excisée, plus de fille mariée de force, plus de moutons égorgés dans les baignoires. » (J’ai une question à vous poser, TF1, 5 février 2007 à propos des gens qui ne respectent pas la loi française). On appréciera de voir que les seuls exemples qui viennent à l’esprit de M. Sarkozy sont ceux que l’on associe aux populations originaires d’Afrique. Il ne parle pas des entrepreneurs véreux, des mafias, etc.

Il y a également les graves dérapages diplomatiques, nombreux et conséquents pour l’image de la France et ses relations extérieures :

« Comment peut-on être fasciné par ces combats de types obèses au chignon gominé ? Ce n’est pas un sport d’intellectuel, le sumo » a ainsi déclaré Nicolas Sarkozy en voyage en Chine, repris par Paris-Match, le 15 janvier 2004. Parler ainsi du Japon alors que l’on se trouve en Chine simplement parce qu’on ne résiste pas au plaisir d’envoyer une pique à M. Chirac n’est pas très sérieux.

Lors de son voyage en tant que ministre de l’Intérieur pour la commémoration des attentats du 11 septembre 2001, il déclara le 10 septembre 2006 :


« Qu’est ce qu’on veut, que je sois un admirateur de la société russe ? »

Moins grave sans doute, mais tout de même d’un certain mauvais goût et reçu « fraîchement » par les autorités suisses, Laurent Bazin nous rappelle ce propos du candidat UMP :
« C’est un livre que Cohen a écrit en 68, sur les bords du lac de Genève. En 68... Il devait s’emmerder comme un rat. » (Billet supprimé du blog de Laurent Bazin après l’intervention de la direction de i-Télé).

Nous connaissons le peu de sympathie que porte l’ancien ministre de l’Intérieur à l’Afrique et à ses peuples, ainsi il n’a pas surpris mais a confirmé son mépris pour le continent en déclarant :
« L’Afrique ne peut pas être exonérée de sa propre responsabilité sur son échec économique. » Déclaration au Sénat, Le Figaro du 7 juin 2006.

Ou encore :
« La France, économiquement, n’a pas besoin de l’Afrique. »


Ces déclarations, si elles étaient issues d’un discours général mesuré et cohérent, pourraient trouver leur place. Mais elles prennent place dans un discours de déculpabilisation obsessionnel du regard français sur son histoire et d’un mépris affiché pour le codéveloppement.

(déplacement au Mali, le 19 mai 2006).

Rappelons que M. Sarkozy a prétendu signer « un accord historique » avec le Sénégal pour une aide d’un montant inférieur au coût de son propre « sacre » en janvier 2007.


Nous connaissons aussi le simplisme de Nicolas Sarkozy quant à la question turque. Loin de se pencher sur le respect ou non des critères européens d’adhésion, il balaye le premier candidat à l’entrée dans l’Union (depuis 1959) sans réfléchir aux conséquences de ses propos dans un pays connu pour sa sensibilité lorsque l’on parle de son identité :
« Si la Turquie était européenne, ça se saurait. » (Le Figaro, 19 décembre 2004).


Enfin, Nicolas Sarkozy a su prouver son atlantisme, son peu de sens patriotique et son esprit néoconservateur dans son discours devant la Fondation franco-américaine, en dénonçant « l’arrogance française » et en faisant la leçon au duo Jacques Chirac - Dominique de Villepin :
« Il n’est pas convenable de chercher à mettre ses alliés dans l’embarras ou de donner l’impression de se réjouir de leurs difficultés. »

Avant de compléter le réquisitoire contre l’attitude du gouvernement dont il était membre et numéro deux jusqu’à il y a peu, lors du déclenchement de la guerre en Irak :
« Plus jamais nous ne devons faire de nos désaccords une crise. »


Plus récemment, M. Sarkozy a réussi pourtant à dépasser les bornes de l’acceptable. Les médias dans leur majorité n’en ont rien vu et pourtant, en expliquant (à deux reprises) que la France pouvait arrêter de regarder d’un œil critique son passé parce qu’elle au moins n’avait pas inventé la solution finale... Il se place d’office du côté du pire.

Non seulement il insulte l’Allemagne, notre allié depuis soixnate ans avec qui il faudra relancer l’Europe, qui a le courage d’affronter son passé, mais en plus il montre son absolu mépris pour la signification de l’Histoire et pour l’importance de celle-ci.

Il réduit l’Holocauste à un critère de sélection dans le concours des nations qui ont le droit ou non d’oublier leurs erreurs...

On peut relever les mots utilisés :
« Ce n’est pas la France qui a inventé la solution finale ».
Monsieur Sarkozy a véritablement touché le fond, sans que ce soit un accident : l’idée a été énoncée à Caen puis à Nice. Personne dans son entourage ne veut l’assumer. Valérie Pecresse sur un chat du Nouvel Observateur s’offusque qu’on puisse y voire un lien avec l’Allemagne. Mais alors, à quoi sommes-nous censés penser ? Dire cela, n’est-ce pas accepter l’idée qu’il y a une insulte derrière ces paroles ?


Comme le pense Nicolas Sarkozy, la France doit-elle être fière de tout son passé ? Doit-elle, sous prétexte qu’elle aurait inventé les Droits de l’Homme (les Anglais l’Habeas Corpus, les Américains la Déclaration d’indépendance, les Babyloniens le Code d’Hammourabi et les Grecs le concept de République, etc.) réécrire une « histoire idéale » ?


Qu’est-ce d’autre que ce discours sinon la déconstruction de l’un des seuls actes forts de la présidence de M. Chirac, le discours sur Vichy ?

Le candidat UMP piétine cet apport chiraquien et veut réécrire l’histoire. La France n’aurait été que civilisatrice et « n’a pas inventé la solution finale ».

Il prétend réécrire la collaboration, ou plutôt la gommer ; il prétend faire de la France son Amérique à lui, son pays de cocagne, son « pays de Candy » où tout a été merveilleux et riche et où le passé n’existe pas.

Parce qu’au fond monsieur Sarkozy n’a rien compris. Il n’a pas compris que les peuples qui oublient sont les peuples qui recommencent. Il n’a pas compris que la France est la France, précisément parce qu’elle a cette histoire riche, sombre et complexe.


Monsieur Sarkozy qui ne semble pas avoir compris de ce que signifie l’histoire ne saurait en être fier. Comment être fier de cette espèce de « guimauve » qu’il voudrait vendre ? Comment comprendre la force des Lumières sans saisir la noirceur de l’obscurantisme ?

Dans le monde binaire de Nicolas Sarkozy, si l’on n’est pas d’accord avec lui, alors on est contre lui. Dans ce monde binaire, il y a des pays définitivement mauvais selon des critères qui lui sont propres et des pays qui peuvent dormir tranquilles.

Comme dans le monde de George W. Bush, dans ce monde binaire, on est « du côté des honnêtes gens » ou du côté des voleurs. Il n’y a pas de complexité dans le monde de Nicolas Sarkozy.

Sauf pour ses amis, ceux qui non seulement ne paient pas leur ticket mais en plus volent (en détournant l’argent public) et ensuite viennent exiger qu’on se plie devant leur volonté, tels M. Balkany ou M. Juppé (le premier qui obtient de sa majorité municipale l’effacement des intérêts qu’il doit à la ville parce que la justice à reconnu sa culpabilité, le second qui revenant du Québec suite à sa condamnation obtient l’organisation très coûteuse d’une inutile municipale). Ou lui-même, qui en tant que maire de Neuilly a « oublié » de respecter la loi de la République.

Dans le monde de M. Sarkozy, l’immigration a forcément un lien - « on le sait » comme il dit (insupportable manière de donner acte au plus primaire des racismes) - avec la délinquance.

Dans le monde binaire du candidat UMP, on cumule les mandats, on n’est pas inquiété par la justice, on dit n’importe quoi, on ment sur les affaires publiques.

Dans ce monde binaire, on affiche son mépris sur une immense affiche, un mégalomaniaque portrait que l’on étale dans un immeuble au cœur d’un quartier populaire où l’on se « barricade » parce que dans ce monde-là, on a peur de son voisin.

Alors, on a le devoir de s’interroger pour savoir si Nicolas Sarkozy est un candidat républicain. Si un ministre d’Etat qui s’attaque à plusieurs reprises à la séparation des pouvoirs, instrumentalise la justice, fait de la loi une auxiliaire médiatique, respecte un idéal républicain. Mme Veil réprouve désormais ouvertement certaines de ses idées, M. de Villepin s’en éloigne autant qu’il le peut.

On doit encore s’interroger pour savoir si sa pratique du pouvoir est correcte alors qu’il a cumulé et mélangé pendant des années les fonctions de président de parti majoritaire, de président de département, de candidat à l’élection présidentielle, de ministre d’Etat numéro deux du gouvernement ; alors qu’il a censuré la presse et l’édition.

Bien entendu, on opposera à ce propos sa « diabolisation inacceptable ». Mais personne ne pourra me démontrer que les mots cités n’ont pas été dits, parce que le candidat UMP les a tous dits. Il en a dit plus encore. Il a insulté des journalistes, obtenu la démission de certains et a manipulé les interviews comme les images : on se souvient encore, dans le RER, de Nicolas Sarkozy disant : « Vous avez peur hein ? - réponse de la dame interrogée : Non - réponse de Nicolas Sarkozy : On va s’en occuper ! »


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