« Les écoutes de l’Élysée » : la cour d’appel de Paris à l’écoute... d’une nouvelle civilisation

par Paul Villach
lundi 19 mars 2007

L’affaire des « écoutes téléphoniques de l’Élysée » vient de connaître un rebondissement inattendu. La cour d’appel de Paris a, selon le journal « Libération » du 17 mars 2007, réformé, mardi 13 mars, le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Paris, le 9 novembre 2005.

La mise sur écoute de 1 368 personnes, sur ordre de F. Mitterrand, au cours de son premier mandat de président de la République, et de C. Hernu, alors ministre de la Défense, avait été d’abord justifiée par la lutte contre le terrorisme. Elle avait été ensuite très vite dévoyée et motivée par la surveillance d’ennemis politiques et en particulier par la protection de la vie privée de Mitterrand.

Une faute de service, selon le tribunal


Le tribunal correctionnel n’avait infligé que des peines légères et symboliques aux coupables : les responsables de la cellule de l’Élysée, MM Prouteau, Esquivié et Gilleron, s’en étaient tirés avec quelques mois de prison avec sursis, tandis que les anciens directeurs de cabinet du Premier ministre, MM. Delebarre et Schweitzer, avaient purement et simplement été relaxés. Surtout, aucune indemnité en dédommagement du préjudice subi n’avait été accordée aux parties civiles qui étaient priées de se tourner vers le tribunal administratif pour demander à l’État réparation, puisque la faute commise par les coupables, « soumis à la volonté présidentielle », était jugée « non détachable du service » : il ne s’agissait pas pour le tribunal d’ une faute personnelle commise à l’occasion du service dont les coupables avaient à répondre sur leurs deniers, mais seulement d’une faute de service susceptible d’engager la responsabilité de l’État à qui il revenait de prendre en charge la réparation du préjudice.

Une faute personnelle, selon la cour d’appel

La cour d’appel pense le contraire. Elle rejette d’abord la distinction fallacieuse entre activité professionnelle et vie privée qu’avait opérée le tribunal pour ne retenir que quatre victimes sur les 150 qui se plaignaient de cette violation de leur vie privée. Et elle accorde ensuite 90 000 euros cumulés de dommages et intérêts aux huit parties civiles déboutées en première instance. Elle estime, en effet, à l’encontre du tribunal correctionnel, que la faute reprochée aux coupables n’est pas « une faute non détachable du service » , mais une faute personnelle accomplie à l’occasion du service, donc détachable du service. « Dans un État de droit démocratique, explique la Cour avec limpidité, la notification d’un ordre contra legem du président de la République ne dispense pas un fonctionnaire civil ou militaire de son obligation de loyauté envers les principes constitutionnels ». On ne peut mieux dire. C’est précisément ce que prévoit l’article 28 de la loi du 13 juillet 1983 sur les droits et obligations des fonctionnaires.

La jurisprudence Papon

Sauf erreur, ce devoir de désobéissance n’avait été effectivement consacré - si l’on excepte les condamnations du tribunal de Nuremberg en 1946 - que par la condamnation de M. Papon pour complicité de crimes contre l’humanité en 1998 : il lui avait été reproché d’avoir obéi, quoique fonctionnaire, à des ordres criminels. On l’a, ici même sur AgoraVox, évoqué dans un article récent, « L’éloge funèbre de Papon par Raymond Barre ». Cette condamnation d’un fonctionnaire soumis aveuglément à l’ autorité dont il dépendait, écrivait-on, obligeait à jeter un nouveau regard sur la relation de soumission à l’autorité attendue d’un fonctionnaire : cette soumission ne pouvait plus être aveugle. Le fonctionnaire ne pouvait plus se démettre de sa responsabilité devant les conséquences des actes exécutés en objectant qu’il avait seulement obéi aux ordres.

L’arrêt de la cour d’appel de Paris vient donc de faire un pas de plus en direction d’une civilisation de la responsabilité de chacun dont dépend la survie de tous. Un tyran, écrivait-on dans le même article en citant S. Milgram, auteur d’études passionnantes sur la « soumission à l’autorité » (Calmman-Lévy, 1974), a besoin d’un État-tyran constitué de millions de fonctionnaires, grands et petits commis, qui, consentant à n’être que les rouages d’une machine à humilier et à tuer, abandonnent tout contrôle moral sur le contenu des ordres criminels reçus pour apporter toute leur conscience professionnelle à les exécuter et retirer de leur conduite la bonne conscience que donne le sentiment du devoir accompli. Il reste à souhaiter que la Cour de cassation, devant laquelle l’arrêt a été porté, ne brise pas ce fragile espoir que la cour d’appel de Paris vient de faire naître.



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