Les effets pervers de l’entre-soi

par Gilles Mérivac
mercredi 8 février 2017

Avertissement : il y a des dizaines d'autres articles pour ceux qui veulent se défouler sur l'affaire Fillon, si vous êtes dans ce cas, ne lisez pas cet article, il est fait pour ceux qui veulent y réfléchir sereinement.

Régulièrement, après chaque découverte de l'enrichissement des élus, le peuple réclame une moralisation de la politique, voire des têtes à couper. Je pense que ce sont des remèdes illusoires.

Les réflexes des groupes sociaux et leur défense contre l'extérieur

Des groupes aussi divers que des bandes de jeunes d'un quartier, des réunions de francs-maçons, des enseignants d'un établissement ou des soirées entre célébrités artistiques obéissent aux mêmes schémas. La tendance universelle est de se différencier de l'extérieur et les méthodes utilisées sont à peu près toujours les mêmes, les différences étant dans le plus ou moins de subtilité dans les moyens. Les plus classiques sont la façon de se vêtir, d'acheter telles marques et pas d'autres, et la manière de parler. Dans de nombreux cas, le groupe emploie un jargon qui permet de le différencier encore mieux, c'est d'ailleurs l'origine des multiples patois de notre charmant pays, y compris dans sa dernière version, le parler des banlieues. Bien entendu, le compte en banque est le meilleur passeport pour être accepté dans les milieux de la jet set, que l'on soit artiste, cadre international ou footballeur.

Un autre effet secondaire qui émerge de plus en plus est le compartimentage des comportements humains. Par exemple, les moments des rencontres amoureuses sont de plus en plus subordonnées à des moments et des endroits prévus pour cela, que ce soit par le biais de petites annonces ou par le speed dating. Seuls les anciens ont connu ces moments de convivialité où les gens se disaient bonjour dans la rue. Aujourd'hui les passants se croisent sans se regarder, le smartphone à l'oreille en discutant avec un lointain correspondant comme s'ils étaient tous seuls. Comme il n'y a pas de place pour les rencontres inopinées, les gens alentour n'existent donc pas.

Pour qu'il n'y ait pas de malentendu, je ne condamne pas le principe de la ségrégation, je remarque juste que c'est une tendance universelle et irrésistible, elle se reforme autrement dès que l'on essaie de la supprimer. Mais avec le temps, elle produit de violentes frictions parmi la population, car les gens ne se comprennent plus. La majeure parties des conflits sociaux proviennent d'ailleurs de là.
 

Les clubs fermés de la politique

Pour nos élus, les gens autour d'eux ne sont que des électeurs potentiels. Pour que le troupeau leur soit favorable, ils sourient, serrent les mains, font des discours à toutes les manifestations importantes et reçoivent les doléances de monsieur tout le monde, mais tout cela est juste un métier, ils ne sont vraiment eux-même que dans leur sphère, avec leurs pairs. Dans ce milieu, les règles du commun ne s'appliquent pas et l'argent est facile, même si les sommes versées sont censées être contrôlées, il est toujours possible de contourner les règlement grâce à untel qui est bien placé et qui connaît untel pouvant faciliter les choses.

Le revers de la médaille, c'est que le panier de crabes est particulièrement riche en règlements de comptes de toutes sortes. Comme nous venons de le voir pour Fillon, il suffit qu'un élu devienne ambitieux pour qu'il déclenche une batterie de dénonciations sur son train de vie, même si tous les autres en font autant.

La réaction de ces gens pris dans le filet d'une opinion publique choquée par de telles somme d'argent est toujours la même, l'étonnement. La population pense qu'il s'agit d'un foutage de gueule, mais pour ma part je crois qu'ils sont sincères. Que ce soit Thévenoud, Cahuzac ou Fillon, ils ne comprennent tout simplement pas en quoi ils ont mal agi, puisque dans leur milieu tout le monde se conduit de la même façon, et que leur milieu s'est volontairement coupé du reste de la population.

Pour éviter cela, il faudrait qu'il n'y ait pas de professionnels de la politique, mais cela implique d'élire des personnes qui ne sont pas forcément à l'aise pour faire des discours, qui peuvent être maladroits dans leur expression, tout cela grossi impitoyablement par la loupe médiatique. Je ne suis pas sûr que nos compatriotes accepteraient ce style de politiciens, car ils sont habitués aux entretiens bien huilés avec les journalistes.
 

Quels remèdes possibles ?

L'histoire de France nous apprend que les abus liés à la formation des castes se terminent souvent par des guerres ou des révolutions. Malheureusement, ce type de solution est un char de Juggernaut qui broie de manière aveugle un grand nombre d'innocents, et ce qui encore pire, il n'est pas garanti que le régime qui succède soit meilleur ou plus juste que l'ancien. Certains marxistes comme Mao ont envisagé une révolution permanente pour éviter ce morcellement, mais le remède fut infiniment dommageable.

La seule autre solution possible réside dans la clairvoyance et le sens moral de la population, ce qui passe inévitablement par l'éducation au raisonnement et au sens critique appuyé par des exemples historiques. De telles qualités ne sont pas naturelles pour la plupart des gens, elles ne s'acquièrent que par la contrainte et l'effort. Toutes les disciplines d'arts martiaux le savent depuis plus d'un millénaire mais ce n'est pas le chemin choisi par notre école depuis longtemps, on ne peut donc qu'être pessimiste au sujet de l'avenir.


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