Les grands malades du contrôle social : le « Crisis Data Hub » du Sénat

par Renaud Bouchard
mardi 29 juin 2021

« Il y a des idées si livides qu’on doit les gifler pour leur redonner des couleurs. L’idée d’humanité en fait partie. Au fond, la technologie et ses dispositifs ont pris cette place effarante dans nos existences parce qu’il n’y a plus quelque chose comme l’Homme en soi – cet Everlasting Man que chantait Chesterton dans les années vingt du siècle dernier.[i] »

Erik Audouard, Comprendre l’Apocalypse, 2018[ii]

 

« Et si nous avons perdu cette force/Qui autrefois remuait la terre et le ciel, /Ce que nous sommes, nous le sommes, /Des cœurs héroïques et d’une même trempe/Affaiblis par le temps et le destin, /Mais forts par la volonté/De chercher, lutter, trouver, et de ne rien céder »[iii]

Skyfall, quand "M", la patronne du MI6 et de l'agent 007 cite "Ulysse", un poème de l'auteur anglais Lord Alfred Tennyson (1809-1892). Dans ce poème, Ulysse, de retour de ses périples, parle de son grand âge et de son envie toujours présente d'explorer le vaste monde.

L’aveuglement est tel que nous sommes contraints de penser en termes de pathologie générale, sinon de démonologie collective – plutôt que dans le cadre rassurant des bonnes vieilles catégories philosophiques et politiques qui ne correspondent pas à la réalité des choses, explique l’étonnant philosophe Erik Audouard en un profond dialogue entre René Girard (1923-2015), philosophe français, et Leonardo Castellani (1899-1981), grand théologien argentin.

Le Mal et la Folie sont présents, à l’œuvre avec des petits Frankenstein en roue libre, créateurs de monstruosités politiques et sociologiques et qui ne se rendent même plus compte de ce qu’ils peuvent imaginer au nom de la lutte contre le COVID-19 pour enfermer leurs concitoyens dans une prison qui n’a rien de l’exercice intellectuel d’une dystopie mais procède d’une réalité toute proche, épouvantable, issue d’une imagination profondément perverse et malade.

Car le fait est que nous avons réellement affaire à des malades que chacun qualifiera selon les nuances appropriées de psychopathes, de sociopathes ou tout simplement de gens qui ont perdu le sens commun en enfonçant toutes les dimensions de l'hubris, orgueil, excès, démesure, actes transgressifs et violents présentés comme nécessaires et justifiés.

Voyez plutôt ce qu'il en est en lisant ce qui suit.

Rapporté par ce que j’appelle des sites sentinelles (en l’espèce Les Crises et Bastamag), le Rapport d'information de Mmes Véronique GUILLOTIN, Christine LAVARDE et M. René-Paul SAVARY, sénateurs, rédigé au nom de la délégation sénatoriale à la prospective n° 673 (2020-2021), en date du 3 juin 2021, fait froid dans le dos[iv].

De l’excellent compte-rendu effectué par Thalia Creac’h dans le magazine Bastamag[v], on retiendra un projet sans doute déjà très avancé de mise en place d’un cadenassage sanitaro-policier qu’il est urgent d’enrayer pour éviter d’avoir à subir les délires d’une dérive sécuritaire qui ne cesse de monter en puissance sans que personne ne s’émeuve outre-mesure :

 Les données de santé de la population française, collectées massivement, seront-elles vraiment protégées ?

Nouvelle loi renseignement : le gouvernement place la population sous surveillance algorithmique

 Doctolib : l’entreprise qui a récupéré le marché de la vaccination... et nos données personnelles

 

  1. Asservissement et contrôle politique, sanitaire et social absolu : la mise à mort des libertés publiques

 

Trois sénateurs membres de la « délégation sénatoriale à la prospective » ont donc discrètement rendu le 3 juin 2021 leur rapport d’information sur les crises sanitaires et les outils numériques.

Lecture rapide et édifiante, sans fioritures, d'un document dans lequel les parlementaires Christine Lavarde et René-Paul Savary, tous deux LR, et Véronique Guillotin, du Mouvement radical (petit parti centriste, proche de LREM) proposent de collecter de nombreuses données personnelles de la population au prétexte d’anticiper les futures crises, en particulier épidémiologiques, à venir.

Selon eux, le numérique serait « un puissant antivirus ». Ces données seraient transférées sur un « Crisis Data Hub », nommé ainsi en référence au « Health Data Hub », qui recueille déjà les données de santé (voir ci-après article).

 

« Des premiers pas de TousAntiCovid à la difficile mise en place du « pass sanitaire », en passant par les fichiers de dépistage et de vaccination, les drones et autres caméras thermiques, les auteurs de ce rapport qu'il convient de lire très attentivement tant son contenu est effarant expliquent tout simplement que le recours aux technologies numériques dans la gestion de l'épidémie de Covid 19 a suscité d'innombrables polémiques en France. Pourtant, disent-ils, les faits sont là : les pays qui ont le plus utilisé ces outils sont aussi ceux qui ont, de loin, compté le moins de morts.

Se posent-ils des questions sur les raisons profondes de ces "polémiques" ou résistances ? Pas le moins du monde. Comment en effet une population de snowflakes, trouillards et abrutis pourrait-elle être encore capable de formuler une interrogation ? La soumission est bien acquise, profitons de l'aubaine !

Depuis un an et demi, font-ils valoir, les Français sont soumis à des restrictions inédites et généralisées de leurs libertés qui n'ont pas pour autant permis d'éviter un lourd bilan sanitaire (100 000 morts), qui ont causé la plus grande récession économique jamais connue en temps de paix, et dont on commence à peine à mesurer les conséquences psychologiques. Et si la vaccination permet aujourd'hui d'espérer un retour à la normale, la pandémie de Covid 19 n'est ni la dernière, ni sans toute la plus grave des crises auxquelles nous serons confrontés au cours des années à venir.

Il est donc temps de rattraper notre retard et de faire face à nos contradictions, écrivent les auteurs du Rapport.

Les rapporteurs de la délégation à la prospective du Sénat ont une position claire : le recours à des technologies plus intrusives, mais très ciblées et limitées dans le temps, est la contrepartie d'une liberté retrouvée plus vite, pour ne pas avoir, à chaque fois, à remettre sous cloche le pays tout entier.

Mais comment donc !

Après avoir passé en revue les stratégies numériques de plusieurs pays face à la Covid 19 et évoqué quelques perspectives de long terme, les rapporteurs reviennent en effet sur la situation de la France, sur son impréparation mais aussi sur ses tabous. Ils détaillent ensuite l'unique proposition du rapport : celle d'un dispositif de crise permettant de répondre avec toute l'efficacité du numérique, sans rien céder sur nos valeurs démocratiques. »

Chacun étant désormais rassuré par la prononciation du mantra démocratique, l’opération de cadenassage peut donc continuer sans encombres.

 

  1. SMS envoyé automatiquement si vous sortez de chez vous sous couvre-feu, amendes prélevées directement sur votre compte… Pour anticiper les futures crises, des sénateurs proposent de développer des outils de plus en plus intrusifs.

 

Les sénateurs ont basé leur étude sur l’expérience de la crise du Covid-19 en France et dans d’autres pays (Estonie, Chine, Taïwan, Singapour, Corée du Sud et Hong Kong). « Est-ce que nous avons, dans notre pays, optimisé l’utilisation de l’outil [numérique] pour sortir ou gérer au mieux cette crise ? demande Véronique Guillotin dans un entretien à Public Sénat. À chaque fois que les données étaient utilisées de manière assez intrusive, la crise a été plus courte », estime-t-elle.

Les rapporteurs décrivent alors les dispositifs particulièrement sécuritaires et intrusifs qui ont été mis en place dans d’autres pays. Mais rassurons-nous, disent-ils : « Le modèle chinois n’est évidemment pas transposable aux pays occidentaux, écrivent-ils. (qu'allez-vous imaginer, Lecteur naïf ?) Avec un bémol : « On ne peut pas, pour autant, se satisfaire d’une simple posture d’indignation : la stratégie chinoise est, globalement, une grande réussite sur le plan sanitaire, avec officiellement 4846 morts pour 1,4 milliard d’habitants, soit 3 morts par million d’habitants, quand la France seule compte plus de 100 000 morts », ajoutent les sénateurs. Ils précisent cependant que ces chiffres ne sont pas forcément fiables...

Effectivement, si l'on connaît les capacités de contrôle de l'information et de mensonge généralisé qui entourent les causes comme les circonstances de la survenance et de la diffusion mondiale de la pandémie, sans parler de son traitement privilégiant telle thérapie en écartant telles autres. Quant aux chiffres passés et futurs, systématiquement minimisés, les semaines et mois à venir réserveront très probablement quelques désagréables surprises qui résultent déjà des premières indications recueillies sur les effets des « vaccinations », toutes informations qu’il va devenir de plus en plus difficile à cacher, même en s'efforçant de les glisser sous le tapis des décès qui seront naturellement imputables aux nouveaux "variants" déjà annonciateurs de nouvelles mesures contraignantes.

 

Et si la liberté d’aller et venir devenait payante ?

 

Globalement, les sénateurs conseillent donc à la France d’adopter des outils beaucoup plus intrusifs : « Si une "dictature" sauve des vies pendant qu’une "démocratie" pleure ses morts, la bonne attitude n’est pas de se réfugier dans des positions de principe, mais de s’interroger sur les moyens concrets, à la fois techniques et juridiques, de concilier efficacité et respect de nos valeurs », détaille le rapport.

Examinons le traitement réservé à ces malheureuses "valeurs" décidément bien maltraitées.

Les sénateurs proposent ainsi plusieurs idées : il s’agirait, par exemple, de mettre en place des portiques à l’entrée du métro qui sonneraient au moment où un individu contagieux chercherait à passer. Une autre proposition s’inspire de l’outil mis en place par des entreprises : leurs employés étant équipés de colliers autour du cou, ces derniers sonnant quand les distanciations sociales ne seraient pas respectées. Les rapporteurs ne voudraient surtout pas aller jusque-là. Leur idée : « Nul besoin d’un boîtier autour du cou : un smartphone peut faire la même chose avec son Bluetooth et un son de 100 décibels. » Sirène hurlante ou Samba ? Et pourquoi pas 100 dB (A) pour atteindre le seuil de douleur qui verrait alors le "récalcitrant-suspect", hurler son infraction ?

En attendant, pourquoi pas ? le système de collier explosif tueur du film de Takeshi Kitano intitulé Battle Royale, sans doute[vi] ?

Autre suggestion : « Si je préfère malgré tout disposer de ma liberté d’aller et venir, et que je sors effectivement de chez moi, il est légitime que j’assume en contrepartie une fraction du surcoût payé par la société du fait de l’épidémie, par exemple sous la forme d’une petite hausse de mes cotisations sociales si le nombre ou la durée de mes sorties excède un certain seuil. » Soit payer pour être plus libre. Les classes sociales les plus aisées n’auraient plus qu’à s’acheter plus de droits, tandis que les plus pauvres ne pourraient plus se payer le luxe de sortir.

 

« On pourrait imaginer l’envoi automatique d’un SMS à tout individu qui s’éloignerait de son domicile » ?

 

Et pourquoi pas tout simplement l'immobiliser chez lui, le ruiner financièrement en bloquant et ponctionnant son compte bancaire ou encore le liquider à distance ?

 

Pour justifier le projet, les sénateurs pointent du doigt l’absence de connexion entre différentes bases de données, publiques ou privées. « Vous prenez un portable comme le mien, commente René-Paul Savary sur Public Sénat. J’ai Tous Anti Covid [l’application qui doit alerter sur une possible contamination au Covid], qui a un certain nombre de données. J’ai OuiSNCF [l’application de la SNCF], qui a un certain nombre de données. Si je suis en voiture, j’ai Waze qui me dit où je suis. Quand vous passez votre vaccin, c’est une autre application. Mais il n’y a pas d’interopérabilité entre ces différentes applications. Ce que l’on propose simplement, c’est qu’en cas de crise, il y ait cette interopérabilité. »

Concrètement, les données médicales pourraient être croisées avec des données renseignant sur les déplacements des individus, leurs dépenses, leurs appels… Selon René-Paul Savary, les Français seraient trop frileux à l’idée de confier leurs données au gouvernement et il faudrait que les « mentalités évoluent ».

Ah ! Le Saint Homme ! C'est tout l'éternel problème djà évoqué par B.Brecht dans son poème intitulé Die Lösung, où, écrit-il, "quand le peuple a par sa faute perdu la confiance du gouvernement ce n'est qu'en redoublant d'efforts qu'il peut la regagner. (Mais) ne serait-il pas plus simple alors pour le gouvernement de dissoudre le peuple et d'en élire un autre " ?

Pour convaincre du bien-fondé d’un hub central des données de santé, les sénateurs expliquent que la surveillance effectuée grâce à toutes les données amassées limiterait le nombre d’individus contrôlés. Dès lors, une surveillance plus intensive serait justifiée, parce que moins de gens seraient concernés. Dans cette logique, l’un des termes phares de ce rapport est « graduation ». En effet, puisque les mesures d’agrégation des données seraient graduées, il serait plus simple d’accepter que différents acteurs se communiquent plus facilement nos données. Mais quelle serait cette graduation ?

« Face à une menace un peu plus grave, on pourrait imaginer l’envoi automatique d’un SMS à tout individu qui s’éloignerait de son domicile pendant le couvre-feu. Dans les cas les plus extrêmes, des mesures plus fortes pourraient s’avérer indispensables », expliquent les parlementaires. Des mesures plus fortes ? Ce seraient par exemple le prélèvement direct du montant d’une amende sur le compte bancaire d’un individu si celui-ci ne respecte pas telle ou telle règle édictée dans le cadre du contexte sanitaire. Cet individu n’aurait donc pas la moindre possibilité d’expliquer pourquoi il a dérogé à cette règle.

Le rêve...Plus de temps perdu en discussions. Mieux que le système actuel qui vous impose de payer le montant d'une amende - paiement qui vaut reconnaissance de l'infraction -, sauf à vous exposer en cas de contestation refusée à une majoration déjà acquise qui pousse les gens à payer et à s'écraser.

L'innocence n'existe pas, il n'y a que des degrés de culpabilité, comme chacun sait.

Vous n'êtes qu'un suspect en puissance et si vous n'avez pas encore été arrêté, comprenez que c'est parce que l'on ne s'est pas encore occupé de vous. Patience !

 

"Les acteurs publics comme privés devraient toujours être prêts à transférer les données."

 

Bien sûr, les sénateurs temporisent leur proposition en affirmant que les données ne seraient pas utilisées par n’importe qui, n’importe quand et qu’elles le seraient selon la situation.

Des "tiers de confiance" sans doute ?

Sait-on exactement qui utilise quoi, comment, dans quelle situation, actuellement ?

Précisons que la France a vécu sous état d’urgence antiterroriste de novembre 2015 à novembre 2017, puis sous état d’urgence sanitaire d’octobre 2020 à septembre 2021. Si un tel « Crisis Data Hub » avait existé, l’accès par l’Etat à toutes ces données personnelles aurait-elle été autorisée pendant ces trois années ? Et même en dehors de périodes de « crise », l’amas de données ainsi récoltées serait rassemblé au même endroit. En plus de permettre un contrôle et une surveillance toujours plus étendus de l’État sur les citoyens, elles seraient rendues très vulnérables. La mise en réseau d’informations peut représenter un danger pour la protection de la vie privée des individus.

« Le présent rapport propose donc non pas de collecter une multitude de données sensibles à l’utilité hypothétique, mais tout simplement de nous mettre en capacité de le faire (sic), pour ainsi dire en appuyant sur un bouton, si jamais les circonstances devaient l’exiger », tentent de modérer les sénateurs.

Ah, les braves gens !

Ces circonstances sont loin d’être précisées en détail. Dans tous les cas, selon le rapport, les acteurs publics comme privés devraient toujours être prêts à transférer massivement les données personnelles dont ils disposent.

Et ensuite ?

Ensuite, il est urgent de calmer ces malades et de les mettre hors-circuit.

 

Notes et références :

 

[i] Mathurin Gaudin, 14 avril 2019, entretien avec Erik Audouard. « Érick Audouard : « Rien de plus violent que la volonté de faire disparaître toute violence par la force », Philitt, https://philitt.fr/2019/04/14/erick-audouard-rien-de-plus-violent-que-la-volonte-de-faire-disparaitre-toute-violence-par-la-force/

 

[ii] Erick Audouard, Comprendre l'apocalypse, Pierre-guillaume De Roux, Sciences humaines & sociales, Décembre 2018

 

[iii] Skyfall, film de Sam Mendes, écriture : Neal Purvis, Robert Wade, John Logan. Daniel Craig, Judi Dench, Javier Bardem © 2012 MGM « Venez mes amis/Il n’est pas trop tard pour partir en quête/D’un monde nouveau/Car j’ai toujours le propos/De voguer au-delà du soleil couchant/Et si nous avons perdu cette force/Qui autrefois remuait la terre et le ciel, /Ce que nous sommes, nous le sommes, /Des cœurs héroïques et d’une même trempe/Affaiblis par le temps et le destin, /Mais forts par la volonté/De chercher, lutter, trouver, et de ne rien céder. »

Extrait traduit en français du poème Ulysses du Britannique Lord Alfred Tennyson (1809-1892)

[iv] Crises sanitaires et outils numériques : répondre avec efficacité pour retrouver nos libertés. Rapport d'information de Mmes Véronique GUILLOTIN, Christine LAVARDE et M. René-Paul SAVARY, fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective n° 673 (2020-2021) - 3 juin 2021http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/delegation/prospective/PRO_Rapport_numerique_pandemies.pdf

 

[v] Thalia Creac’h, « Si une dictature sauve des vies » : des sénateurs plaident pour une surveillance intrusive en cas de crise, Bastamag, 23 juin 2021

 

[vi] Battle Royale, https://onlyamoviewanker.wordpress.com/2015/09/14/battle-royale-un-seul-dentre-vous-doit-survivre-et-tous-les-coups-sont-permis/

 


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