Les guerres américaines seraient-elles « légales » ?

par Clark Kent
vendredi 23 mars 2018

« Légalité » et « légitimité » ont tendance à se confondre dans les discours des chefs d’états chargés de prêcher à leurs tribunes la parole révélée comme s’il s’agissait de « théorèmes » au sens étymologique : « la parole de Dieu ». De ce point de vue, les lois américaines promulguées après le 11 Septembre sonnent comme les dix commandements reçus de Dieu par Moïse au mont Sinaï :

« Le Président est autorisé à employer toute la force nécessaire et appropriée contre les nations, organisations ou personnes qui ont planifié, autorisé, engagé ou aidé la réalisation des attentats terroristes du 11 septembre 2001 ou qui ont hébergé ces organisations ou personnes. .. » (1)

« Le président est autorisé à utiliser les forces armées des États-Unis comme il le juge nécessaire ... afin de ... défendre la sécurité nationale des États-Unis contre la menace continue posée par l'Irak. ... » (2)

Pour un citoyen américain, ces deux résolutions du Congrès paraissent aussi évidentes et indiscutables que le décapode ou la géométrie euclidienne. Pourtant, elles ne présentent aucun caractère universel et démontrable et servent à couvrir des opérations douteuses sur le plan juridique, pour rester dans le domaine du « droit » auquel les prêcheurs ont le plus souvent recours.

Ce n’est pas le président actuel des USA qui a décidé de faire intervenir l'armée américaine au Moyen-Orient : elle y est déployée depuis trois législatures successives (démocrates et républicaines) qui ont mis en musique la politique du chaos sur la base des deux autorisations vagues du Congrès précitées et mènent des guerres non déclarées impossibles à gagner et justifient des « sanctions » sélectives appliquées aux états « insoumis ».

A l’origine de ces 17 années de fureur, aucune déclaration de guerre spécifique n’a été formulée. Pourtant, l’un après l’autre, les présidents américains et des centaines de membres du congrès ont décidé que les décombres du World Trade Center fumaient toujours pour légitimer des conflits tuant aussi bien des civils que leurs propres soldats.

Comment la guerre au Yémen peut-elle être justifiée par une résolution sur l’Irak ? Les tribuns ne se soucient ni de la logique ni de la vraisemblance, ils jouent sur l’émotion pour détourner l’attention de leurs concitoyens, et ceux qui ne sont pas dupes se taisent, trop occupés à subvenir à leurs propres besoins créés par le nouveau rêve américain connecté dans lequel les inégalités sont gommées par les applications nomades des téléphones portables et l’économie de « partage ». Les décideurs progressistes et conservateurs comptent sur l’apathie des consommateurs pour agir en leur nom. Et il n’est pas question d’érafler le vernis de la légalité des guerres menées au Moyen-Orient.

Officiellement, les Etats-Unis se sont impliqués directement en Syrie pour combattre l'État islamique. Or, en 2001, ISIS n’existait pas, et il n'y avait aucun Syrien parmi les pirates de l'air le 11 septembre. On pourrait faire valoir que l'État Islamique n’est qu’une émanation d'Al-Qaïda, qui, on le sait, a attaqué les États-Unis, mais il se trouve que, non seulement les deux organisations étaient en opposition, mais qu’en outre les États-Unis n'ont jamais combattu al-Nusra (avatr d’Al Qaida) et lui ont même fourni des armes, du matériel, et l’ont approvisionnée en combattants « islamistes ».

Pourtant, l'armée américaine est présentée comme garante des espoirs de millions de Syriens. Avant d’être mis au placard, le secrétaire d'état Rex Tillerson  avait annoncé que les troupes américaines resteraient en Syrie "indéfiniment" pour s'assurer que ni l'Iran ni le président Bachar al-Assad n'investissent le territoire sous leur contrôle. Quel Syrien « légal » ou « légitime » avait donc appelé au secours l’armée américaine si le président est contesté ?

Au Yémen, les avions saoudiens soutenus par les États-Unis et le Royaume-Uni larguent des bombes américaines et britanniques sur les « rebelles » yéménites Houthi à partir d'avions ravitaillés en vol par l'armée de l'air américaine. Le nombre de morts civils approche aujourd’hui les 50.000.

Il s’agit seulement de « dégâts collatéraux ». Des enfants meurent de faim au Yémen. Les Houthis chiites n'ont rien à voir avec le 11 septembre et ne collaboraient guère avec l'Irak sunnite de Saddam Hussein. Comment concilier la complicité américaine dans l'attentat terroriste saoudien avec la loi internationale ou nationale ? 

En Somalie, l'armée américaine est présente depuis 1993 et ses commandos combattent les militants d'al-Shabab, un groupe qui n'existait pas sous sa forme actuelle en 2001, et n'avait rien à voir avec les attentats du 11 septembre. Aucune relation connue avec Saddam Hussein n’étant attestée, il est difficile de voir comment les affrontements avec ces miliciens peuvent être justifiés par le cadre « légal » invoqué.

 

Au Niger, quatre bérets verts américains sont morts dans une embuscade l’an dernier sans que personne ne soit au courant d’une intervention quelconque dans ce pays. Quelles que soient les raisons de ces affrontements, les combattants du désert n'avaient eux non plus, rien à voir avec le 11 septembre, le prétendu correspondant local de l'État islamique n'existait pas en 2001 et le Niger se trouve à environ 5 000 km de l'antre de Saddam en Irak.

L’Oscar du meilleur scenario revient toutefois à la guerre menée en Afghanistan. Pour les autorités, c’est dans ces montagnes que les attaques du 11 septembre ont été planifiées par al Qaïda qui y avait établi son QG dans des grottes. Mais ça, c’était en 2001 ! En 2002, al-Qaïda s’était installée au Pakistan. La guerre ne s'est pas terminée pour autant et, dix-sept ans après, les États-Unis ont décidé d’intensifier leur guerre la plus longue parce que les talibans obstinés qui étaient sensés avoir donné asile à ben Laden refusent de se rendre. Or, la plupart des montagnards baptisés « talibans » mènent une action Afghano-afghane et n'ont jamais eu de contacts avec al-Qaïda.

De tout cela, le peuple américain ne perçoit que ce que la presse veut bien lui communiquer ; la couverture médiatique est consacrée à la Russie en permanence, et le Congrès se fie au Pentagone pour gérer le terrain.

La notion de « droit international » ressemble à une utopie, mais quoi qu’il en soit, ce ne sont pas les résolutions du congrès d’un seul état qui peuvent rendre « légales » des actions militaires sans préavis en-dehors de son propre territoire. Et même si elles pouvaient être considérées comme « légales » ou « licites », le fait de respecter les procédures donnerait-il à ces guerres meurtrières et inégales la moindre « légitimité » ?

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  1. - ( Res. 23 (107ème) : Autorisation d'utilisation de la force militaire (AUMF), 18 septembre 2001)
  2. - ( Res 114 (107e) : Autorisation de recourir à la force militaire contre l'Irak, le 18 octobre 2002

 


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