Les historiens militants à l’assaut du Puy du Fou

par Alexandre PAGE
dimanche 3 avril 2022

À l’occasion de la sortie d’un ouvrage intitulé Le Puy du Faux - Enquête sur un parc qui déforme l’histoire (éditions Les Arènes, 2022, 192 p.) revient sur la table la prétendue question de l’inexactitude historique des spectacles que propose ce parc à thème consacré à l’histoire de France et plus généralement à l’histoire de l’Europe. Le Puy du Fou c’est un succès économique, c’est une structure de renommée mondiale, c’est l’histoire de France qui rayonne dans les arts comme elle l’a toujours fait. Ici, c’est dans le spectacle vivant, hier c’était dans la bande dessinée avec Astérix et Obélix, avant-hier dans les romans-feuilletons de Dumas. C’est l’histoire divertissante avec de l’action, des effets spéciaux, construite comme un récit pour plaire à un grand public qui vient pour en prendre plein les yeux. D’entrée de jeu, se pose donc cette question de la raison d’un ouvrage écrit à quatre mains par des «  historiens  » pour dénoncer l’inexactitude historique de ce qui n’est pas un colloque universitaire mais un lieu de loisir. C’est une ambition assez ridicule, puisque depuis la nuit des temps l’histoire sert l’inspiration des artistes. On en jugera par l’Iliade et l’Odyssée d’Homère qui inclue des éléments historiques dans un récit mythologique, ou encore l’Énéide, où la ville de Rome est intégrée à un récit légendaire qu’il serait ridicule d’épouiller pour prouver que tout n’est pas exact. Que des chercheurs chassent le mensonge historique dans les livres des historiens, dans le révisionnisme d’un de leur pair à l’instar de Robert Faurisson, cela peut être justifié, car dans ce cas c’est dénoncer une fausseté scientifique, mais que ces mensonges soient chassés dans ce qui relève de l’art et du divertissement qui par nature use de libéralités avec l’histoire, c’est d’un ridicule consommé.

Dès lors, on peut s’interroger sur la raison qui pousse des historiens à s’appesantir de la sorte sur le cas du Puy du Fou, car, il faut bien le dire, ces historiens ne s’appesantissent pas de façon similaire sur toutes les entorses historiques dans les arts. Ils ciblent de façon particulière ceux qui, de leur point de vue, l’utilisent en vue d’écrire un narratif fantasmé de l’histoire de France. Il s’agit du Puy du Fou, il s’agit de Lorant Deutsch, il s’agit de Franck Ferrand, il s’agit de Stéphane Bern, et comme par hasard, quel est le point commun de ces figures : elles sont monarchistes ou apparentées à la monarchie. En somme, ce qui défrise ces historiens ce n’est pas l’entorse historique en tant que telle. Non, sinon on verrait ces historiens s’arracher les cheveux en voyant dans une série télévisée du moment une Anne Boleyn noire par exemple. Lorsqu’on voit ce que ces historiens reprochent d’inexactitudes au Puy du Fou (comme l’usage de bougies dans le scriptorium des moines) en comparaison d’une reine d’Angleterre noire, on voit bien qu’il y a un énorme problème de subjectivité dans l’indignation de ces historiens. Ce qui leur pose souci c’est que des figures médiatiques, appréciées du grand public soient monarchistes et fassent un récit historique qui aillent à l’encontre, non pas de l’histoire, mais de leur vision de l’histoire. Pour mieux comprendre, il suffit de regarder qui sont ces historiens qui attaquent aujourd’hui le Puy du Fou. En tête, Mathilde Larrère, spécialiste des révolutions, mais qui leur témoigne une affection dépassant de très loin le domaine historique. Son compte twitter, très politisé, est un relai médiatique de Philippe Poutou, de Sandrine Rousseau. Elle a été adhérente au Parti de gauche. Florian Besson, médiéviste «  geek  », connu pour ses études sur le Moyen Âge dans Game of Thrones et Kaamelott se retrouve un beau jour de 2019 à faire dans la revue Lectures un compte rendu sur un livre de Gérard Noiriel, Le venin dans la plume. Édouard Drumont, Éric Zemmour et la part sombre de la République. Noiriel, spécialiste de l’immigration au xxe siècle, commenté (louangé est un terme plus approprié) par un docteur en histoire médiévale  ? Le choix de ce livre n’est sûrement pas un hasard et tient moins de la rencontre fortuite que du point de vue politique partagé de l’auteur et de son chroniqueur. Je passerai assez vite sur Guillaume Lancereau qui depuis sa thèse sur l’écriture de la Révolution française a surtout été vu à parler d’Éric Zemmour, et sur Pauline Ducret, quatrième main de l’ouvrage, une doctorante fort talentueuse sans doute, mais dont la présence comme «  représentante  » de l’histoire antique montre simplement que les antiquisants ont vraiment autre chose à faire que de s’amuser à chasser l’anachronisme au Puy du Fou. Ces historiens sont tous militants, ils sont d’ailleurs tous ou presque issus du cénacle de l’École normale supérieure, endroit qui suinte tellement la gauche que le droitier se sent coupable. Tous militants, ce qui les hérisse n’est pas l’usage de l’histoire que peut faire le Puy du Fou, c’est que cet usage n’aille pas dans leur sens. À leur admiration pour l’histoire révolutionnaire, le Puy du Fou oppose une vision où la France monarchique rayonne, où la chrétienté tient une place fondamentale. À la vision de l’histoire mâtinée d’idéologie woke où les moines du Moyen Âge deviennent transsexuels (comme l’a récemment affirmé France Culture en se basant sur un chapiteau de la basilique de Vézelay), où les reines d’Angleterre deviennent noires, le Puy du Fou oppose une vision moins «  post-moderne  » sans aucun doute, qui projette moins l’époque contemporaine et son idéologie dans toutes les strates de l’histoire de France. C’est cela que ces historiens reprochent très simplement au Puy du Fou, comme ils le reprochent à Stéphane Bern, à Franck Ferrand ou encore à Lorant Deutsch.

En somme, nous avons quatre militants-historiens de gauche bien rouge qui usant de leur statut «  scientifique  » prennent à parti un parc à thème qui ne se revendique absolument pas comme un musée ou une université libre, mais a le tort de ne pas diffuser la doxa qu’aimeraient voir répandue ces mêmes historiens. Plutôt que la gloire de la monarchie, ces historiens voudraient le panégyrique de la révolution française. Au triomphe de Jeanne d’Arc, ils préféreraient celui de Robespierre, et finalement, puisque cela ne les défrise pas, ils aimeraient sûrement aussi un Clovis noir, un moine transsexuel dans son scriptorium plutôt qu’une bougie, et ils trouveraient sûrement quelques études universitaires anglo-saxonnes de derrière les fagots pour nous affirmer que oui, ça a existé  !

Pour conclure, je dirais que le Puy du Fou fonctionne à merveille, car il emploie l’histoire à fin d’émerveillement. Il n’est pas là pour donner des leçons, pour dire aux Français de se flageller, car leur pays a été méchant contre untel ou untel, que leur histoire est sale, car la France a été méchante à cette époque et à cette époque. Il est là pour faire rêver, comme le cinéma, comme la littérature, en utilisant l’histoire qui est un fabuleux support de récits passionnants et en introduisant la licence artistique qu’il n’a jamais cherché à dissimuler. Au contraire, ces historiens plus rouges qu’une tomate mûre, sous les dehors de la rigueur scientifique et en étalant pompeusement leurs titres universitaires censés garantir leur crédibilité de chercheur, revendiquent une démarche scientifique qui n’est qu’un paravent pour cacher moins un livre scientifique qu’un essai militant.

 

Alexandre Page, docteur en histoire de l’art et écrivain

 


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