Les hommes et femmes politiques ne seraient-ils que de vulgaires cabotins ?

par Desmaretz Gérard
lundi 3 avril 2017

La plupart des activités humaines sont conduites en vue d'une finalité. Le jeu de l'acteur est une simulation qui consiste à passer d'un rôle réel à un rôle de composition ou fictif imposé par un rituel social. Le candidat à l'élection présidentielle ne peut pas toujours jouer le rôle correspondant à son moi intime, il se réfugie alors dans le personnage, tantôt directement ou indirectement, qu'il pense adapté au média : meeting, débat télévisé, interview, « shooting », etc. Une différence d'activité ou de rôle peut apparaître par rapport à la prestation, et ce que l'électeur peut prendre pour une activité sérieuse, peut n'être qu'un jeu pour l'autre ou réciproquement. Nous avons tous entendu parler du psychodrame (J.Moreno), une technique reposant sur l'imagination et la dramatisation dans laquelle le psychiatre tient le rôle du metteur en scène et le patient celui de son propre personnage, transposé au domaine de la politique, cela débouche sur le sociodrame. Le candidat à l'élection cherche à exacerber les tensions collectives afin de provoquer une pseudo « liquidation » (catharsis) de leurs effets jugés malsains. Il cristallise des centaines, voire des milliers d'intérêts divergents en quelques formules faciles à comprendre et à accepter (il fait de la pédagogie...) qu'il résume dans un « programme ».

L'homme ou la femme politique s'apparente à un animateur-acteur capable d'argumenter, débattre, donner l'impression d'« écouter » l'autre (fausse écoute), et de travailler l'image qu'il renvoie. Cela nous semble devenu si naturel que nous ne percevrons plus le théâtre invisible qui entoure chaque prestation des candidat(e)s. La plupart des individus restent attachés à leurs traits dominants qui les singularisent. Même lorsqu'ils jouent ou tiennent un rôle de composition, ils restent bien souvent eux-mêmes ou ce qu'ils ont toujours été. C'est Dupont interprétant Dupont, ces « acteurs » sont légion au cinéma. Il des candidats qui semblent se démarquer dans la « clique » politicienne : en sur-jouant, hystérique, manipulateur, bref, un comportement histrionique jouant un rôle au lieu de le servir.

Si certains politiques jouent à leur insu un rôle, d'autres ont suivi des cours d'expression théâtrale et son capables de faire passer une émotion, un sentiment, une conviction chez l'électeur-spectateur... Observez un mythomane sous l'emprise de son imagination, il invente des histoires auxquelles il est le premier à croire, il n'en est que plus convaincant. L'art théâtral est un ferment qui permet d'exploiter tous les aspects d'une personnalité donnée et toutes ses potentialités. Il conduit intentionnellement l'homme à adopter un rôle de composition, rôle censé représenter les qualités qu'il s'attribue ou que les électeurs vont lui attribuer. Dans l'antiquité, le théâtre appartenait à tous avant de devenir plus élitiste sous l'influence grecque. Les citoyens furent séparés entre acteurs et spectateurs qui n'avaient que le droit de regarder le spectacle. Puis les acteurs furent classés en chœur (le peuple) et protagoniste (l'aristocratie). Le théâtre devint dès lors un instrument aux mains des dominants. Soyons « reconnaissants » à la démocratie et à la technologie de nous offrir ce spectacle souvent affligeant des débats d'énergumènes politiques.

Tout l'art repose sur la méthode que Stanislaski créa dans les années vingt et qui allait être à la base de l'Actor Studio de New-York, méthode qui allait se populariser dans tous les cours d'expression théâtrale. Petite précision, cette technique fut baptisée la psychotechnie, autrement dit, elle s'appuie sur des traces laissées dans la mémoire... Le jeu n'est donc pas totalement isolé de la personnalité intrinsèque de l'acteur, le spectateur attentif peut à certains moments la repérer ! et le psychopatologue y déceler un indice appartenant au champ de la santé mentale... Si le téléspectateur se met dans le rôle d'un observateur averti comme le ferait un ethnologue, il parviendra à distinguer les in-congruences du personnage-candidat...

Un individu présente en fonction des circonstances environnantes différentes personnalités : travail, maison, hobby, intimité, etc. Le simple fait d'être capable de prendre le contrôle de sa « personae », dérivée des masques utilisés par les anciens acteurs romains, peut amener ou conduire à un changement de personnalité. Plus l'homme politique saura appréhender son profil psychologique et sa propre « personae », plus il saura adapter sa personnalité au rôle que lui confère sa prestation ou celle que commande l'instant. Il lui deviendra alors facile de se dissimuler derrière le personnage qu'il a choisi d'incarner.

Si l'homme vit intensément un personnage, il va naturellement lui prêter son corps, sa voix, et son esprit pour finir par se glisser dans la peau de cet autre. Il peut alors vivre avec émotion tout ce que ce personnage est censé ressentir. Pour ne pas avoir l'air de « jouer » la comédie, il est indispensable que le candidat présente une cohérence certaine et non pas une certaine cohérence. Il doit être en symbiose avec son personnage et le vivre à la fois de l'intérieur et de l'extérieur. C'est cette capacité à entrer dans un processus de dédoublement (rôle de composition) que l'on appelle la construction du personnage.

Le candidat ou la candidate, une fois glissé dans la peau du personnage et après s'en être paré de tous les attributs, constate que son mental s'est également transformé et qu'un certain mimétisme transparaît. Ce masque va lui donner toutes les audaces, et si le candidat est par ailleurs un être manipulateur, il acquière une adresse féline, toujours capable de retomber sur ses « pattes ». Par contre, si l'homme politique manque : son entrée (bruits de casseroles), une séquence (la Guyane est une île), ou son effet (rôle du sachant donneur de leçons), il aura du mal à se rattraper (histoire tirée par les cheveux), alors que sur scène, le spectateur pourra penser que cela fait partie du spectacle. Tout, absolument tout doit accréditer le personnage et la fonction.

Le candidat ne doit surtout pas oublier de tenir son rôle au-delà de la représentation publique. Il peut être surveillé, observé, ou bien épié à son insu : officiers de sécurité, paparazzi, service étranger, etc. L'homme ou la femme se s' appartient plus, il lui faut refréner tout comportement qui pourrait trahir une personnalité dissimulée ou un pan de vie caché. Le candidat doit faire mine d'éprouver les sentiments et adopter les comportements que le public lui accole. Il ne s'agit pas de « singer » tel personnage, mais de composer avec sa propre personnalité pour ensuite l'insuffler dans la vie du personnage afin de mieux la laisser transparaître sur de belles images sur papier glacé... Mais chassez le naturel, il revient au galop.

La tenue d'un rôle et l'influence qu'il peut exercer sur les comportements a été illustrée de façon spectaculaire. Dans les années soixante-dix, le psychologue Phimip Zimbardo recruta au hasard un groupe de jeunes universitaires et en sélectionna onze pour tenir le rôle de gardiens dans une prison de Stanford, auxquels il leur distribua à cet effet : uniforme, menottes, matraque, sifflet. Dix autres étudiants formèrent le groupe des « détenus » et furent placés en cellules sous le contrôle du premier groupe. Zimbardo laissa aux étudiants le soin d'établir le règlement intérieur. Le premier groupe interdit aux « prisonniers » de parler pendant les repas, pendant les périodes de repos et mit en place des contrôles de présence au milieu de la nuit. Il fut convenu que tout manquement à ce règlement entraînerait une sanction. Face à ce règlement très strict, les prisonniers commencèrent à faire de la résistance, allant jusqu'à se barricader dans leurs cellules. Les gardiens réagirent alors vivement, et certains devinrent violents, voire sadiques. Ce qui ne devait être qu'une expérience devint une réalité. L'expérience de psychologie sociale prévue durer deux semaines fut suspendue au bout de six jours. Ce qui devait n'être qu'une situation simulée s'était transformée en violence réelle.

Pour en revenir à nos candidats à la présidence, ne devraient-ils pas se présenter devant un collège d'experts « psycho-pathologistes », faire l'objet d'une enquête d'habilitation, et se soumettre au détecteur de mensonges avant de concourir dans une présidentielle qui ressemble à un combat d'égos ? Comment ne pas penser à la pièce Jacques et son maître de Milan Kundera, quand Jacques montrant le public dit : « Ceux-là ? On peut leur faire croire n'importe quoi. »

 


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