Les juifs en France, selon un pro-israélien qui n’en a cure d’Israël

par wieeinstlilimarleen
mercredi 30 août 2006

Aujourd’hui, dans les commentaires d’un blog, on m’a traité de « pro-israélien ». Je dis bien traité, car vu la prose sur le sujet de celui qui tenait ce langage, assurément ce n’était pas un compliment. Pourtant, je n’avais pas exprimé de vue pro-israélienne, en ce sens que je suis étranger au sionisme, étranger à Israël et guère concerné par les conflits au Proche-Orient.

J’aurais même tendance à me satisfaire d’un splendide isolement (lien ).

Je ne suis même pas juif.

Ceci dit, je dois reconnaître, néanmoins, que j’ai un a priori positif à l’égard des juifs. Enfin, ça dépend. Quand j’étais petit, je vivais dans un quartier juif. Je ne le savais pas, que ce quartier était juif, on ne me l’avait pas dit. C’est en effet un quartier où se trouve une synagogue, c’est en effet un quartier où la proportion de juifs est plus importante que dans d’autres lieux. Dans l’immeuble où j’ai passé mon enfance, sur dix foyers, quatre étaient juifs. Pour certains juifs, c’était quasiment marqué sur leur visage : ils portaient la kippa, les ficelles sur le bord du pantalon, voire le chapeau et le costume noir, les cheveux pendouillants. Mais comme on ne m’avait pas averti que j’habitais dans un quartier juif, je n’y ai prêté nulle attention. Certes, les gugusses tous en kippa ne frayaient guère avec les non-identifiables, les non-communautarisés, dans mon genre. Dans le parc, ils avaient tendance à vouloir s’approprier la table de ping-pong et nous pourchasser en bicyclette si nous en venions à mettre en discussion leur autorité. Comme dans le quartier se trouvaient aussi de bons camarades juifs dépourvus de kippa, je n’ai pas associé à la judéité ce communautarisme de squatt des tables de ping-pong : j’ai tôt décidé de prendre les cons pour des cons (j’espère que vous ne me tiendrez pas rigueur de cette familiarité), et non pas pour les représentants des adeptes d’une religion. Plus tard, quand on m’a appris que le quartier où j’ai passé mon enfance est juif, j’ai répondu n’avoir rien remarqué, ne pas avoir été incommodé. J’ai vu suffisement de juifs pour savoir qu’ils sont comme les chrétiens : des petits, des grands, des amis et des imbéciles.

Plus tard, lorsqu’il me sembla, comme une évidence, qu’il était l’heure d’abandonner les absurdités d’extrême-gauche, lorsque j’ai décidé d’arrêter de croire que les révolutionnaires aidaient le genre humain, je me suis naturellement intéressé aux réformistes comme Léon Blum. Refusant les 21 conditions de l’URSS (lien ), fidèle au réformiste, comment pouvais-je ne pas m’incliner devant l’homme du Front populaire, qui lia combat social et intérêt national, en faisant des réformes importantes (comme les congés payés) tout en restant conscient d’impératifs vitaux pour la nation (comme le réarmement face à une Allemagne de plus en plus menaçante). Homme de courage, il prit les décisions qui déplaisent aux immodérés, les décisions de compromis, notamment en soutenant l’Espagne républicaine de manière non officielle (n’impliquant pas le pays en termes de politique internationale à un moment de faiblesse, soutenant néanmoins les républicains en guerre en Espagne). « Juif français, né en France d’une longue suite d’aïeux français, ne parlant que la langue de mon pays, nourri principalement de sa culture, m’étant refusé à le quitter à l’heure même où j’y courais le plus de dangers » (lien ) : j’ai trouvé dans cette judéité une admirable preuve de nationalisme tel que je l’entends, la marque d’une adhésion profonde à la construction nationale. Alors que certains trouvent dans leur origine (par exemple : basque, corse, alsacienne ou bretonne), la voie de l’éloignement de la nation, la voie du repli sur soi, ce juif-là sut faire la synthèse entre son origine religieuse et la construction merveilleuse de la France comme État de droit et zone de mixité.

L’autre grand juif que mes études me conduirent à rencontrer, par la lecture j’entends, c’est Marc Bloch. Je dois reconnaître que de l’historien, je connais surtout la réputation, je n’ai guère eu l’occasion de le rencontrer régulièrement. Il était à l’origine de l’école des Annales, école dont l’objet était la remise en question de l’histoire classique, militaire, très événementielle qui se pratiquait alors, école dont l’objet était de collaborer avec les autres sciences humaines nées récemment, les sciences sociales. Or, à mon époque, cette approche novatrice de son temps était devenue le lot habituel, un ensemble englué, dilué. J’ai étudié et recherché au temps du retour de l’événementiel, il va sans dire que l’apport de Bloch en ce sens était plutôt de l’ordre de l’histoire ancienne. Non, l’incontournable chez Bloch à mon sens, pour moi, c’est dans L’Étrange défaite qu’il se trouve. On y trouve une tentative d’analyse intelligente de la situation de 1940 vue de l’intérieur. On y trouve un discours sur le sens de l’histoire, la « science du changement » qui n’a pas cessé de me sembler pertinent (au contraire des pénibles et poussifs discours sur l’histoire prétendue cyclique), un discours qui permet de ranger au placard l’abruti devoir de mémoire et de le remplacer par la confrontation systématique des faits dans tout comparatisme. Mais on y trouve aussi la marque d’un engagement : celui d’un juif ayant combattu en 1914-1918, s’étant porté volontaire en 1940, entré en Résistance ensuite et mort fusillé par l’envahisseur nazi. Un juif de plus ayant fait honneur à la France, ayant adhéré à notre construction nationale avec ardeur, ayant accepté de mettre les mains dans le cambouis pour un avenir meilleur. Un sacrifice dans l’intérêt commun. « Pas de liberté du peuple sans souveraineté du peuple, c’est-à-dire sans République », disait le grand homme dans l’article « Pourquoi je suis républicain », (publié dans L’étrange défaite, Paris, Gallimard, 1990, p. 215-220).

Voilà deux cas qui montrent incontestablement que la judéité est parfaitement compatible avec la construction de la France dans l’esprit que j’affectionne, c’est-à-dire sociale et nationale. Ce sont des individus qui pensent et qui agissent, qui à leur manière tirent l’ensemble vers le haut. De fait, ce sont de tels exemples qui me donnent un a priori positif à l’égard des juifs. Pas de quoi être pro-israélien, étant indifférent du Proche-Orient, mais suffisamment pour être aux aguets concernant l’antisémitisme en France.

En ce sens, je ne peux qu’être charmé lorsque je lis Alain Finkielkraut déclarer : « La France se défend d’autant moins bien - et cela, c’est une situation tout à fait nouvelle par rapport à celle que les Juifs ont connue quand il était question de leur intégration - que, au travers de son élite intellectuelle en tout cas, elle ne s’aime pas. Nous devons y être attentifs car nous avons pu jouer un rôle dans ce désamour de la France vis-à-vis d’elle-même en contribuant à répandre une vision unilatérale et pénitentielle du devoir de mémoire. Maintenant, d’autres prennent le relais : crimes en Algérie, pays esclavagiste, etc. Une France exclusivement identifiée à ses crimes a du mal à opposer une alternative à l’intégration par la pure et simple consommation. Traditionnellement, les antisémites, ce sont des Français qui vouent un culte à leur identité et qui s’aiment contre les juifs. L’antisémitisme contemporain, ce sont des Français qui ne s’aiment pas, qui pensent dans un horizon post-national, qui se dépouillent de leur "francité" pour mieux s’identifier à tous les pauvres de la terre et qui, à travers Israël, rangent les juifs dans le camp des oppresseurs. Vous avez une sorte de connivence entre l’islamisme antisémite et le progressisme de l’autodépréciation, du désaveu et de la haine de soi. C’est cela que nous sommes obligés de penser. » (lien )

Pour avancer, il s’impose, à mon sens, d’aimer notre pays. Il importe d’avoir des modèles comme Blum et Bloch. Ils sont la richesse de notre pays. Le temps du culte identitaire, de la haine du juif comme étranger, est révolu ; nous n’avons pas besoin pour autant de nous détester ni de haïr le juif comme incarnation de notre puissance. Nul en France ne peut prétendre être plus Français que les juifs. Ceux qui croient qu’une intifada serait appropriée sur notre sol trahissent notre projet constitutif d’État de droit. Ceux qui trahissent les juifs en se laissant aller à l’antisémitisme par humanitarisme nous poignardent tous.


Lire l'article complet, et les commentaires