Les lettres mortes de l’Affaire Boulin

par Pierre PEYRARD
samedi 27 novembre 2021

Depuis quarante deux ans, la thèse du suicide de Robert Boulin est notamment étayée par l'expédition d'une demi-douzaine d'exemplaires de la "lettre posthume" sujette à caution. Pourtant, un détail est passé sous les radars pendant la même période...

Il faut parfois chercher ailleurs une vérité verrouillée de l'intérieur. Il faut se connecter hors des frontières où l'omerta sévit, et fouiller dans les recoins de "la toile". Même quarante deux ans après les faits. Car on peut y découvrir des lettres d'adieu de Robert Boulin inaperçues, absentes de la procédure, probablement disponibles au "magasin des suicides" cher à Jean Teulé et Patrice Leconte où certains policiers du SRPJ de Versailles de l'époque semblent avoir fait leurs courses.

Démonstration :

En 1979 Internet n'existait pas encore, et les correspondants étrangers de la presse internationale avaient peu de moyens d'information et d'enquête. Lorsque le Ministre du Travail et de la Participation en exercice du Gouvernement Barre fut retrouvé mort dans un étang de la forêt de Rambouillet le matin du 30 Octobre 1979, c'est notamment l'agence de presse "Associated Press" qui diffusa entre autres l'information au Washington Post et au New-York Times.

Dans leurs comptes rendus des faits, le Washington Post tout comme le New-York Times alimentés par la même agence, révèlent un détail important :
Robert Boulin a déposé une lettre d'adieu à sa femme Colette sur un des sièges de son véhicule personnel. Le Washington Post ajoutera qu'une deuxième lettre d'adieu aux collaborateurs du Ministère y sera également retrouvée au même endroit. Rien de moins. 
Voici précisément ce qu'écrivent les journalistes américains :

- pour le Washington Post :
"In the car were envelopes addressed to Boulin's wife and to his associates at the Labor Ministry. An autopsy is being conducted". 

- pour le New-York Times :

"Mr. Boulin also wrote letters explaining his suicide to his wife, Colette, to Le Monde, and to a Gaullist colleague, Jacques Chaban‐Delmas, who is President of the National Assembly".

Ces lettres sont totalement passées sous les radars depuis quarante deux ans. Et pourtant :

- Comment expliquer qu'elles n'ont pas été expédiées à Montfort l'Amaury à leurs destinataires, comme la demi-douzaine d'autres lettres postées le 29 octobre après-midi ?

- Comment expliquer que le gendarmes, les premiers sur les lieux, n'ont jamais évoqué la présence de ces lettres à bord de la 305 Peugeot du Ministre, alors qu'ils y ont découvert le fameux "Bristol" sur le tableau de bord ?

Cherchons encore si d'autres journaux de l'époque mentionnent l'existence de ces lettres.
Albert du Roy, journaliste à l'Express indique en effet dans son article du 3 Novembre 1979 :

"Sur le siège de la voiture, une lettre à sa famille, une autre à ses collaborateurs du ministère. On découvrira peu après que d'autres lettres, adressées à Jacques Chahan-Delmas, à l'A.f.p., à "Sud-Ouest", ont été postées dans le village voisin de Montfort-l'Amaury." 

Par enquête réalisée par les journalistes Greilsamer, Rollat et Sarazin on apprendra dans un article titré "l'irrévocable décision" du journal "Le Monde" daté du 14 Novembre 1979 ceci :

"Le corps de Robert Boulin sera finalement découvert vers 8 h. 30, dans l'étang Rompu. La voiture du ministre est garée non loin. Aussitôt, semble-t-il, la police judiciaire y saisit deux lettres, l'une adressée à Mme Boulin, l'autre à ses proches collaborateurs. Les pièces éparses d'un mot déchiré auraient également été saisies. Les lettres postées à Montfort-L'amaury parviendront, pour leur part, jusqu'au public. L'affaire Boulin commence."

Récapitulons la situation connue au 31 Octobre 1979 :

- Un message dactylographié retrouvé dans la corbeille à papier du bureau du Ministre à son domicile le 29 octobre 1979 après 20h annonce l'intention du suicide. Rappelons que trois visiteurs du soir, dont deux connus de Colette Boulin se sont présentés à Neuilly sur Seine, à son domicile et ont eu accès au bureau de Robert Boulin, où se trouvait sa machine à écrire.

- Une demi-douzaine de lettres (bidonnées, la première phrase et le dernier paragraphe annonçant le suicide étant décalés par rapport au reste du corps de texte) postées de Montfort-l’Amaury le 29 octobre enfoncent le clou.

- Un bristol rédigé avec deux encres différentes (bleue et noire) à l'entête du Ministère découvert le matin du 30 octobre par les gendarmes (dessaisis de l’enquête en moins d’une heure) est disposé sur le tableau de bord du véhicule du Ministre. Il contient un message indirect à Colette Boulin et ses enfants, et précise au verso où se trouvent les clés du véhicule (retrouvées à un autre endroit). Précisons ici que, Maxime Delsol, garde du corps du Ministre, a reconnu imiter l'écriture et la signature de Robert Boulin en 1984 afin de personnaliser des lettres dactylographiées. Curieusement, les gendarmes ne mentionnent pas la découverte d’autres documents à bord du véhicule.

- Deux lettres d'adieu, l'une à destination de Colette Boulin, l'autre aux collaborateurs du Ministère auraient été retrouvées le même matin du 30 octobre par les enquêteurs du SRPJ de Versailles (prenant le relais des gendarmes dessaisis) sur l'un des sièges du véhicule du Ministre.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que nos apprentis maquilleurs ont mis le paquet ! "Circulez y'a rien à voir, puisqu'on vous dit que c'est un suicide !". Afin de bien prendre son élan pour se noyer dans les cinquante centimètres d'eau de l'étang rompu, Robert Boulin aurait donc annoncé son suicide à dix reprises sur dix documents différents. Voilà, ça c'est fait ! Le secret d’une publicité efficace, c’est la répétition. 

Reste les faits et la procédure :

Si le SRPJ de Versailles a saisit "semble-t-il" (comme le publie prudemment "Le Monde") les lettres d'adieu à Colette (qui ne les a jamais lues) et aux collaborateurs du Ministère du Travail, il y a donc des scellés numérotés notifiés sur procès verbaux comme l'exige la procédure.

Pourtant, la partie civile n'y a jamais eu accès. Sous le choc au matin du 30 octobre, elle n'en connait même pas l'existence et s'étonnait de n'avoir pas reçu de courrier ! Aucun des avocats de la partie civile en quarante deux ans n'a demandé accès à ces pièces à conviction, qui pourtant auraient permis de dissiper tous les doutes possibles : Une lettre d'adieu d'un mari aimant à sa femme, ça ne s'invente pas. Certains ont dû être en mal d’inspiration, sachant qu’en plus il aurait fallu choisir entre deux couleurs d’encre, voire écrire avec les deux pour respecter les nouvelles habitudes d’usage des stylos du Ministre !

Plus sérieusement, il ne fait plus de doute aujourd'hui que la nuit blanche du 29 au 30 octobre 1979 fut consacrée par les autorités assistées d’une bande d’amateurs redoutables au maquillage de l'assassinat en suicide. Avec en prime, un odieux enfumage de la presse, dont le clou du spectacle de la désinformation sera le journal télévisé de treize heures d'Antenne 2, alors que l'autopsie dirigée et incomplète n'avait pas encore commencé ! Les observateurs attentifs de l'affaire Boulin et l'opinion publique attendent donc avec impatience les bonnes feuilles du livre à paraître en 2022 du Commissaire Leclair en charge de l'enquête. Le « grand flic » dont les assauts annoncés dans son livre "choc" promettent déjà de démonter la thèse de l'assassinat, suscite la curiosité !


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