Les mains tremblantes de Nicolas Sarkozy...

par Retorix
mardi 9 mai 2006

Le projet de loi de Sarkozy sur l’immigration actuellement en débat à l’Assemblée nationale le donnerait à penser. En effet, il semble que certains ministres considèrent de plus en plus fréquemment que légiférer sert essentiellement à faire de la politique politicienne. Pourquoi une nouvelle loi sur l’immigration, que dit-elle ? Et à qui ? Et pour quoi faire ? En fait, il suffirait de regarder comment les débats politiques dans la presse écrite et audiovisuelle se déroulent, et ce qu’il s’y dit, pour comprendre l’intention et répondre à cette question. Le projet de loi en lui-même n’est pas sécuritaire, et nul article ne comporte formellement une portée juridique quelconque ayant à voir avec le droit pénal. Et pourtant... Et pourtant, tous les débats dans la presse tournent étrangement autour de la délinquance, des immigrés fauteurs de troubles, de leur non engagement (supposé) vis-à-vis de la République, etc. D’un mot, on nous propose de choisir enfin, nous. La racaille, ou l’ingénieur bon marché, sage et poli ?

Une double imposture

En trois ans seulement, voilà que Nicolas Sarkozy dépose son deuxième projet de loi « immigration ». Gageons qu’il pourrait bien en déposer un troisième avant la fin des échéances électorales. Que va-t-il nous réserver ? Inscrire plus fermement encore le principe de la double peine dans la loi ? La pression financière sur les familles ? Un tribunal des flagrants délits nouveau look ? Nous verrons !

Montesquieu écrivait « Il ne faut toucher aux lois qu’avec des mains tremblantes ». Si les mains de Sarkozy tremblent, ce serait plutôt de fébrilité arriviste, carriériste et acharnée, et non de sage prudence. Les yeux rivés sur le calendrier politique, il donne cette loi en pâture, espérant ainsi gagner des voix à l’extrême droite. Le débat de fond, pourtant nécessaire, n’aura pas lieu. Car en fait, et de nouveau, que dit cette loi qui soit fondamental dans son énoncé ? Rien, en tous les cas, qui puisse s’appliquer à une situation réellement et clairement appréciée. Quatre-vingt-quatre articles pour dire donc quoi, au juste ? Pas grand-chose ! C’est, répétons-le, ce qui sera dit et ce qu’on va dire autour de la loi qui compte ! Le propos essentiel est bien là ! Avec un petit effort d’imagination, on pourrait déjà entendre ce qui se dira au comptoir dans les bars-tabacs.

Il est vrai cependant que certains articles de la loi comportent quelques mesures de durcissement (ou restrictives) dont certaines insidieusement insérées, çà et là, dans le texte. Nous y reviendrons plus tard. Mais cela n’est en rien une « prouesse » législative, surtout pour les « nouveautés » qui n’avaient pas besoin d’une « nouvelle » loi pour exister. Alors quoi, peut-être un nouveau concept ? « Immigration choisie » ? Pas vraiment non plus, et d’ailleurs choisie par qui, et pour quoi faire ? Nous le savons déjà, et avait-on besoin d’une loi pour nous dire que c’est possible ? Si une entreprise souhaite engager des ingénieurs étrangers qualifiés, ceux-ci auront leur permis de séjour et leur carte de travail. Si un hôpital ne peut remplir son cadre qu’en s’adressant à des médecins et à des internes étrangers, étant donné les conditions de travail déplorables que les Français n’acceptent plus, il n’est pas besoin de cette nouvelle loi pour le faire ! Le cadre juridique existe déjà. S’agissait-il de « mieux réguler l’immigration, lutter contre les détournements de procédure, promouvoir une immigration choisie et une intégration réussie, dans l’intérêt de la France comme dans l’intérêt des pays d’origine, [...] de nouveaux instruments juridiques sont nécessaires » comme indiqué dans l’exposé des motifs (page 3) ? L’immigration aujourd’hui est soit clandestine, et le texte ne changera rien à la situation actuelle, soit légale, et le texte n’apporte rien sinon l’une ou l’autre des restrictions qui sont nauséeuses. Pour cela, même les Eglises catholiques et protestantes sont montées au créneau, fait suffisamment rare pour être remarqué.

Épinglons par exemple l’article 12 présenté dans l’exposé des motifs et qui est à ce sujet éloquent : « L’article 12 crée une carte portant la mention compétences et talents, d’une durée de validité de trois ans renouvelables, dont la vocation est de faciliter les conditions d’admission au séjour des étrangers susceptibles de participer de façon significative et durable au développement économique ou au rayonnement, notamment intellectuel, culturel ou sportif, de la France ou de leur pays d’origine. Les bénéficiaires de cette carte seront choisis en prenant en compte la personnalité et les aptitudes de l’étranger, le contenu de son projet, la nature de l’activité qu’il se propose d’exercer, et l’intérêt de ce projet et de cette activité pour la France et le pays d’origine. » Ah oui, le pays d’origine... Si le ministre veut parler des jeunes espoirs du football recrutés dans leur « pays d’origine » pour des clubs français pour le rayonnement de... clubs français, et de la France, nous ne pouvons pas douter qu’ils seront « poussés » et « aidés » au retour dans leur pays. Surtout qu’ils trouveront, à n’en pas douter, dans leur pays, le même salaire qu’en France ! Ailleurs encore, à l’article 27, il s’agit du mariage : « De manière cohérente avec les conditions d’acquisition de la nationalité par mariage, modifiées à l’article 59, la durée de séjour régulier préalable à la possibilité d’accéder à la carte de résident est portée de deux à trois ans ». Durcissement, oui, mais pas trop, pour que ça passe dans le « paquet-colispaquet-colis » de ce projet de loi.

Le principe du « jetable » gagne-t-il du terrain ?

On pourrait ainsi faire le tour des quatre-vingt-quatre articles et s’y amuser si ce n’était navrant. Il se trouve que Malek Boutih (secrétaire national du Parti socialiste chargé des questions de société) a résumé ce qui fait que cette loi n’est pas un acte législatif au sens noble du terme, mais un acte purement politique. Il l’a fait lors du débat au « Téléphone sonne » sur France Inter le 2 mai (on peut encore réécouter l’émission). En substance, il a répondu à Thierry Mariani, député UMP du Vaucluse, et rapporteur du projet de loi immigration et intégration : « Lorsqu’on regarde la loi, article par article, on constate qu’elle s’adresse justement à ceux qui sont réguliers en France, parce que de qui s’agit-il, lorsqu’on parle de regroupement familial ou de mariage, ce sont évidemment des « légaux », des « réguliers ». Un immigré clandestin ne va évidemment pas demander de regroupement familial. » Tout est dit.

Ce qui est affligeant dans tout ceci est que certains, comme Sarkozy, considèrent l’Assemblée nationale pour ce qu’elle ne devrait pas être, le « bac à sable » du jeu politique (comprenons plutôt politicien). Dans la presse beaucoup ont dit qu’après les emplois jetables, on nous proposait l’immigration jetable. Chez les juristes, avec l’inflation législative depuis une vingtaine d’années, c’est le concept du droit jetable (dans le sens inutile) qui fait son chemin. Sarkozy y aura bien contribué.

Pour terminer, il ne semble pas inutile de citer Portalis (le maître d’oeuvre du Code civil de 1805) dans son discours préliminaire sur le projet de Code civil : « L’office de la loi est de fixer, par de grandes vues, les maximes générales du droit, d’établir des principes féconds en conséquence, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître de chaque matière. Il ne faut point de lois inutiles ; elles affaiblissent les lois nécessaires ; elles compromettraient la certitude et la majesté de la législation. »


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