Les mauvais riches : cassez-vous riches cons !
par Jacques-Robert SIMON
jeudi 31 mai 2018
Antoine Crozat (1655-1738) fut considéré un temps comme « l'homme le plus riche de France ». C’est le fils d’un banquier lui-même issu d’une d’un père marchand de lingerie. À Toulouse, où il s’est installé, il amasse rapidement une fortune importante tout en étant condamné à plusieurs reprises pour usurpation de titre de noblesse. En 1689, il devient Receveur Général de la Généralité de Bordeaux. En 1697, il investit dans la ferme de tabac, établissement qui possède le monopole de la vente de tabac fourni par Saint-Domingue. Il fonde aussi la Compagnie royale de la mer du Sud qui lui permet d’accroître considérablement sa fortune grâce à des commerces considérés comme à la limite de la légalité.
En 1701, il obtient le monopole de la fourniture en esclaves de toutes les colonies espagnoles. Il dirige aussi la Compagnie de Guinée qui fait de la traite négrière entre Nantes et Saint-Domingue. Louis XIV ne pouvant entretenir la Louisiane, il lui accorde en 1712 le privilège du commerce de la Louisiane française, où vivent des « gens de couleur » ayant fui Saint-Domingue. La Louisiane n'est cependant pas une entreprise assez rentable à son goût.
Lors de la famine de 1713, il lui est demandé d'aider les pauvres qui meurent de faim, alors que ses bateaux sont chargés de vivres. Il accepte mais la nourriture qu'il fournit est semble-t-il avariée.
À la mort de Louis XIV, son successeur Philippe d'Orléans institue une Chambre de justice pour rechercher « les malversations et abus gains illicites et commerces usuraires faits au détriment et à l'occasion de Nos finances ». Cette chambre inflige une forte amende à Crozat. C'est pour acquitter cette dette vis-à-vis de l'État qu'il doit effectuer des cessions. Crozat restitue alors à la Couronne de France les privilèges concernant la Louisiane accordés en 1712. La Louisiane sera récupérée un peu plus tard par le banquier écossais John Law.
Malgré de nombreux évènements politiques laissant penser que les sociétés étaient en route vers la Liberté et l’Égalité, Les richissimes d’aujourd’hui plus riches qu’au grand siècle et, à fortune égale, douze fois plus nombreux que les plus riches personnages de l’ancien régime.
Bernard Arnault est né le 5 mars 1949 à Roubaix. Son père est ingénieur de l’École centrale, il était le fruit d’une lignée de militaires alsaciens. À sa sortie de l’École Polytechnique, il rejoint l'entreprise familiale de travaux publics qui s’occupe de promotion immobilière et de la construction de logements. En 1981, le programme du nouveau président (socialiste) ne lui convient pas et il décide de quitter la France pour les Etats-Unis. Il concentre ses activités sur la Floride devenue l'eldorado de l'immobilier en Amérique. Arnault décide de construire une tour de 19 étages sur un terrain trouvé par un de ses amis. Un emprunt de 17 millions est contracté auprès d’un établissement de crédit local. Mais une centrale nucléaire crache ses fumeroles à une quinzaine de kilomètres de là. La construction faite, elle révèlera de nombreux défauts : chambres trop petites, balcons trop étroits, douches mal équipées… Bernard Arnault affirmera avoir retiré un bénéfice de 3 millions de dollars. Affirmation contredite par l'un de ses anciens collaborateurs qui parle, lui, d'une perte du même montant.
En France "l'affaire Boussac" bat son plein. Un groupe employant 30.000 personnes et propriétaire de la marque Dior est au bord de la liquidation judiciaire depuis qu'il a été repris par les frères Willot. Le gouvernement socialiste redoute la disparition d’un fleuron français. Un projet de reprise est présenté par B. Arnault (chapeauté par le président de Lazard France) : il sera validé par le premier ministre de l’époque Laurent Fabius et l’État apportera 745 millions de francs. Avec une mise initiale de 40 millions de francs, le notable de Roubaix devient le patron de Boussac, qui vaudra 8 milliards trois ans plus tard.
À la suite du krach d'octobre 1987, Bernard Arnault fait l'acquisition d'actions LVMH, le nouveau groupe de luxe issu de la fusion de deux groupes français, Moët Hennessy et Louis Vuitton. En 2016, LVMH fait de l'origine française de ses produits un argument commercial, un documentaire révèle cependant que de très nombreux produits sont en réalité confectionnés en Pologne, à Madagascar ou en Asie, alors que les usines françaises ferment leurs portes.
Grâce à un montage juridique complexe, Bernard Arnault transfère en Belgique une grande partie de sa participation dans le numéro un mondial du luxe afin d’assurer la pérennité du groupe. La démarche visait à sanctuariser ce groupe et éviter que ses enfants s’entredéchirent et défassent l'oeuvre de sa vie. Concomitamment, Le parquet de Bruxelles rejette par deux fois la demande de naturalisation de Bernard Arnault accusé d'exil fiscal par ses détracteurs.
Avec une fortune estimée à plus de 70 milliards de dollars, Bernard Arnault est en 2018 le 4ème homme le plus riche de la planète. En un an, son patrimoine a enregistré un gain historique de plus de 70% !
« Nous voyons par expérience que le riche, à qui tout abonde, n'est pas moins impatient dans ses pertes que le pauvre, à qui tout manque. La grandeur le rend dédaigneux ; l’abondance, sec ; la félicité, insensible. »
Ces mauvais riches « qui ne croient pas s’exercer s’ils ne s’agitent, ni se mouvoir, s’ils ne font du bruit », qui « s’aiment eux-mêmes et leurs plaisirs »…« se moquent du sort des serfs taillables et corvéables à merci »… « Se peut-il faire que vous entendiez la voix languissante des pauvres qui tremblent devant vous, qui sont honteux de leur misère, accoutumés à la surmonter par un travail assidu. C'est pourquoi ils meurent de faim ; oui messieurs ils meurent de faim dans vos terres, dans vos châteaux, dans les villes, dans les campagnes, à la porte et aux environs de vos hôtels : nul ne court à leur aide. Hélas, ils ne vous demandent que le superflu, quelques miettes de votre table, quelques restes de votre grande chère. Ainsi notre mauvais riche, homme de plaisirs et de bonne chère, ajoutez, si vous le voulez, homme d'affaires et d'intrigues, étant enchanté par les uns et occupé par les autres, ne s'était jamais arrêté pour regarder en passant le pauvre Lazare qui mourait de faim à sa porte. »
Les parcours de vie des deux personnages, à près de 300 ans de distance, sont remarquablement identiques, y compris pour les aspects liés au colonialisme qui sont en tous points identiques à la mondialisation actuelle. Les marchands n’apportent rien à une société, Louis XIV aurait pu s’en passer, la France républicaine aussi. Le mieux-être (le progrès) est apporté par les humanistes, les philosophes et surtout les artistes et les scientifiques. Les marchands se contentent de donner un prix à ce qui a de la valeur, à hiérarchiser les activités et les populations pour fondre dans un tout l’amassement qui leur est propre. Les marchands ne valent rien si ce n’est de donner un prix là où ce n’est pas nécessaire.