Les mésaventures de « droit dans ses bottes II » volume2

par lahalle
mardi 13 mars 2018

Voici donc la suite des aventures de « droit dans ses bottes II et des cheminots ». J’avais décidé dans un premier temps de traiter du contenu du statut de cheminot dans cet opus, mais un excellent article l’ayant fait de façon quasi exhaustive, je me contenterai d’effleurer le sujet avant d’évoquer plus concrètement et plus précisément les aspects du métier de conducteur de train.

En préambule, je voudrais émettre un simple constat… Fin janvier 2018, la SNCF a été condamnée en appel pour « discrimination salariale et professionnelle « à l'encontre des cheminots marocains qu'elle avait fait venir dans les années 70. Le tribunal a jugé que la SNCF avait discriminé ces agents en leur faisant faire le même travail que les cheminots au statut mais avec des conditions sociales inférieures. C’est exactement la même discrimination qui attend les futurs agents embauchés hors statut, puisque le statut des " chibanis " est celui qui leur sera appliqué (pour les connaisseurs, règlement RH0025 )…

 

La principale " évolution " déclarée, on pourrait même dire déclamée dans la future et potentielle réforme reste la "fin de l’emploi à vie " comme l’assènent " droit dans ses bottes II " et ses groupies …

Ah l’emploi à vie…

" Quelle horreur, quelle hérésie dans un monde moderne, en mouvement, quel handicap pour la société actuelle… " Glapissent nos premiers de cordée… Vous savez, ceux qui se sont " fait eux-mêmes " avec la fortune de papa… Et qui eux, faute d’emploi à vie auront au moins le pognon à vie…

Pourquoi le statut des cheminots, comme celui de la fonction publique interdisent-il le licenciement économique ? Et d’abord, qu’est-ce-que le licenciement économique ? Réponse d’après le code du travail :

"Licenciement par un employeur, pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques "

Par ces simples lignes, on comprend l’utilité du statut et ses contraintes… Un salarié tributaire du code du travail peut refuser une « modification d’un élément essentiel de son contrat de travail » et il est donc licencié économiquement avec les indemnités afférentes à savoir le montant le plus favorable calculé entre :

 - 1/12e de la rémunération brute (salaire, primes, etc.) des douze derniers mois qui précèdent la notification du licenciement.

 - 1/3 des trois derniers mois.

Plus l’ARE ensuite.

Un salarié tributaire du statut SNCF (ou j’imagine d’autres statuts de la fonction publique) ne peut pas refuser une "modification d’un élément essentiel de son contrat de travail ". En gros, il a l’obligation d’obéir…

On va prendre un exemple concret. Une entreprise privée décide de réduire les effectifs d’un de ses sites ; elle propose néanmoins aux salariés, dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (remarquable euphémisme) d’être réembauchés dans un autre site situé à 500km du premier. Un salarié qui refuse cette « modification d’un élément essentiel à son contrat de travail » sera licencié économiquement… C’est ignoble, mais c’est mieux que rien…

Voyons maintenant, le cas d’un cheminot victime de la fermeture de son site de travail ou d’une importante réduction d’effectif sur celui-ci. La direction élabore une liste de ceux qui doivent partir et des possibilités de mutation bien sûr ces mutations seront accompagnées par des primes et des propositions de logement (c’est d’ailleurs l’objet du chapitre 8 du statut) ; à partir de là, vous acceptez ou vous refusez les propositions, mais si vous refusez cette " modification d’un élément essentiel à votre contrat de travail ", il n’y aura pas de licenciement économique, mais une démission sans aucune indemnité ni chômage. Il vous restera, alors, à solliciter l’obtention d’une démission version Macron, pour toucher un bout de chomedu… mais vu les conditions d’obtention, autant tenter la miction dans un Stradivarius…

Cette obligation de mobilité, ainsi que la continuité du service sont parties intégrantes du statut de cheminot.

L’embauche de jeunes cheminots hors statut est, à mon avis une erreur majeure, et je ne suis pas le seul à le penser. Car au-delà des considérations matérielles, un statut, c’est-à-dire une façon particulière d’être considéré amènera le salarié à donner le meilleur de lui-même, dans l’exercice de son métier.

Dans une société digne de ce nom, il est inconcevable qu’un professeur des écoles, un flic, un juge, un pompier ou un militaire, ne possède pas un statut spécifique, fait, certes, de contraintes mais aussi de garanties compensatrices. C’est plus qu’une simple question d’échange (de win to win anglicisent nos -trop- chers DRH), je dirais que c’est une question d’aura, de considération de soi vis-à-vis du regard des autres.

 Je tiens à m’excuser auprès des autres cheminots qui me lisent, mais je ne peux parler que de ce que j’ai connu et je vais donc, maintenant, évoquer l’importance du statut dans le métier d’Agent de conduite.

Car, un conducteur de train, exerce un métier plutôt atypique , d’abord, il est issu d’une sélection impitoyable (moins de 10% de réussite entre le recrutement et la réussite à l’examen final), il a été suivi en contrôle continu pendant un stage d’une année, il a passé un examen considéré comme un des plus ardus de la SNCF (à mon époque, 15 kilos de documents à connaître dont plus d’un tiers par cœur), il a été sélectionné à l’issue de tests psychotechniques très performants (un des taux d’échec les plus importants chez les postulants de nos jours), il est suivi régulièrement par des examens médicaux de sécurité (pétard, bibine et cholestérol fortement déconseillés), il conduit quelquefois mille personnes dans les voitures, derrière lui, dont il assure la sécurité … Il peut avoir un look de punk à chien, voter coco ou facho, tromper sa femme, voire même être supporter du PSG… Il est conducteur de train et il est régi par des règlements qui sont des textes ministériels et c’est à eux et à eux-seuls qu’il obéit. Il est le premier et souvent l’unique représentant de la SNCF sur le train en cas d’incident et seul son chef de conduite a autorité sur lui en cabine, mais il prend alors la responsabilité de la conduite du train.

 Demain, si cette réforme aboutit, les jeunes embauchés hors statut auront en permanence une épée de Damoclès au-dessus de leur tête, avec l’éternel leitmotiv du privé ; " obéis ou t’es viré... "

-"Le train est en retard… Je te donne l’ordre de ne pas faire les essais des freins "...

-" y’a un choc sur la voie …. N’applique pas les procédures, ça va retarder le train"….

-" t’as fait 7heures de conduite consécutives, tu feras une heure de plus, on a personne pour de relayer "...

Bon, comme chez les brittons, la catastrophe n’arrivera peut-être pas tout de suite, mais soyez sûrs qu’elle aura lieu, et ; message aux potentiels futurs embauchés hors statut, n’attendez aucun soutien des mecs qui vous auront donné de tels ordres, regardez ce qui s’est passé à Brétigny et admirez la solidarité des chefaillons pour planquer leurs magouilles et leur incurie et faire payer les lampistes.

Voyons maintenant, ce que sont les conditions d’exercice du métier de conducteur de train et leurs conséquences sur sa vie sociale et familiale.

On l’a déjà vu plus haut la sélection des candidats est plus que rigoureuse. J’ajouterai, que, de plus, lorsque les postulants sont renseignés sur leurs futures conditions de travail, bon nombre change d’avis. La SNCF peine donc à trouver des conducteurs avec les conditions actuelles d’embauche (déjà écornées par diverses réformes) qu’en sera-t-il demain si cette réforme est appliquée ?

Ceci étant, le métier de conducteur de train est un métier à la fois technique et empirique, car au-delà des importantes connaissances réglementaires imposées pour obtenir l’examen, il nécessite, un peu comme dans l’artisanat, un apprentissage continu pendant des années, avant l’obtention de la plénitude des moyens. Une ligne, ça s’apprend, un engin ça se comprend, et ça prend du temps. Comme pour tous ces métiers à l’empirisme important, le savoir est souvent transmis par les anciens. Je me souviens qu’ils m’ont toujours sidéré par leur connaissance des profils de ligne (vitale pour les trains fret) et des « ficelles » de dépannage, rarement réglementaires, qu’ils avaient développées.

Evidemment, aujourd’hui les automatismes et l’informatique facilitent les choses (encore que), mais il n’empêche, par exemple ; qu’un conducteur de banlieue doit connaître la configuration des lignes qu’il parcourt avec précision pour maîtriser les distances de freinage de chaque arrêt (et ils sont nombreux), il doit savoir, l’automne venu éviter patinages et enrayages (à cause des feuilles mortes qui créent un dépôt gras sur le rail) ; qu’un conducteur du fret qui travaille en limite de charge doit connaître parfaitement les profils de ligne et qu’un tégéviste (qui lui est déjà expérimenté) doit gérer la vitesse ( imaginez que seules les formules 1 évoluent à cette vitesse sur le plancher des vaches !) et donc le temps de réflexe raccourci.

Pour toutes ces raisons c’est ce qu’on peut encore appeler un beau métier, à la fois technique et valorisant…

Voyons, à présent le revers de la médaille. Le premier étant que ce métier est tellement beau, que les pouvoirs publics ont décidé de le faire exercer jours et nuits et 365 jours par an… Cela s’appelle la continuité du service

Et ça a des influences sur les conditions de vie et de travail… Le travail de nuit, d’abord, avec cette particularité dans la réglementation des conducteurs qui arrive à chambouler complétement le rythme nycthémère (non ce n’est pas une partition de percus sur une chanson de de Joë Star, mais le rythme d’alternance jour-nuit) ; la réglementation du travail stipule un repos de 14heures minimum à la résidence et de 9 heures en déplacement… Mais dans la succession des journées de travail, il n’y a aucun rythme (comme par exemple, en 3x8, une succession de matinées, de soirées et de nuits séparées par des repos périodiques). Vous pouvez très bien finir en déplacement votre journée à 5 heures du matin et reprendre à 14heures (repos minimum de 9h00 après repos hors-résidence), ou à votre résidence, finir à 6 heures du matin et reprendre à 4 heures le lendemain (repos minimum de 14h00)… Là, les alternances veille- sommeil sont plus que difficiles à gérer. Et conséquence obligatoire ; soit vous deviendrez une marmotte, si vous vous forcez à dormir (la meilleure des options, si utilisation de moyens naturels) ; soit vous perdrez définitivement le sommeil (et là les conséquences sur l’entourage et votre santé sont souvent extrêmement dommageables).

Les découchés, ensuite, qui peuvent être programmés une période de travail sur deux. Exemple :

Prise de service à la résidence 10h00 du mat. Service jusqu’à 16h00 et repos hors résidence à 300kms du domicile, en règle générale à l’hôtel (durée minimum 9h00) et reprise à 6h00 pour fin de service à la résidence à 13h00…

Vous remarquerez plusieurs faits dans ce court exemple ; d’abord que deux jours de suite, le midi, vous becquetez sur les « chevaux de bois », bonjour les sandwiches et les ulcères ; ensuite, que si la durée du travail effectif est de 6h00 le premier jour et de 7h00 le second ; l’amplitude totale d’absence est de 27h00. Bien sûr, en repos hors résidence, vous êtes libre de faire ce que bon vous semble, c’est bien joli à Paris ou à Bordeaux, mais ça a un tout autre aspect dans les riantes localités de Chalindrey, Neussargues ou Saint-Germain-des- Fossés (ou d’autres tout aussi attrayantes, et qui, malheureusement, constitueront souvent vos lieux de découché habituels) . Toujours est-il que votre absence du domicile est d’au moins 27h00 et qu’à l’arrivée, il faudra dormir, parce qu’en finissant à 13h00, une reprise en matinée à partir de 3h00 du matin se profile… Alors, prévoyez une chambre bien insonorisée et loin de la salle de jeu des gosses et si votre compagne ou votre compagnon travaille et surtout si c’est en 3x8, prévoyez une bonne quantité de post-it pour communiquer…

Et cette situation peut se reproduire jusqu’à 3 fois (c’est généralement deux) dans une période de travail entre deux repos hebdomadaires, car la durée maxi de cette période peut être de 6 jours…

Il y a deux trucs dans l’exercice même du métier particulièrement pénibles ; c’est le pipi… (Faut prendre ses précautions avant… parce que sur certains trains, c’est 3 ou 4heures sans arrêt) et ce qu’on appelle « cogner des pots » ou « enfoncer des pieux »… Vous savez, quand le sommeil vous gagne et que vous résistez… Un routier, un automobiliste s’arrêteront sur le bas-côté pour une micro-sieste (enfin j’espère pour le gars qui vient en face), un sénateur roupillera sans vergogne devant les caméras… Mais un conducteur de train, lui, doit à tout prix résister, d’abord, parce que c’est son métier, ensuite parce que sa conduite est placée sous contrôle continu par le système ATESS sur les engins modernes et par l’enregistreur à bande graphique (la » fameuse boite noire » comme dit Michel Chevalet ) et qu’une « marche incohérente » (variations importantes et anarchiques de la vitesse du train) ou un arrêt intempestif par un des dispositifs de freinage d’urgence automatique (la VACMA : système dit de l’homme-mort qui plante le train si vous n’appuyez pas ou ne relâchez pas à temps une pédale , le KVB qui surveille les dépassements de vitesse et enfin la répétition des signaux fermés) impliquera les 2 ou3 premières fois l’ouverture d’ une fiche incident de la part du chef de conduite, et si pas d’amélioration, descente de la conduite et nouvel examen psychotechnique... Bref, ce qui est une torture à Guantanamo relève de la routine pour un agent de conduite et personne ne s’étonne plus, chez les agents de l’équipement travaillant le long des voies, de voir un engin passer, toutes fenêtres ouvertes en plein hiver, avec aux commandes, un mécano en tee-shirt qui braille des chansons à tue-tête… 

Les aléas de la continuité de service ne s’arrêtent pas là, et au-delà du travail le dimanche (un agent de conduite peut ne totaliser que 12WE de repos ) par an, ils impactent aussi sur les congés, les établissements traction de la SNCF ne ferment, en effet, pas pendant les grandes vacances et il faut instaurer un tour de rôle … Le volume de personnel restant pour travailler est fixé par négociations, il est généralement de 5/6 émes de l’effectif et donc, on détermine 6 périodes de congés avec à chaque fois 1/6éme du personnel en congé… Le règlement prévoit une durée pour ces congés (dit protocolaires) de 24 jours, donc 6 périodes de24 jours donnent 144 jours, et avec 24 jours, la première période débute mi-mai et la dernière se termine mi-octobre et suivant le tour de rôle, vous obtiendrez juillet ou aout 2 fois en 6 ans. Alors, certains syndicats négocient localement des périodes plus courtes et mieux placées (mais 6 périodes de 15 jours, ça fait 90 jours, et donc encore 2 mauvaises périodes en juin et 4 en juillet-août….). Donc, le mois de congé avec femme et enfants, il ne vaut mieux pas y penser trop souvent

Tout ça pourquoi ??? Parlons donc rémunération pour terminer… Les 3 qualifications de conduite en premier (c’est-à-dire les gusses que vous voyez conduire des trains GL, TER et FRET en ligne) sont TB1 (élève-conducteur de ligne, on reste, environ 2 ans sur ce grade) puis TB2 (conducteur de ligne on reste environ 11 ans sur ce grade qui comporte 4 niveaux) et enfin TB3 (conducteur de ligne principal, comportant aussi 4 niveaux) ; pour conduire des TGV, il faut être TB3. Il existe depuis la réforme Sarko un 5éme niveau à TB3 mais son accessibilité semble être assez réduite...

La rémunération évolue de 1600Euros nets pour un débutant élève-conducteur et peut atteindre 3800 euros en fin de carrière au TGV. Mais, ce qu’il faut savoir, c’est que plus d’un quart de la rémunération (pour les agents évoluant sur ligne classique) et plus d’un1/3 pour les tégévistes est réalisée par une prime appelée prime de traction, dont le montant est lié à 90% aux kilomètres parcourus. Ajoutons que cette prime n’est pas perçue, en cas de maladie, ni intégrée dans la Prime de fin d’année, que certains assimilent pourtant à un 13éme mois. Et vous aurez une image à peu près globale du métier de conducteur de train…

 Je pense qu’aujourd’hui, en faisant la balance entre inconvénients et avantages, il en vaut bien d’autres et que bien d’autres le valent et qu’ il est profondément injuste de mettre en avant ses avantages largement compensés par ses contraintes pour les qualifier de privilèges… Réfléchissez aux aléas exposés plus haut… Pensez-vous vraiment qu’ils ne méritent pas d’être pris en compte et de permettre un départ à la retraite plus précoce ?

Il est patent, qu’au départ, Macron et ses DRH ont tenté de surfer sur un potentiel mécontentement envers les dysfonctionnements de la SNCF (qui sont pourtant liés essentiellement au manque de moyens et à l’incurie de la haute hiérarchie) pour désigner des boucs-émissaires à la vindicte populaire et ainsi se refaire la cerise dans les sondages… Dans un premier temps, ça a marché… Mais Philippe Martinez est un vieux renard (vous remarquerez d’ailleurs, que c’est lui qui avance en première ligne et non le secrétaire de la CGT cheminot, comme par exemple Thibaut en 1995) et il n’a pas démarré au ¼ de tour comme l’espéraient, sans doute, les stratèges gouvernementaux. Paradoxalement, le gouvernement semblait avoir un avantage décisif au début des annonces… Mais aujourd’hui, l’actualité se télescopant, avec les deux manifs du 15 et du 22 mars ; Martinez, sans appeler, pour l’instant au conflit a su garder sa poudre au sec, et peut établir un rapport de force gagnant, car tous les protagonistes savent très bien que, si les dépôts de la couronne parisienne (entre autres) posent le sac (alors que l’ensemble des organisations syndicales cheminotes semblent tirer dans le même sens et appelleront toutes à la grève ), ce sera pire que la neige, les inondations, et Anne Hidalgo réunies au niveau de la circulation automobile en banlieue et les conséquences de 700 ou 800 kms de bouchons journaliers seront catastrophiques pour l’économie si le conflit doit perdurer…


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