Les origines de la polygamie

par hommelibre
jeudi 27 octobre 2011

Les réactions à mon dernier billet sur l’instauration de la charia en Libye partent dans de nombreuses directions. Ce genre de sujet est vite sujet à cette empoignade où tout se mélange et où les propos deviennent parfois violents. Je rebondis sur un point : le rétablissement d’une polygamie facilitée, alors que sous Kadhafi elle était fortement découragée.

Dans la société rurale du Moyen-Âge où il n’y avait pas d’école, les enfants travaillaient à la ferme à l’âge de 10 ans. Parfois ils étaient loués à d’autres fermiers. Cela ne semblait pas anormal à l’époque. Aujourd’hui quand des enfants d’Inde travaillent à 10 ans on parle d’esclavage. On ne peut lire le passé avec les yeux du présent. La polygamie a donc pu avoir une origine positive pour la société même si aujourd’hui on la rejette et si c’est un délit en occident. La rétroaction de l’analyse sociologique n’est pas pertinente, pas plus en ce qui concerne la polygamie que le patriarcat où le travail des enfants.

Aujourd’hui je lis sur un forum internet le point de vue suivant : « prétendre que seul un homme a le droit d' épouser plusieurs femmes et que l'inverse ne peut être toléré, est une loi écrite pour le confort sexuel des machistes ». C’est une vision typiquement moderno-centriste. C’est un discours actuel, et un discours particulier : un discours féministe qui d’emblée incrimine l’homme et lui cherche noise. Ce point de vue me semble irrelevant.

Les rituels et coutumes des sociétés ne s’instaurent pas artificiellement. Il y faut de bonnes raisons, une réflexion qui peut durer pendant des générations, éventuellement un événement collectif fondateur, et l’accord de tous les membres du groupe, femmes et hommes.

Y a-t-il alors une raison plus réfléchie que la précédente au fait que les hommes aient eu ou aient encore la possibilité d’épouser plusieurs femmes ?


On sait déjà que les religions n’ont pas été à l’origine de la polygamie. La coutume leur préexistait et elles s’en sont plus ou moins accommodées. Le christianisme a globalement soutenu la monogamie. Le coran ne l’encourage pas, selon ces versets :

« ..il vous est permis d'épouser telles femmes qui vous conviendront, à raison de deux, trois ou quatre. Si vous craignez d'être partiaux, que ce soit alors une seule » (Coran II, 4)
« Vous ne pourrez être équitables entre les femmes, même si vous le désirez » (Coran IV, 129) »


Mais replaçons-nous dans une époque plus ancienne de quelques milliers d’années. Les guerres tribales devaient coûter cher en hommes. Il est possible qu’il y ait eu un déséquilibre démographique permanent et que les femmes étaient plus nombreuses. Or une femme sans homme n’engendre pas de descendance. La survie de l’espèce est en danger. S’il y a moins d’hommes la polygamie compense cette faiblesse numérique. Il y aurait donc, éventuellement, une raison de survie de la tribu. Ce n’est certes qu’une hypothèse. Toutefois d’autres avis vont dans ce sens.

« Il reste difficile de définir avec certitude l’origine de la polygamie. On peut toutefois avancer quelques pistes. Il y a ce qu’on appelait les bras. C’est-à-dire, le fait pour les grandes familles de rechercher un nombre important de travailleurs qui seront affectés aux divers travaux des champs et autres. Et comme la femme, quelque soit le nombre de maris qu’elle pourrait avoir ne dépassera jamais le rythme génésique qui est le sien, un enfant par an à moins qu’elle ne fasse des jumeaux, il revient à l’homme de prendre plusieurs épouses. Puis il y a le phénomène de mortalité infantile. Les hommes multiplient les liaisons en espérant que si certains meurent certains survivront. Un combat contre la nature en vue de garder une descendance. C’est la même logique avec les guerres, où ce sont les hommes qui partent au front. Ceux qui survivent ont à charge de s’occuper des orphelins. Et pour prendre ces enfants sous sa coupole, il faut « reprendre » leur mère. D’où certaines pratiques comme le lévirat qui permet au frère puîné (cadet, ndlr) du défunt d’épouser la veuve. Il y a aussi le fait que les femmes acceptent ce nouveau statut pour rester avec leurs enfants, qu’elles ne voudraient pas laisser entre les mains de tantes ou marâtres peu amènes. »

Extrait d’une interview d’un chercheur africain peul, Bios Diallo.

Epouser la femme d’un frère décédé c’est aussi lui assurer une continuité d’appartenance familiale et une subsistance. En ce sens la polygamie pouvait avoir une fonction de soutien social.

Toutefois la polygamie était source de tension. Ce n’est pas tout-à-fait le « confort sexuel des machistes » cité plus haut. Du même chercheur on peut lire ceci :

« Avoir deux, trois ou quatre femmes ! Un rêve pour beaucoup d’hommes. Derrière ces images d’Epinal de harem voluptueux se cache malheureusement la réalité d’un quotidien loin d’être toujours rose. Car les co-épouses, rivales légales, se livrent souvent une guerre sans merci pour s’imposer dans le foyer et dans le cœur du mari. Des situations où chacune essaie de jeter le discrédit sur l’autre, ce que l’époux peut avoir beaucoup de mal à gérer. »

Les temps changent. Aujourd’hui l’économie et la puissance de l’Etat organisé, ainsi que l’évolution des moeurs, rendent la polygamie inutile.

Et l’individualisme et le romantisme ont renforcé le besoin d’être unique. Le partage de l’être aimé n’est plus un plan d’avenir. La survie de l’espèce n’est pas l’entièreté de la fonction d’un couple. Le couple est aussi une entité psychique, culturelle, économique. Il complète l’éducation reçue de la famille dans la construction de l’individu. Il est le lieu d’une transmission entre les générations. Le couple est un lieu où l’individu est plus, beaucoup plus qu’un simple géniteur.


Lire l'article complet, et les commentaires