Les paradoxes de François « Bayrouge »

par Olivier Perriet
mercredi 31 janvier 2007

Pour François Bayrou, la situation est grave. Elle exige un gouvernement d’Union nationale autour du parti centriste, voué à être « central » dans la vie politique. Cette réponse est-elle vraiment appropriée aux défis présents et futurs ?

En dénonçant une bipolarisation factice mise en scène par des médias complaisants, François Bayrou s’est crédité de 10 % dans les sondages, ce qui l’impose comme "troisième homme" dans la course à la présidentielle... en attendant mieux ! Cette insoumission vis-à-vis du "système", le président de l’UDF l’a souvent manifestée depuis 2002, en refusant d’abord de fondre son mouvement dans l’UMP puis de participer au gouvernement et, pour finir, en votant contre le budget 2006 et en soutenant la motion de censure contre le gouvernement Villepin en mai 2006. Cette rébellion fut cependant, dès le départ, assez ambiguë.

L’UMP ayant été conçue dès le 21 avril 2002 comme une arme de guerre chiraquienne pour digérer tous les partis de droite, les candidats à la députation restés UDF, et concurrencés systématiquement par l’UMP, ne s’en sont pas moins réclamés d’une "majorité présidentielle" qui était en train de les étouffer. À défaut de parvenir à constituer un groupe parlementaire puissant (les députés UDF sont passés de soixante-sept sous la"gauche plurielle" à une vingtaine), ce fut néanmoins bien pratique pour profiter du vote anticohabitation, passer la barre des 5% et se faire rembourser ses frais de campagne. Ce "soutien sans participation" a aussi permis de critiquer de plus en plus fort la majorité sortante jusqu’à en sortir, comme on vient de le voir. C’est pourquoi Bayrou se réclame de l’intransigeance dont le général de Gaulle a pu faire preuve face au régime de Vichy et à la IVe République. Sa stratégie fait toutefois plus penser à celle de Valéry Giscard d’Estaing entre 1965 et 1969, qui soutenait de plus en plus mollement la politique gaullienne et termina en préconisant "avec regrets mais certitude" le non au référendum de 1969, ce qui précipita l’échec de ce dernier et causa la démission de de Gaulle.

D’ailleurs, si F Bayrou dénonce la fausse "guerre civile" droite/gauche, c’est que, justement, les idées centristes ont largement été reprises par les majorités successives, qui, en fait, gouvernent au centre depuis des années. Il y a bien longtemps que le nationalisme sourcilleux, méfiant vis-à-vis de l’Union européenne ou de la mondialisation, a été passé à la trappe, à droite comme à gauche. Que les sociaux-démocrates ne souhaitent plus réformer en profondeur le système capitaliste. Que la dénonciation du "centralisme jacobin" est un classique du discours politique. Que l’acceptation des "règles" de la compétition mondiale est tempérée par une charité institutionnalisée. Quant à la Ve République, elle a radicalement muté par rapport à 1962, d’abord avec la pratique de la cohabitation, et surtout avec l’instauration du quinquennat, qui aligne la durée du mandat du président sur celle des députés. Il n’est d’ailleurs pas anodin que l’instigateur de cette mesure ait été Valéry Giscard d’Estaing, qui lança cet os à ronger à Jacques Chirac pendant la cohabitation.

Paradoxalement, on oublie souvent de le dire, ce recentrage des grands partis de gouvernement n’a guère profité à la "nouvelle UDF" de F. Bayrou, qui fait figure depuis dix ans d’éternel miraculé électoral, au point qu’on s’extasie systématiquement lorsqu’elle tutoie les 10 % de votes... alors qu’en leur temps (présidentielles 1981, 1988 et 1995), VGE, R. Barre et E. Balladur (dans la mesure où il pouvait être considéré comme représentant cette famille) drainaient allègrement plus de 15 % des voix. Le programme de Bayrou peut-il finalement apparaître autrement que comme le remplacement d’un (ou de deux) parti hégémonique par une formation centriste, ou plutôt..."centrale", qui propose un approfondissement de la politique habituelle, certes avec plus de convictions ? Alors qu’en face il restera toujours un supplément d’âme, gaulliste ou socialiste, à des candidats qui se sont déjà, et c’est remarquable, imposés comme des personnalités "en rupture" ?

En quoi, finalement, un modèle comme l’alliance SPD-CDU nouée en Allemagne est-il une preuve de la bonne santé démocratique d’un pays ? Est-ce vraiment le type de gouvernement "d’union nationale" qu’exige la situation ?


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