Vous vous rappelez de la polémique sur le Tupolev polonais ? Ici, rappellez-vous, on avait eu droit à tout. Sur le net, ça s’était même déchaîné, un site (polonais) mettant en ligne une vidéo où on « entendait » des « coups de feu » alors que tout le monde sait que ce genre d’appareils est truffé d’objets pouvant exploser lors d’un incendie (bouteilles d’oxygène ou de gaz comprimé notamment). Je ne reviens pas sur les circonstances, qui se résument à 500 mètres qui manquaient, en définitive : l’avion présidentiel aurait très bien pu y arriver, sans le brouillard à couper au couteau et sans des pilotes visiblement aux ordres, qui on joué au rase-mottes d’un peu trop près. Car aujourd’hui, étrange coïncidence, figurez-vous qu’un avion similaire, dans des circonstances semblables, a réussi, lui, à se poser en pleine forêt (ou presque comme vous allez l’apprendre un peu plus loin !) , il est vrai constituée d’arbres beaucoup plus jeunes, le 7 septembre dernier. Les images sont spectaculaires : « un Tupolev Tu-154M, ça possède un train d’atterrissage costaud », fait remarquer un internaute au vu des images. Effectivement !
L’avion d
’Alrosa Mirny Air Enterprise (Alrosa Airlines) avait décollé d’Irkutsk (Sibérie), vers Moskva-Domodedovo Airport. Arrivé à 10 000 mètres d’altitude, au milieu de son vol de 6 heures, l’avion a soudain perdu tout système électrique : or sur cet appareil c’est doublement catastrophique, car ce sont des pompes électriques qui actionnent le transvasement du carburant des ailes (dans 4 réservoirs) vers les deux réservoirs centraux qui alimentent ensuite les trois réacteurs : résultat, les pilotes n’avaient plus que 3 300 litres de kérosène devant eux (et 20-40 minutes de vol seulement ! ). Ça et l’absence de flaps pour atterrir, eux aussi actionnés électriquement par les batteries en cas de problème (or les batteries semblent alors en surcharge). Les deux acrobates, Evgeni Novoselov et Andrei Lamonov, ont alors décidé de descendre sous les nuages, et de jeter un œil sous eux en quête d’un terrain d’atterrissage... sans aérofreins ni volets... L’avion n’est pas récent, mais il semble en très bon état général : il paraissait plus fatigué déjà en 1990 sous les
couleurs de Chita Avia ; et encore sous les
mêmes couleurs en 1997.
Heureusement, l’ex-URSS est truffée de vieilles bases aériennes abandonnées. Toutes laissées en friche, avec l’effondrement du système soviétique. Des pistes faites de grosses plaques de béton plus ou moins jointives et que les hivers russes ont rendu dans un état déplorable. C’est le cas de l’ancienne base d’Izhma (UUYV) (en République de Komi), utilisée de 1978 à 1997, entourée de forêts, et située à l’ouest de Pechora : on est en pleine Sibérie, pays de
la Taïga ! Ce sera donc un peu comme atterrir à Moursmansk. Et atterrir à Moursmansk, chez les pilotes russes, et un atterrissage classique, comme
sur cette vidéo : un bel arrondi, quelques corrections de manche, et on y est, avec au tableau de bord des indicateurs comme il ne se fait plus : aucun écran à affichage liquide, que de bons
vieux cadrans analogiques... mais ça vole. Le Tu-154 est une bête de somme depuis plusieurs décennies, et contrairement a ce qui a pu déjà être entendu n’est pas plus lié aux catastrophes que d’autres. Et ça finit par se poser, dans l’axe, même si ça secoue sec au toucher de roues : or, vérifiez bien, mais l’avion que vous voyez se poser est bien du même type, même si la compagnie est différente : là c’était le RA85633... de
Siberia Airlines bien entendu ! Pus tout jeune non plus : c’est ancien
Vnukovo Airlines de 1990. Depuis, l’avion est devenu
"Globus".
Revenons à Evgeni Novoselov et Andrei Lamonov, qui, en survolant Izhma, alors que plus rien ne marche à bord hormis les réacteurs et les commandes, décident de se poser à Izhma. Pari risqué, et ils le savent : ils feront trois approches à avant de se lancer. Car au vu de ce qu’ils ont survolé.... c’est court, très court : la piste fait 1 325 m, et leur avion a besoin en conditions normales de 2 200 m pour s’arrêter, inverseurs actionnés
dès le toucher de roue comme c’est souvent
sur cet engin qui sait "encaisser". Le petit aéroport en vue est une ancienne base d’hélicos et pas de Migs ! Nos deux artistes vont toucher le béton dès le début de piste...et faire seulement 160 mètres à travers les arbres.... et la boue. Mais l’avion va rester en ligne, et le train ne pas s’enfoncer dans la gadoue (malgré un pneu éclaté donc !). Les deux as l’ont arrêté en 1500 m ! Miracle !
Vu de la cabine, après l’atterrissage mouvementé, avec les 72 passagers (et les 9 membres d’équipage) qui devisent tranquillement après avoir échappé au crash et vont se promener sur l’aile pour prendre l’air, c’est encore plus étonnant : l’avion est bien posé au
beau milieu des arbres ! Le temps de faire faire du tobbogan aux gamins, et c’est bon : pendant ce temps, les parents attendent à l’aéroport ! L’absence d’électricité à bord a aussi empêché toute communication radio !
Une autre vue montre en effet ce à quoi ont échappé les passagers... ouch ! A la
télé russe, on n’hésite pas à parler de héros pour les deux pilotes : sans avoir tort, à vrai dire. Un gros plan sur
un pneu éclaté et une carlingue bien déchirée à certains endroits renforce l’idée du miracle en effet..... Une autre chaîne ne dit pas autre chose non plus. On est passé à deux
doigts du crash.
Le 14 septembre, le Ministère des Transports russe rendait son verdict sur l’enquête sur l’accident : "selon les premiers examens", disait-il ,"les batteries à bord ont surchauffé (un emballement thermique s’est produit) et ont entraîné l’ensemble du système électrique dans ce processus, et tous les systèmes reliés, y compris la navigation et l’équipement radio ainsi que la mise en échec des deux pompes à carburant qui veillent au déséquilibre de carburant dans les réservoirs d’aile. L’équipage a effectué deux approches à basse altitude sur l’aérodrome qu’il avait repéré visuellement et par la suite a effectué un atterrissage à haute vitesse sans volets et becs de bord d’attaque, activés, désactivés en raison de l’électricité défailllante. Les batteries ont été saisies pour un examen plus approfondi en laboratoire". Les flaps eux aussi n’avaient pu être utilisés : la correction de trim du stabilisateur de queue marche électriquement, et ils ne peuvent être utilisés sans !
Les russes adorant l’humour, ça n’a pas failli non plus, comme le reporte un bloggueur sur l’événement :
"Comme j’ai pu l’entendre aux nouvelles dans la soirée dimanche, il y a eu aussi un peu d’humour : lorsqu’un représentant du Ministère de Situations d’Urgence est arrivé à l’aérodrome, il a dit soudain au premier officier sur place qu’il y avait une victime. Le premier officier s’est dit alors très inquiet de ce rapport car il était sûr qu’il n’y avait pas même une égratignure à bord, et après quelques secondes, le représentant a dit : "Vous venez d’ écraser un lapin" ... " Comme le fait remarquer un autre, dans ce cas, les jeunes arbres ont aussi joué le rôle d’EMAS (Engineered Materials Arresting System) : celui d’une véritable barrière d’arrêt (désormais sous forme de tapis comme celui de Zodiac Aerospace). Tout l’inverse, en quelque sorte, de la
catastrophe polonaise.
Pesant ses 55,3 tonnes à vide, l’avion a peu de chances d’être récupéré : il sera sans doute soit laissé tel quel sur place, les réacteurs
Kouznetsov et sièges enlevés, soit carrément dépecé sur place. C’est bête, celui-là, il
était encore entier (superbe article au passage) !