Les retraités ? Des rentiers ! On l’a entendu sur France Culture…

par Paul Villach
mercredi 27 octobre 2010

Le débat sur les retraites serait-il devenu un défouloir pour les adversaires de cet acquis social qui leur répugne, mais qui est si essentiel pour ceux qui n’ont pour tout « capital » que leur travail ?

Dans l’émission animée par Philippe Meyer sur France Culture, pourtant appelée « L’ Esprit public  », on a pu entendre, dimanche 24 octobre 2010, M. Jean-Louis Bourlanges, professeur à l’Institut d’Études Politiques de Paris, qui se définit lui-même comme « un centriste », assimiler le retraité à un rentier avec quelques précautions de langage qui ne changent rien au fond du problème : « Les Socialistes, s’est-il écrié, ont inventé le rentier à temps partiel. Avec les 35 heures on est rentier deux jours et demi par semaine et avec la retraite, on a ce moment privilégié entre 60 et 70 ans où on est supposé pleinement maître de ses moyens intellectuels, sexuels, de voyage, etc. sans être obligé de travailler. C’est ça le rentier. C’est l’homme qui pourrait travailler et qui est dispensé de travailler. Or, ça, ça n’est plus possible (…) » (1).
 
Un amalgame malveillant
 
Aucun de ses interlocuteurs ne l’a repris. Or, peut-on parler de rente à propos d’une retraite de salarié et qualifier ce dernier de rentier ? Qu’est-ce qu’une rente ? Selon les contextes économiques, les définitions varient. Mais y en a-t-il une seule qui corresponde au revenu versé mensuellement à un salarié qui a été admis aujourd’hui à faire valoir ses droits à la retraite ?
 
Si l’on s’en tient à la définition commune à laquelle se réfère manifestement M. Bourlanges, une rente est un revenu assez substantiel tiré d’un capital pour dispenser son propriétaire de travailler : « C’est ça le rentier, a-t-il expliqué. C’est l’homme qui pourrait travailler et qui est dispensé de travailler. »
 
Or qu’y a-t-il de plus éloigné d’un rentier qu’un salarié retraité ? Il semble que les économistes libéralistes qui font la confusion, soient incapables d’imaginer une autre grille de lecture que celle qui s’attache à rentabiliser la propriété d’un capital par plus-values et profits. Ils voudraient tant récupérer cette masse salariale qui leur échappe pour aller la jouer au casino de la finance. Aussi selon eux, le versement d’un revenu mensuel à un salarié retraité est-il  assimilable à celui que perçoit de ses propriétés foncières ou mobilières ou encore de ses titres boursiers leur détenteur. En somme, rien ne différencierait le salarié retraité de la rentière Mme Bettencourt, hormis les sommes perçues. On voit bien sans doute une ressemblance : l’absence de travail dans l’un et l’autre cas. Mais peut-elle masquer leur différence irréductible ? L’une possède des biens, l’autre non. Les assimiler est donc un amalgame malveillant : les sources de revenus sont, en effet, totalement différentes, voire antinomiques.
 
La solidarité inter-générationnelle par salaire différé
 
Mieux, elles structurent deux types de société contraires. Mais les économistes libéralistes paraissent ne connaître qu’un type de fonctionnement économique parce que, c’est vrai, c’est le seul monde où ils entendent vivre. Ils ont donc les mots pour parler de la propriété et de ses revenus, ils n’en ont pas pour nommer une relation sociale qui leur répugne, fondée sur des échanges régis par une obligation morale de réciprocité et de solidarité. En somme, ne parlant pas cette langue, ils la traduisent dans leur dialecte : pour eux, retraité signifie rentier. Mais « Traduttore, traditore », dit un proverbe italien : traduire est trahir !
 
La retraite par répartition, au contraire de celle par capitalisation bien connue des économistes libéralistes et des retraités américains aujourd’hui ruinés, est une invention de solidarité ingénieuse qui institue une relation étroite entre les générations d’un pays. La génération en activité, dit-on souvent, pourvoie aux revenus de la génération précédente qui n’y est plus. C’est une façon partiale et fautive de voir le contrat inter-générationnel que ce mode de vie institue. Un point de vue plus pertinent analyse le revenu versé ainsi à la génération de retraités comme la restitution de la part de salaire qu’elle a elle-même alloué en son temps à la génération précédente. En d’autres termes, la part qui est prélévée sur les salaires de la génération en activité pour servir aux retraites de celle qui n’y est plus, est un salaire différé qui lui sera versé à son tour quand elle sera elle-même à la retraite par la nouvelle génération qui l’aura remplacé. Sans doute les enfants en activité assurent-ils la retraite de leurs parents, mais c’est parce que ces derniers l’ont fait eux-mêmes pour leurs propres parents, et que leur prochaine retraite sera le moment venu assurée par leurs propres enfants.
 
La retraite par répartition, le contrat social en acte
 
Où est donc la notion économique de rente dans cette organisation sociale qui ne fait pas fructifier un capital, mais la solidarité entre générations ? Le salarié ne dispose que des revenus de son travail : il en épargne, si l’on veut, une partie, pour conformément à un contrat social la mettre à la disposition du retraité comme celui-ci l’a fait avec la génération précédente et comme il lui est promis que la génération suivante fera envers lui, quand sera pour lui venu le temps de la retraite. Le rentier tire de ses biens le revenu qui le dispense de travailler. De quel bien le retraité tire-t-il le sien ? D’un bien commun autrement plus riche, si l’on ose dire, la mise en œuvre d’une solidarité réciproque entre les citoyens de générations différentes.
 
La retraite par répartition est, on le voit, loin de la rente, elle en est même la négation. Au lieu d’une exploitation solitaire et égoïste d’un capital individuel, elle est sans doute l’une des expressions les plus hautes d’un contrat social en acte qui soude entre elles les générations et renforce en les renouvelant chaque fois les assises de la République qui l’organise. La ravaler à une vulgaire rente revient à nier sa fonction civilisatrice et unificatrice dans une démocratie et à miner sciemment les fondements de la cohésion sociale pour la remplacer par le caprice de la jungle. Paul Villach
 
 
(1) Extrait de l’émission « L’Esprit Public  », animée sur France Culture par Philippe Meyer, dimanche 24 octobre 2010 de 11h à 11h50.
 
« (…) Jean-Louis Bourlanges, professeur à l’IEP de Paris .- Le XIXème siècle avait inventé un repoussoir, la conditions du prolétaire, et un idéal qui est celle du rentier. Le rentier, il ne faut pas le prendre mal, c’est quelque chose de profondément inscrit dans notre tradition historique. Chaunu avait fait l’éloge de Descartes et d’un certains nombre de gens, de ces officiers qui touchaient de l’argent de l’État sans faire grand chose et dont les loisirs incroyablement studieux avaient permis la grande révolution mathématique du XVIIème siècle. Donc il ne faut pas voir dans le mot rentier quelque chose de négatif. C’est au contraire la marque d’un peuple d’élite qui se débarrasse des contraintes du travail, hédoniste, voué à la culture, à l’association, etc. Il y a un idéal humaniste qui mérite d’être défendu mais qui évidemment du point de vue économique est catastrophique.

Or les Socialistes ont inventé le rentier à temps partiel. Avec les 35 heures on est rentier deux jours et demi par semaine et, avec la retraite, on a ce moment privilégié entre 60 et 70 ans où on est supposé pleinement maître de ses moyens intellectuels, sexuels, de voyage, etc. sans être obligé de travailler. C’est ça le rentier. C’est l’homme qui pourrait travailler et qui est dispensé de travailler et ça c’est quelque chose qui est – Redecker l’a dit d’une autre façon - c’est quelque chose qui est vécu comme un eldorado. Or, ça, ça n’est plus possible. Et le travail qui est rejeté est effectivement l’idée pourtant fondatrice du pacte social selon laquelle c’est dans le travail d’abord que l’homme qui est en bonne santé doit s’exprimer. Et ça, ça s’explique aussi parce que nous sommes dans une société où le travail a été notamment par le patronat, les entreprises, profondément dévalorisé. »

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