Les rives des rivières errent

par Orélien Péréol
mercredi 8 juin 2016

Contre l'idée prométhéenne de domination de la nature par l'homme.

Fait suite à mon article nous avions des avions.

Prométhée nageant le sourire aux lèvres

L'idée prométhéenne de la présence de l'Homme sur la Terre, particulièrement dans et par les domaines des sciences et des techniques est que l'Homme fait obéir la Nature pour qu'Elle le serve. Cette représentation de l'être au monde des Hommes a produit le monde dans lequel nous vivons. Depuis le début de ce travail de création de sciences et de techniques, cette perception ne correspond pas à ce qui se passe.

L'idée prométhéenne est charmante aux hommes qui ne résistent pas au fait de la croire vraie : Quand on voit voler un avion, on peut avoir l'impression que la loi de la gravité universelle est feintée. On a cette impression. Il n'en est rien. Un avion s'appuie sur la Terre tout comme nous qui le regardons les pieds posés sur le sol. L'avion est porté par la Terre par l'intermédiaire d'un coussin d'air, comme les oiseaux. Et la loi scientifique de la gravitation n'en est pas affectée.

Jusqu'à notre époque, le fait que notre perception prométhéenne des sciences et des techniques soit erronée ne nous a pas gênés, ne nous a pas empêchés d'agir et de progresser dans cette entreprise technico-scientifique. Cette perception ne fonctionne plus parce que nous avons atteint les limites de notre planète. Un certain nombre de déchets dont nous n'avions pas à nous occuper, la planète les absorbant et les recyclant, restent et stagnent tout près de nous. C'est la pollution. Il faudrait dire les pollutions. Avec les pollutions, le réchauffement de l'atmosphère, l'acidification des océans...etc.

Un tanneur qui rejette des produits toxiques dans la rivière ne crée pas de transformation sensible de cette rivière et peut ne pas y voir de problème ; il peut aisément ne pas imputer ce rejet à son activité. Mais trois tanneurs, mais dix mais cent ?... mais pendant trois cents, quatre cents, cinq cents ans ? L'eau finit par se saturer de produits toxiques, devenir impropre aux usages fondamentaux de l'eau (désaltérer, laver les corps, les vêtements, les maisons, les objets, bouillir et cuire les aliments… etc.). Nous nous approchons fortement de cet état d'impropriété de la planète en son entier.

Nous avons cru dominer, nous n'avons jamais dominé. Nous le voyons (nous devrions le voir) seulement maintenant.

 

Certains distinguent le jardin et le robot.

Dans le jardin, l'Homme travaille et favorise dans la Nature certains phénomènes du côté d'une plus grande production, d'un meilleur goût des fruits, d'une plus grande durée de conservation... etc. du côté de ce qu'il préfère avoir comme qualités des fruits des plantes et de certains animaux...

Le robot n'est pas une amélioration d'un élément trouvé par l'Homme dans ce qui s'impose à lui (le réel dont fait partie la Nature) : une voiture, un ordinateur par exemple... plus simple et plus ancien : une hache...

Il y a une différence structurelle et cependant, au début au moins on passe de l'un à l'autre : une hache préhistorique est une combinaison originale, qui n'existe nulle part et qu'on ne peut cueillir quelque part en circulant autour de soi, d'éléments tous cueillis, ce qui n'est pas le cas des aciers, des matières plastiques, des gommes de pneumatiques qui composent une voiture. Cependant, cette distinction est d’une congruence avec le réel limité. Tout est transformation du réel, de la nature, même quand la transformation est longue, tellement longue qu’on peut ne plus la voir, qu’on peut l’oublier.

La technique est tissée de nature.

Si la gomme des pneus est loin de la nature, à tel point qu’on pourrait les croire sorties seulement de l’intelligence des hommes, il y a dans une voiture des éléments proches de la nature, trouvées sur place, à l’instant et au lieu mêmes où la voiture roule, à savoir l’air nécessaire à la combustion du pétrole transformé en essence, l’eau du refroidissement…

 

La Nature a raison, elle a raison parce qu'on ne peut pas la raisonner. Malgré cela, les Hommes continuent à penser qu'ils pourront arraisonner la Nature. Pour celles et ceux qui pensent que je joue sur les mots se trompent : arraisonner un bateau, c'est en prendre possession par la force et le soumettre à notre raison (au sens où la raison du plus fort est toujours la meilleure). Il y a une relation entre la raison, le fait d'avoir raison et la force mise pour avoir raison.

La raison de la Nature, c'est le réel. Nous en faisons partie et nous n'avons pas de prise pour lui.

 

Quand un ballon part tout droit à la suite d’un coup de pied, il change de direction s’il atteint un mur (une limite), éventuellement il fait un parfait demi-tour et revient à son départ. Nous en sommes là.

Le mouvement humain d’expansion dans l’espace et d’expansion technique, industriel… atteint les limites de la planète Terre et revient sur nous.
Etant donné le renoncement à l’idée de toute puissance qu’il est nécessaire d’opérer, il nous faudra encore beaucoup de perturbations du fonctionnement ordinaire, courant, quotidien de ladite nature pour prendre en compte le fait qu’elle est toujours là, nécessaire, active, indispensable. Il nous faudra encore beaucoup de « catastrophes naturelles » pour commencer à nous rendre compte que nous ne résoudrons pas ce problème en continuant cette expansion, sur le modèle « nous avons résolu nos problèmes par notre intelligence, y compris les problèmes posés par notre intelligence ».

Il nous faudrait devenir plus sobres mais nous préférons accabler « les politiques ».

 

Commencer par renoncer à cette représentation historique de Prométhée maître d’une nature obéissante comme un chien même au maître qui la bat, y renoncer malgré son ancienneté, malgré sa performance…

La technique a toujours été tissée de nature. 

 

1910. Promettez-moi un avenir radieux

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