Les verrues d’Arnaud Montebourg

par koz
jeudi 11 janvier 2007

J’ai déjà eu l’occasion de le dire : Arnaud Montebourg m’inquiète. Faut-il paraphraser les socialistes et dire qu’il fait peur ? Je ne sais pas, mais le fait est que, lui qui aime parler en termes de registres, il est systématiquement dans celui de la violence.

Lorsque vous conjuguez cela à l’arrogance dont il fait preuve, ainsi qu’à son discours, empreint de la vertu républicaine, cette vertu que la Terreur a tenté d’établir à grands coups de guillotine, vous comprendrez - du moins, je l’espère - que je ne plaisante, ni n’exagère, lorsque j’écris que je lui trouve bien des airs de Fouquier-Tinville, si ce n’est de Saint-Just, l’Archange de la Terreur.

Avouez aussi que Montebourg, en évoquant, au sujet de Johnny Hallyday, le souvenir de la Révolution française faisant face aux cortèges d’émigrés, qui pour défendre les privilèges d’une noblesse dépourvue d’esprit national, ralliaient à Coblence les armées des monarques de l’Europe en lutte contre le sens républicain de l’Histoire, ne rechignerait probablement pas à se voir assimilé non pas à Fouquier-Tinville, Saint-Just, ni au reste de la valetaille, mais à Robespierre, une figure que certains, à gauche, revendiquent toujours.

Or il est évident qu’Arnaud Montebourg sera ministre si Ségolène Royal est élue. Tremblons un peu : du fait de son activité d’avocat, il se pourrait même qu’on lui confie la Justice. Au demeurant, tel qu’est le bougre, je ne vois guère de ministère dans lequel il ne ferait de dégâts. Pourquoi ces développements ?

Eh bien, la suite de l’affaire Hallyday qui - si elle démontre peut-être le caractère dissuasif de notre fiscalité pour certaines personnes, dont on peut regretter qu’elles ne versent ainsi pas leur écot au budget du pays (une solution, bien évidemment, serait de leur confisquer leur passeport, ou de faire un blocus de leur personne mais, à ce jour du moins, c’est anticonstitutionnel) - nous serons d’accord, est choquante : lorsqu’on entend s’engager comme il le fait dans une campagne électorale, il me semble bienvenu de partager le sort de ses concitoyens.

Nous sommes pourtant, l’archange de la Terreur royaliste et moi, d’accord sur une chose : on ne peut pas nous engager dans une concurrence fiscale qui conduirait à ne plus taxer du tout les entreprises, lorsque les revenus du travail le seraient - on trouve d’ailleurs peu de personnes en France pour le souhaiter - et une harmonisation serait utile.

Je suis en revanche en désaccord sur la forme, sur l’inutile violence du propos. Et je trouve au discours d’Arnaud Montebourg, dont il précise lui-même qu’il a reçu le soutien de Ségolène Royal et que ses propos ont été validés par la direction de campagne, une incohérence manifeste.


Pour avoir nécessairement étudié le Traité établissant une constitution européenne et, au-delà, le droit communautaire, il ne lui aura pas échappé que l’harmonisation des politiques nationales est au coeur même de la construction européenne.

Harmonisation des normes de sécurité, harmonisation des règlementations des produits afin d’instaurer au sein de l’Union européenne (italiques car il semble nécessaire de rappeler que l’Union européenne n’a pas pour vocation d’organiser un libre-échange mondial, et qu’elle est donc appelée à protéger ses frontières), un marché intérieur. Libre-circulation des personnes, libre-circulation des marchandises, libre-circulation des capitaux, voilà trois des objectifs économiques européens. Mais pour cela, il faut harmoniser, ce que l’UE s’efforce de faire. Il est donc inutile de vitupérer. La nécessaire harmonisation fiscale au sein de l’Union, c’est un sujet sur lequel j’ai moi-même bûché en troisième cycle il y a bientôt dix ans.

Seulement, si chacun s’affirme convaincu de la nécessité d’harmoniser les fiscalités pour éviter que les Etats membres de l’Union ne se livrent à une néfaste concurrence, c’est généralement à la condition que les autres s’alignent sur eux. Et c’est très précisément ce que Montebourg, social-souverainiste, prévoit.

Voilà ce que Jean Quatremer en dit très justement (j’espère que Jean - oui, je vais l’appeler Jean - me remerciera de ce satisfecit) sur son blog (ou Libé), Coulisses de Bruxelles :

"Car, au fond, que souhaite Montebourg ? Que le niveau d’imposition français -sur les entreprises et les individus- soit considéré comme un plancher. C’est seulement ainsi que plus personne ne concurrencerait la France, surtout au moment où François Hollande, le premier secrétaire du PS, annonce que la gauche reviendra sur toutes les baisses d’impôts consenties par la droite. Autrement dit, le système fiscal hexagonal doit être le référent de l’Europe, voire du monde ! On comprend mieux, avec de tels propos, pourquoi l’harmonisation fiscale, pourtant souhaitable notamment dans le domaine de l’IS, ne progresse pas en Europe."

Non seulement nous détenons la Lumière, mais voilà que les Armées révolutionnaires reprennent du service pour aller l’imposer aux autres, au prix d’un blocus dont la légalité ne peut que laisser profondément songeur. Mais puisque cela fait plaisir aux électeurs antilibéraux...

Or, comme le relève Quatremer, croit-il véritablement qu’il se dégagerait une majorité quelconque pour adopter le système français ? Bien sûr, ce n’est qu’un obstacle relatif, puisque, dans une vision assez dialectique, les droites européennes doivent être chassées du pouvoir, ce qui devrait ouvrir la voie à l’établissement de la vérité et de la justice dans le monde. Mais à ce jour, à supposer que l’on passe à la majorité qualifiée sur un tel sujet - ce qui n’arrivera pas, en tout cas pas de si tôt - il est évident que ce n’est pas le système français qui serait adopté.

Au demeurant, comme le souligne Jean Quatremer, l’Union n’est pas restée inactive. Ce sont bien les Etats qui retiennent ce dernier levier de politique nationale qu’est la fiscalité. Il n’y a d’ailleurs qu’à imaginer la réaction d’Arnaud Montebourg si une harmonisation sur la fiscalité moyenne en Europe était soumise au vote...


Il faut pour l’apprécier consulter sa tribune dans Libération, mais aussi l’interview qu’il a donnée à un site, Betapolitique, "blog politique indépendant" de gauche :

Cette interview est surréaliste. Au milieu de vingt minutes d’un amalgame total entre le système fiscal, Clearstream, le système bancaire suisse et la question des avoirs juifs, Arnaud Montebourg parle de paix fiscale et de nécessité du dialogue... une paix et un dialogue imposés par la force !

Ainsi, Montebourg reprend son couplet sur les méthodes de prédation suisses, l’exercice de pillage des grands pays européens. Pourquoi grands, au demeurant ? Parce que c’est plus répréhensible lorsque c’est commis par un nain à l’égard d’un géant ?

Au bout de cinq minutes (environ 5’20, pour ceux qui sont pressés), le morceau de bravoure :

"Nous posions le problème sur le terrain de la protection - c’était en 2001 - la protection qu’un certain nombre de pays qui refusent la coopération judiciaire ou bancaire ou fiscale accordent à des capitaux illégaux. C’est le cas de la Suisse, du Luxembourg, dans une certaine mesure aussi la City de London, la Grande-Bretagne, Monaco, la principauté du Lichtenstein, un certain nombre de territoires comme ça qui sont des verrues... dans le fonctionnement normal de la lutte contre l’argent sale."

N’oublions pas que la personne qui qualifie ainsi la Grande-Bretagne, Monaco, la Suisse, le Luxembourg, le Lichtenstein de verrues est le porte-parole de Ségolène Royal... Certains parlent de tumeurs à propos d’autres Etats. Montebourg, lui, est civilisé, il se contente de verrues. Mais le propos garde comme des relents nauséabonds.

En tout cas, pour un appel au dialogue, avouez que ça promet d’être efficace !

Et le voilà qui entonne de nouveau l’antienne développée dans sa tribune sur l’opportunité d’organiser un blocus de ces pays. Intéressant, n’est-il pas ? Blocus de la Suisse, de Monaco, du Luxembourg, du Lichtenstein... et de la Grande-Bretagne. Faut-il lui rappeler que les derniers blocus de la Grande-Bretagne ont rencontré un succès plutôt mitigé ?

Il est en tout état de cause ahurissant d’entendre un responsable français, porte-parole d’une candidate à la présidence de la République, qualifier cinq Etats étrangers amis de verrues, avant de préciser au demeurant qu’il ne se sent pas seul sur ces questions et qu’il a le soutien de Ségolène Royal ! Je doute, à vrai dire, qu’il l’ait informée de l’emploi du terme verrue.

Et puisqu’il est bien parti, voilà Montebourg qui, par trois fois, explique qu’il faut engager l’épreuve de forces avec la Suisse, que la Suisse ne comprend que le rapport de forces, que les Suisses ne comprennent que la confrontation, ils n’acceptent que très rarement le dialogue...

Et, pour terminer de lustrer l’image de la France arrogante à l’étranger, le morceau de bravitude à l’égard des petits pays comme l’Irlande, la Slovaquie, etc. : nous pouvons comprendre qu’ils aient recours à une fiscalité faible... Cela est pardonnable. En toute magnanimité. Rassurez-vous, gens de Slovaquie, la France ne vous fera pas la guerre, elle considère que votre comportement est pardonnable.

Après s’être bien lâché pour complaire aux antilibéraux, il termine d’ailleurs son propos par un couplet vierge effarouchée sur ses Suisses qui, au lieu de répondre sur le fond, ont réagi par des noms d’oiseaux. Savent vraiment pas se tenir, ces Suisses, hein...

Son interlocuteur, en fin d’interview, lui a en effet demandé ce qu’il convenait de faire : Concrètement, en quoi consisteraient ces actions si le Parti socialiste remportait les élections présidentielles ?. Et là, on constate que, une fois passé le temps de la diatribe, c’est le trou noir, façon Royal :

"Bien, pour le moment, je crois qu’il faut déjà poser les questions et obtenir des réponses dignes de ce nom. Pour l’instant, les Suisses ont plutôt réagi en adressant les noms d’oiseaux, plutôt que de mesurer à quel point le préjudice qu’ils font subir à toute l’Europe est considérable. Donc il faut déjà accélérer la prise de conscience de la folie de cette guerre fiscale qu’ils sont en train de nous livrer et puis, il va falloir préparer des mesures en en rapport avec le refus de dialoguer. Pour l’instant, je crois qu’il faut rechercher le dialogue avec les autorités helvétiques."

Il semble bien, en effet, que ces banquiers véreux, cyniques et prédateurs n’aient pas saisi qu’Arnaud Montebourg leur adressait, de cette façon, un appel au dialogue, avant de mettre en place un blocus.

Et Arnaud Montebourg d’illustrer enfin, dans un magnifique comique involontaire, sa volonté de dialogue en refusant tout entretien à des journaux suisses, ou tout débat avec lesdites autorités helvétiques : voir, une dernière fois, Quatremer.


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