Les vraies questions : réflexion sur la campagne présidentielle

par José Peres Baptista
mardi 20 février 2007

Pour être pragmatique et recadrer le titre, cette analyse portera uniquement sur les candidats disposant de chances réelles d’accéder à la présidence : Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et François Bayrou. Pourquoi ne pas inclure Jean-Marie Le Pen dans cette réflexion ? Parce qu’en poussant plus avant ce pragmatisme et sans vouloir offenser quiconque, y compris au sein de son électorat, je partirai du postulat que ce dernier ne sera jamais élu président de la République. En effet, même en considérant que la défiance des Français envers leur classe dirigeante s’est renforcée, je ne vois pas comment les intentions éventuelles de vote en sa faveur au second tour pourraient être passées d’un peu moins de 20% en 2002 à plus de 50%. On peut donc, en toute bonne foi, estimer qu’une nouvelle accession à ce niveau de l’élection garantirait son adversaire de la victoire, quel qu’il soit (pour apporter toutefois une considération personnelle, il serait excessivement dangereux pour notre démocratie et pour l’opinion publique que Jean-Marie Le Pen ne dispose pas des signatures lui permettant d’officialiser sa candidature).

J’ai toujours estimé que la médiocrité de la campagne présidentielle de 2002 résidait dans le fait que les candidats avaient mené une compagne législative et non présidentielle. En effet, avec un électorat majoritairement tenté par l’alternance depuis plusieurs décennies, élaborer un programme à vocation intérieure relève au mieux de la naïveté, au pire du coup de poker électoral. Qui peut garantir l’exécution d’un tel programme en sachant que ce sera de nouveau aux Français de décider de la majorité parlementaire et que rien n’est assuré (cf. la dissolution) ? Cette erreur, fondamentale dans l’esprit des Français même s’ils ne la ressentent que de façon diffuse, les deux candidats du PS et de l’UMP la commettent de nouveau. Le rôle du président de la République en France quant aux affaires intérieures n’est pas de gouverner mais d’arbitrer. Le domaine qui lui est réservé est celui des relations internationales et il semblera évident à tout observateur de cette campagne que les positions de Nicolas Sarkozy comme celles de Ségolène Royal sont à ce sujet pour le moins floues. L’Europe constitue pour eux un terrain miné sur lequel l’un comme l’autre ne souhaite trop s’étendre tant le référendum du 29 mai 2005 a laissé des traces. Pourtant, la plupart des règlementations nationales est décidée à l’échelon européen. Comment gérer l’attitude française vis-à-vis de nos partenaires européens, des institutions européennes  ? Personne n’y répond. Quelles seront les positions françaises face aux conflits du Moyen-Orient ? Partagerons-nous les positions américaines futures quant à la gestion des crises et leur vision du monde ? Quelle place accorderons-nous à notre voisine russe ? Là non plus, nous ne disposons pas des réponses permettant un embryon d’idée sur la place de la France dans le monde. François Bayrou quant à lui dispose au moins sur ces sujets d’un avantage conséquent : la constance de ses convictions pro-européennes. Que l’on partage ou non son positionnement n’empêche pas de lui reconnaître cette stabilité. Il a, par exemple, toujours souhaité un renforcement européen des politiques internationale et de défense. Entre la politique étrangère de Ségolène Royal plus que floue et celle de Nicolas Sarkozy, incertaine mais plus proche de l’atlantisme que de l’indépendance européenne, François Bayrou apparaît à mon sens bien plus fiable aujourd’hui.

Second sujet et non des moindres pour l’opinion française : leur conception de la politique et de l’exercice du pouvoir.

La préparation de la campagne présidentielle de Ségolène Royal donne l’apparence d’une conception verticale du pouvoir du bas vers le haut. Elle a établi son pacte présidentiel à partir des débats participatifs et a donc tenu compte des doléances des Français sur des situations particulières. Si l’on omet le fait, là encore, qu’il s’agit de préoccupations intérieures qui ne relèvent pas du domaine présidentiel mais du gouvernement, cette façon de procéder, si elle a pour mérite d’être proche des Français, a pour inconvénient de ne pas lui avoir permis, jusqu’à présent, d’incarner une position de leader qui entraîne avec sa force de conviction le rassemblement de tous les Français. L’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers et c’est là qu’une conception verticale ascendante atteint ses limites. Cet exercice de la politique relève de nos députés mais en aucun cas ne peut être celui d’un président de la République en exercice. Campagne législative, là encore.

Pour Nicolas Sarkozy, tout donne à penser que ses conceptions sont totalement inverses. Si sa conception de la politique et de l’exercice du pouvoir semble bien verticale, elle l’est du haut vers le bas. Candidat unique à l’UMP (l’épisode Michèle Alliot-Marie ne fut qu’un leurre de démocratie interne), centralisant le maximum de pouvoirs entre ses mains (ses différentes casquettes), n’hésitant pas à faire pression sur la presse voire sur des élus, se tissant un réseau d’amitiés dans tous les cercles d’influence et agglutinant autour de lui tout ce qu’il est possible de compter parmi les élites politiques, médiatiques, intellectuelles, artistiques, etc., sa conception de la politique s’apparente plus à un culte du chef, à un exercice élitiste du pouvoir qu’à un rassemblement national. Ce faisant, il symbolise bien plus que les autres candidats un communautarisme de classe sociale. Si cela a l’avantage de lui éviter les rapprochements aux relents de racisme et de xénophobie qui auraient pu être faits après les émeutes de banlieues, cela cristallisera par contre les opinions sur son bilan tant en matière de sécurité que d’économie. En effet, il est le candidat du gouvernement sortant. D’autre part, une telle propension à la concentration des pouvoirs et à l’autoritarisme, associée aux nouvelles formes de bourgeoisie que représente son entourage plus ou moins proche, renforce une l’idée déjà très prégnante d’un ego et d’un narcissisme surdéveloppés. Il n’est pas certain, loin s’en faut, que dans l’actuel climat de défiance envers les élites quelles qu’elles soient, les Français soient prêts à voir se concrétiser cette vision clanique du pouvoir au sommet de l’État.

Entre ces deux conceptions verticales du pouvoir et de l’exercice politique, François Bayrou a réussi le tour de force, en symbolisant la lutte contre cette bipolarisation, d’apparaître comme le candidat d’un pouvoir beaucoup plus horizontal. En exprimant sa volonté de voir un gouvernement collégial rassemblant les grandes tendances, en ne faisant pas de promesses mais en prenant des engagements, en défendant une représentation parlementaire plus proche de la réalité sociale de notre pays, entre autres, il se positionne comme le candidat qui ne sera ni celui du peuple ni celui des élites, mais celui d’une nation. Il tente de démontrer qu’il serait bien un président qui ne défendrait pas des intérêts catégoriels mais qui, en gouvernant avec toutes les tendances et en faisant légiférer une assemblée plus représentative, serait l’arbitre impartial des revendications de tout le peuple français. Il remodèlerait donc nos institutions de façon plus conforme à cette neutralité. Quant à son éventuelle politique internationale, elle a au moins le mérite d’être claire, déjà connue de tous et essentiellement appuyée sur l’Europe. Le seul inconvénient majeur de son positionnement est l’envers de sa qualité : le risque que sa candidature, celle de tous les Français, ne devienne, par manque de persuasion ou de charisme, celle de personne.

Outre des traits de caractères marquants chez les deux candidats UMP et PS qui peuvent autant rebuter qu’attirer, les divergences entre les trois prétendants se situent essentiellement dans les conceptions mêmes de la politique et de l’exercice du pouvoir. Les Français choisiront alors très probablement, sauf énorme surprise, entre deux méthodes verticales de prise du pouvoir et un exercice de ce pouvoir beaucoup plus horizontal. Entre une autorité imposée par le sommet ou légitimée par la base et une autre, assise sur une collégialité représentative.

La vision de François Bayrou me semble la plus à même de mettre un terme à cette défiance des Français envers leur classe politique. En n’élaborant pas son programme sur des revendications particulières, en bâtissant une éventuelle accession au pouvoir sur une représentation politique plus proche de la société et en proposant à toutes les tendances d’exercer collégialement, il incarne en France ce qui s’est déjà traduit dans nombre d’autres pays européens à forte politique sociale par la pragmatique recherche du consensus. Les Français veulent-ils mettre un terme à plusieurs décennies d’alternance politique pour un rassemblement national ? Sont-ils prêts à admettre que leurs intérêts particuliers ne peuvent pas être défendus contre ceux de les compatriotes ? À admettre aussi que si des solutions sont bonnes, elles ne le sont pas parce qu’elles viennent de gauche ou de droite mais parce qu’elles répondent correctement aux problèmes posés ? Mais surtout, et ce serait le sens principal du vote François Bayrou tel qu’il le présente, veulent-ils mettre fin à l’illusion d’un exercice idéologique du pouvoir qui finit toujours par décevoir une grande partie des électeurs qui y ont cru ?

Ce sont là, à mon sens, les questions de fond qui sont posées par cette campagne présidentielle. Les bons mots et petites phrases assassines sont l’apanage d’une certaine presse française délétère qui ne cherche qu’à remplir ses colonnes en éludant le débat de société.


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