Lettre d’un noir aux « racistes » français

par Jean-Michel Tengang-Bogogam
mercredi 15 février 2006

Remarque : essayez de ne rien déduire du titre avant d’avoir lu cette lettre.

Un sondage récent annonce que 1/3 de Français se disent racistes. J’ai passé ma vie à m’interroger sur des tas de sujets, rêvant de pouvoir contribuer à "changer le monde", rédigeant souvent des réflexions extrêmement audacieuses, remontant parfois jusqu’aux origines de l’univers pour chercher des réponses aux comportements les plus ordinaires d’un de ses produits : l’humain. J’ai ainsi exploré de façon totalement inédite des domaines aussi variés que le mensonge, le vol, les réactions à la musique, les modes de reproduction des espèces, les écarts entre diverses formes de civilisations, la transmission des connaissances, le futur très lointain des humains, le rôle du vivant dans le but de l’univers, etc. Mais cette variété était tenue par le fil d’une logique globale qui allait me permettre, si j’en avais l’opportunité, de relier tous ces thèmes apparemment disparates dans un livre dont la cohérence allait atténuer l’extrême audace que j’ai mise à traiter certains d’entre eux, et qui pourrait être mal interprétée si on les découvrait de façon isolée. Il y a quelque temps encore, je me serais servi d’un tel sondage pour alimenter mes analyses déjà particulières sur le racisme, et j’aurais tout rangé, en attendant "le bon moment". Je n’ai pas renoncé au livre, mais un drame récent est venu m’ôter à jamais toute envie de compter sur un temps sur lequel je n’ai aucune maîtrise. J’ai compris que si je pensais détenir des solutions qui pourraient être utiles pour résoudre des problèmes urgents, je me devais de prendre le risque de les sortir du contexte global et de les présenter de façon isolée sans attendre, en me donnant les moyens qu’elles soient bien entendues.

Ces derniers mois, ma vie a été secouée par des évènements épouvantables et, 99% des Français que j’ai eu à rencontrer dans ces circonstances très particulières m’ont témoigné une compassion sincère, profondément humaine, et très loin de toute considération raciale. Il n’était pas possible que parmi eux, il n’y en ait pas un seul de ce tiers supposé raciste. Je me suis mis à douter du fait qu’autant de Français se prétendent racistes, à m’interroger sur le sens qu’ils donnaient à ce mot. Il était impossible que de nos jours, dans un pays aussi développé et cultivé, autant de gens puissent encore croire en une hiérarchisation des races. J’ai souvent eu peur de ma couleur, de mon nom, de ma voix, peur qu’ils me volent toutes mes autres particularités, toutes mes qualités, toutes mes complexités, toutes mes peines, qu’ils ôtent toute nuance pour me définir, qu’ils m’imposent une religion, qu’ils volent ma passion de la laïcité, qu’ils me disent ennemi de la France et de ses moeurs, qu’ils me disent menaçant à la moindre revendication, qu’ils disent à ma place ce que j’aime et ce que je n’aime pas, ce que je ressens et ce que je ne ressens pas, et là, à ma grande surprise, ils n’avaient pas réussi à voler mes souffrances, elles étaient apparues humaines aux yeux de tous, et aucun de ces Français n’avait hésité à se mettre dans ma peau, simplement humaine, sans aucune protection raciale hiérarchisante. Et pourtant, quelques-unes de ces personnes pourraient se considérer comme racistes et pire, agir dans d’autres circonstances comme tels. Ces quelques instants où ma couleur, mon nom et ma voix ont retrouvé leur anonymat ont été parfois si forts pour moi et certains de mes interlocuteurs que j’ai décidé de me battre pour qu’ils durent définitivement et sans le couvert des émotions nées d’une situation particulière, ne comprenant même plus comment j’avais pu supporter de vivre jusqu’ici en m’accommodant de leur absence, comment j’avais pu accepter de vivre parfois sans mes profondeurs, ou en ne les exposant qu’au prix d’une dépense d’énergie exorbitante pour les arracher à mes apparences. Mais il était hors de question que j’y aille par quelques lamentations de plus sur le non respect de l’égalité des races, que j’aille rejoindre des fronts humanistes qui ont depuis longtemps prouvé leur inefficacité. Je m’étais déjà penché sur le problème de façon totalement inédite en essayant de comprendre le racisme, au lieu de le rejeter comme un mal qui ne méritait pas la moindre attention dotée d’intelligence, comme souvent, j’avais choisi de privilégier la rigueur intellectuelle la plus stricte possible à toute autre forme d’intérêt, sans avoir peur de choquer, il fallait juste que j’ose le dire, que j’ose exposer les bonnes raisons d’être inquiet par le monde, qui poussent parfois des gens pleins d’humanité et qui n’ont rien à voir avec le racisme à finir par n’avoir d’autres choix que de se revendiquer de cette doctrine et d’en adopter certaines règles.

Racistes de toutes les races.

Certains verront dans ma démarche une grande trahison à la pureté de l’anti-racisme. Mais, ce combat faussement idéaliste et extrêmement démagogique a échoué, ne tenant sa blancheur que de son manque total d’audace et de vérité, évitant de regarder son bilan ultra négatif en face, il s’obstine à prêcher dans le désert au rythme d’applaudissements retentissants des vides laissés par l’absence de coeurs. Ses élans superficiels, qui parfois essaient de s’offrir un peu de consistance par des lois, semblent provoquer exactement l’effet inverse de l’effet recherché : le nombre de personnes se réclamant du racisme augmente en permanence. Soixante ans après Hitler, cette doctrine continue à sévir à travers le monde, le véritable combat contre elle n’a jamais eu lieu, parce qu’on n’a jamais voulu voir ce qu’elle était réellement, et d’où elle venait, parce qu’on a choisi d’ignorer à quel point ses racines profondes étaient humaines, parce qu’on a choisi d’ignorer que c’était une conséquence naturelle du mode de fonctionnement des sociétés depuis la nuit des temps, parce qu’on a choisi de ne la voir que chez des populations de type européen, parce qu’on a choisi de croire qu’elle était moins dangereuse quand elle était portée par d’autres populations ou sous sa forme ethnique, parce qu’on a choisi de croire que ceux qui en étaient ou en avaient été victimes ne pouvaient pas la pratiquer, et qu’on ne leur demande jamais aucun compte quand ils dérivent. Pour lutter contre la hiérarchisation des races, on a institué une hiérarchisation des races racistes sur des bases dangereuses, qui tendraient à faire croire que certains types d’humains seraient naturellement protégés contre ce mal, on a simplement remplacé un ordre vicieux par un autre et, certains racistes-victimes-du-racisme en profitent pour dissimuler leur propre tare, et osent exiger qu’on ne leur applique ici ce qu’ils n’hésitent pas à appliquer à d’autres ailleurs, dans une logique unilatérale qui relève d’une véritable escroquerie morale et là, on touche à quelque chose de fondamental. On verra ainsi d’astucieux manipulateurs de la notion de liberté crier au racisme quand on s’attaque à des particularités qui relèvent de logiques de différenciation sectaires portées par des principes de hiérarchisation souvent racistes, bafouant parfois étrangement l’anonymat qu’ils réclament par ailleurs pour être traités comme les autres, comme s’ils disaient : "Regardez notre belle différence et traitez-nous sans en tenir compte". Certains seraient partisans d’une semi-hiérarchisation des races, qui ferait que leur race deviendrait l’égale des races qui se disaient supérieures tout en restant supérieure à celles qu’elle pensait précéder. Cette tendance est largement répandue à travers le monde et elle est profondément ignoble, c’est bien pire que de placer directement son espèce au sommet de la hiérarchie, surtout quand ses tenants se servent des souffrances de races qu’elles considèrent comme inférieures pour combattre le racisme qui les frappe, simplement parce qu’il leur est totalement impossible d’obtenir gain de cause en défendant l’idée d’un semi-racisme.

Ainsi, en regardant les choses de plus près, on verra que la hiérarchie des racismes les plus virulents dans le monde est très loin de ce que l’on clame. Alors qu’elles ont engendré un grand nombre d’humanistes sincères que l’on ne trouve nulle part ailleurs sur la planète, les grandes démocraties, se donnant les moyens de compter leurs racistes, peuvent paraître plus atteintes par le mal, mais on serait fort étonné des scores que l’on obtiendrait si on les comptait ailleurs sur de bonnes bases et dans les mêmes conditions. Partout les identités nationales sont sacrées, et si elles étaient attaquées dans certains pays, les réactions seraient bien au-delà de ce que l’on peut imaginer. Les frustrations face aux immigrations ne naissent pas simplement de ce qui se passe dans le pays d’accueil, mais aussi de ce que ceux de ce pays auraient le droit de faire ou d’être ailleurs. Aujourd’hui, les moyens d’information permettent à tous de voir ce qui se passe partout dans le monde, et il est pratiquement impossible de construire ses idées sans en tenir compte. Un combat sincère contre le racisme ne peut donc pas se faire simplement sur un plan national ou simplement auprès des populations de souche européenne, non seulement ça ne peut conduire qu’à un échec, mais ça fabrique des nouveaux racistes qui ne comprennent pas pourquoi on essaie de leur imposer des notions d’humanisme qui ne sont pas exigées à tous et dans tous les pays. J’ai été moi-même éduqué sur des bases tribales et raciales, j’en garde des traces malgré les efforts que je déploie pour m’améliorer, afin de ne pas avoir à demander aux autres de réussir là où j’aurais échoué. Je crois en ma guérison totale, mais je sais qu’elle passera par celle des autres, car tant qu’on me verra d’abord (ou uniquement) par ma race ou par mon ethnie, il me sera extrêmement difficile d’ignorer totalement ces paramètres dans mes propres regards, ne serait-ce que pour me protéger.

Je ne cherche pas à donner à ceux qui se sentent racistes à tort ou à raison, le temps d’attendre que le monde change pour qu’ils pensent à changer, ni à les conforter dans leur position sous le prétexte qu’elle serait humaine et naturelle, car si le racisme jouissif (maladie grave et parfois incurable) existe, le racisme qui naît d’une sensation de frustration réelle inflige de véritables souffrances à ceux qui n’ont d’autre choix que de le ressentir et, j’aimerais leur ouvrir des perspectives qui leur permettent d’imaginer qu’il puisse être négocié une issue à leur calvaire. Mais, après ce détour planétaire, cet espoir ne prendra vraiment forme dans le cas de ceux à qui j’adresse en priorité cette lettre que si je poursuis mon analyse en plongeant au coeur de ce qui est la cause principale de leur désarroi raciste : l’immigration.

Colonisation et de l’immigration : Les ressemblances

Depuis toujours, toutes les sociétés humaines se sont construites autour de valeurs qu’elles ont été obligées de défendre contre des agressions externes. Cette résistance a souvent été vaine et de nombreux peuples sont devenus ce qu’ils n’auraient jamais dû être, mais cela ne les a pas empêchés par la suite de défendre avec la même vigueur les anciennes moeurs ennemies qu’ils avaient fini par intégrer. Il s’est inscrit dans les consciences le fait qu’on devait imposer les moeurs d’un groupe au plus grand nombre, le plus souvent par la force, afin de constituer un ensemble plus puissant. La règle a donc toujours été celle du plus fort, victorieux, il n’offrait pas au vaincu de s’asseoir à égalité à sa table, celui-ci était considéré comme d’espèce inférieure et exploité parfois durant des siècles. C’était du racisme, mais en ces temps-là, tout cela paraissait bien naturel. Cela a presque toujours été la règle partout sur la planète jusqu’au XXe siècle. Ceux qui ont fait de nos ancêtres des esclaves et des colonisés étaient dans une logique d’exploitation économique d’êtres qu’ils considéraient réellement comme inférieurs. L’ONU est passée par là et aujourd’hui, les temps ont bien changé, même le plus petit des pays est totalement à l’abri des invasions étrangères par la guerre et, esclavage et colonisation semblent définitivement appartenir au passé, du moins sous leurs formes traditionnelles. Non seulement les frontières sont protégées, mais tout est fait pour éviter que des perdants d’hier n’essaient de revendiquer ce qui leur a été volé, ce qui pourrait avoir l’apparence d’une justice déboucherait vite sur des désordres inextricables et néfastes pour tous, car les comptes à régler seraient presque infinis. On a remis les compteurs à zéro et on est reparti sur de nouvelles bases, laissant aux historiens le soin de critiquer les comportements du passé, comme le fait qu’il n’était pas normal que des étrangers cherchent à modifier des identités nationales sans le consentement des autochtones et que les résistances qu’ils ont alors rencontrées étaient légitimes. Mais, si ça n’aurait pas dû se faire hier, ça ne devrait pas se faire aujourd’hui. Or, il faut avoir le courage de le dire, il reste tout de même une porte d’entrée pour des gens qui rêveraient encore d’imposer leurs moeurs à un pays étranger : l’immigration.

L’immigration n’est pas la colonisation, mais par certains aspects, elles partagent de profondes ressemblances. Il est capital de s’y pencher pour redonner son vrai visage au véritable racisme et en écarter ceux qui s’y reconnaissent à tort ou parce qu’on ne leur a rien proposé d’autre pour ranger leurs frustrations. Il s’agit dans les deux cas de l’implantation d’étrangers dans un pays qui n’est pas le leur, et qui engendre une forte résistance des autochtones, pour des raisons économiques et, pour empêcher la modification des valeurs et des identités profondes comme la religion. Et même là où l’on pourrait penser que les différences sont énormes, on trouve encore des similitudes, notamment dans ce qui nous intéresse le plus ici : la gestion raciale du problème. Ces résistances doivent pouvoir identifier l’ennemi, et si celui-ci peut l’être par la race (ce n’est pas toujours le cas), elles adoptent cette solution de facilité au détriment de toute forme de nuances humaines qui individualiseraient les comportements, parce qu’elles seraient trop coûteuses en temps, en énergie et surtout en intelligence, facteur souvent démobilisateur. Mais si la résistance du colonisé dominé et pauvre a pu identifier l’ennemi par un uniforme racial, ce n’était pas dans une logique de hiérarchisation raciale qui lui donnait avantage, d’autant plus que le dominant ne manquait pas de lui rappeler ses infériorités qui lui ont valu d’être vaincu et soumis, tel n’est pas la cas de la résistance à l’immigration qui, parce que souvent dominante et riche, se laissera facilement entraîner sur des raccourcis méprisants, humiliants et totalement contre productifs qui voileront par une apparence raciste détestable la légitimité et la noblesse de son combat pour la sauvegarde de ses intérêts, de ses moeurs, de ses valeurs essentielles souvent chèrement acquises. Là où il aurait peut-être été simplement suffisant de rappeler ou d’expliquer respectueusement les atouts culturels incontournables et non négociables qui font la différence et l’âme du pays et, qui sont la raison profonde de son attrait à travers le monde, la déviation raciste, irrespectueuse, arrogante et criarde, viendra usurper un parcours qui n’était pas le sien et y générer des frustrations, des crispations, des attitudes de défis chez beaucoup de gens qui n’étaient venus dans le pays que parce qu’ils l’avaient rêvé comme nulle part ailleurs et certainement pas comme chez eux, mais qui n’auront plus d’autre choix pour ne pas être considérés comme des êtres inférieurs que d’essayer de revaloriser des valeurs qu’ils espéraient avoir définitivement laissées derrière eux. Et voilà comment une exigence légitime n’ayant pas su trouver la sérénité et l’intelligence nécessaire pour garder le contrôle de ses vrais objectifs aboutit au résultat inverse de ce qu’il recherchait : alors qu’au départ, il n’y avait aucune intention d’envahir dans la logique d’immigration qui est avant tout une action individuelle, que bon nombre d’étrangers étaient parfaitement conscients en arrivant dans le pays que leur statut ne serait pas celui des nationaux et trouvaient cela parfaitement normal puisque c’est le cas partout ailleurs, qu’ils n’auraient pas été choqués d’être obligés de dire : "Puis-je aller aux toilettes" et qu’ils n’attendaient nullement qu’on leur réponde :"Fais comme chez toi", qu’ils savaient pertinemment qu’ils ne seraient pas chez eux et qu’ils devraient se conformer autant que possible aux moeurs du pays hôte sans avoir l’impression de trahir leurs origines, qu’ils ne considéraient pas qu’être étranger était dévalorisant, à l’arrivée, tous les étrangers ont été faits immigrés quels que soient les raisons et le temps qu’ils ont prévu de passer dans le pays, ils ont été uniformisés, leurs individualités ont été effacées, on se retrouve avec des communautés artificiellement gonflées par de faux leaders autoproclamés qui revendiquent la prise en compte de certaines identités, rêvant de réussir là où les colonisations ont échoué, au nom d’un nombre dans lequel ils prennent des millions de gens en otage, parfois aidés dans leur tâche par certains médias qui voient dans les confrontations spectaculaires un moyen de faire de l’audience et qui n’hésitent pas à donner la parole uniquement à ceux qui savent mettre de l’huile sur le feu. Là où il était possible de construire une harmonie parfaite sur la base du respect de l’âme des pays, seule solution de bon sens qui puisse préserver la variété fabuleuse des mondes des humains car celle qui consisterait à installer cette variété partout finirait par la détruire en créant un monde uniforme et sans saveur, on se retrouve avec des antagonismes insensés qui ne laissent rien présager de bon, d’autant plus que de dangereux malins de différents camps, dont les ambitions de devenir les chefs de quelque chose méprisent les véritables intérêts de ceux qu’ils utilisent, font tout pour accentuer le malaise afin de compter leurs forces.

Cette obsession à faire du nombre n’est pas portée que par la race, elle est aussi largement portée par les religions, ce qui complique encore plus les choses, car par leur biais sont souvent invités dans les affaires internes d’un pays des intérêts étrangers qui n’ont aucun lien avec lui et qui sont dans une autre logique de dénombrement douteuse pour un poids planétaire. Il n’est pas facile de comprendre ce qu’est un croyant modéré, une semi-croyance. Une religion a des règles, on les respecte ou on ne les respecte pas. On est croyant ou on ne l’est pas. Les religions se considèrent comme les plus grandes richesses qui soient, elles ne devraient donc être partagées que par des personnes ayant apporté toutes les preuves qu’elles méritent. Cette logique élitiste permet à de nombreuses doctrines de s’épanouir à des niveaux exceptionnels. Si les croyances étaient considérées comme puissantes par la qualité de leurs croyants, elles ne toléreraient pas que des fidèles sélectionnent leurs pratiques suivant des convenances personnelles, or, c’est souvent le cas, car c’est la logique du nombre qui les guide. Parfois, il suffit même de porter un prénom lié à l’une d’entre elles pour que celle-ci vous intègre dans son nombre sans se formaliser sur la réalité de vos croyances. Ce nombre est malicieusement utilisé par certains qui n’hésitent pas à se servir de gens qu’ils considèrent pourtant comme des traîtres impurs pour clamer leur force, une force qui au nom de tous ses doutes se doit d’être puissamment liberticide et qui souvent, cruelle arrogance, protège sa liberté de l’être en invitant tous ses comptés à contribuer à des desseins terrifiants qu’elle projette pour anéantir quiconque a osé remettre en cause un des symboles qu’elle a consacrés comme sacrés, d’une science qui était non seulement strictement interdite à toutes les raisons de ses adeptes, mais aussi à toutes celles qu’elle pouvait entendre. Si cette force n’avait pas pour but d’influer sur les moeurs parfois séculaires de certains pays où elle n’avait pas jusqu’alors sa place, il n’y aurait peut-être presque rien à redire, sauf, pour les partisans d’une liberté planétaire, à plaindre ceux qui ont été depuis trop longtemps contraints de la subir au point parfois d’avoir appris à l’aimer d’un amour irraisonné comme elle l’exigeait, en y perdant tout sens du libre choix. Mais, on se retrouve dans la logique de l’expansion coloniale qui semblait être révolue, avec cette fois-ci l’immigration comme force d’appui, une logique qui paradoxalement se développe en s’appuyant sur les actions de ceux qui veulent la contrer par le racisme.

Et voilà comment un pays qui, au cours des siècles, au prix parfois d’énormes sacrifices avait réussi à installer la liberté comme l’un de ses fondements, se retrouve en régression sur ce point, obligé d’ouvrir des pages qu’il pensait avoir définitivement tournées et ceci, d’abord au détriment des autochtones qui parfois révisent à la baisse leurs propres besoins en la matière, faisant ainsi le bonheur des conservateurs les plus endurcis et le malheur des progressistes, mais aussi de beaucoup d’étrangers qui espéraient trouver dans le pays de grandes possibilités de choix qu’ils n’avaient pas chez eux. Là où il était question de libertés individuelles, on prône la liberté de groupes donnés à imposer des contraintes particulières à ceux qu’ils considèrent comme leurs membres. Quand on parle de communautarisme, il n’y aurait aucun mal à ce que des individus qui se trouvent en toute liberté certains points communs puissent parfois se rassembler pour les partager, cela se fait dans différents clubs, mais très souvent les communautés renforcent des cohésions liberticides en s’appuyant sur de fortes pressions familiales ou tribales portées par le fait que les moeurs, la religion sont des héritages qu’on ne peut se permettre de remettre en cause individuellement et qu’il y a des domaines où la notion de choix n’a aucun sens. Il arrive qu’on brandisse une de ces victimes endoctrinées comme le résultat d’une liberté profonde, cette notion étant manipulée pour emprisonner des individus et les empêcher de lorgner vers les moeurs du pays hôte, notamment les moeurs les plus libres, on a dû leur dire pour appuyer leur mise en cage communautaire : "Tu ne peux pas te rabaisser à adopter les moeurs de ces gens qui méprisent ceux de notre race". Et là encore, ceux qui se trompent en empruntant le racisme pour exprimer certaines douleurs auront contribué à façonner une des raisons de leur colère.

Mais avant de pouvoir utiliser les comparaisons que j’ai faites entre les effets négatifs de l’immigration et ceux de la colonisation, il faut que les Français qui trouveront du sens à ma démarche aient le courage d’admettre que cette dernière en a eu de nombreux, surtout dans ses motivations profondes. En réalité, ce courage ne nécessitera que très peu d’efforts, car il n’existe qu’un nombre infime de terriens d’une extrême mauvaise foi pour penser que l’esclavage et la colonisation étaient des actions humanitaires dans le but d’aider des peuplades en peine. Je suis conscient du fait que la logique que j’ai développée peut être détournée de ses objectifs par l’ultra minorité dont la haine raciale domine à jamais toute raison, même les raisons de tous leurs autres intérêts, mais j’espère qu’avant tout, je pourrai contribuer à briser le fil qui conduit à bercer certains Français d’illusions nationalistes inefficaces quand ils se plaignent de certaines réalités liées à l’immigration. Tenir un langage répressif et haineux est facile, et à la portée du premier venu, de même que le fait de condamner le racisme d’un humanisme primaire sans se donner la peine d’analyser ses origines profondes, mais, chercher des solutions qui permettent de diminuer des souffrances sans en engendrer d’autres, là, c’est un véritable challenge qui demande la mise en action de grandes intelligences.

Ma conclusion est simple en ce qui concerne le racisme que revendique la grande majorité du tiers de Français évoqué au début de cette lettre. Des personnes de deux camps s’affrontent dans une guerre froide sans issue qui est extrêmement nuisible pour tous, les unes, victimes d’une aversion qui brouille par une généralisation raciale inefficace des griefs qui ne concernaient qu’une minorité, se voient proposer par certains pour se défendre de se replier sur des positions identitaires qui nient des réalités incontournables du pays ; les autres, auteurs de l’aversion qui a déclenché un phénomène encore plus inquiétant que ce qui les gênait réellement, se replient eux aussi sur des positions de plus en plus radicales, l’éloignement des intérêts s’accentue, les tensions s’accroissent et finiront par atteindre des sommets inquiétants si rien n’est fait pour arrêter ce processus absurde. J’ai la conviction que ce n’est pas une fatalité, et que cette confrontation catastrophique peut être réduite à néant, mais à condition que le problème du racisme soit pris à bras le corps à partir de ses racines humaines et au niveau mondial, car on ne peut pas se contenter de mener des luttes qui consistent à soustraire ici de ses griffes des gens qui ailleurs seraient de ses fidèles les plus convaincus. C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui dans le monde, les attentions sont souvent concentrées sur ses actions menées uniquement par des nationaux dans les pays riches, et c’est extrêmement regrettable, dangereux et inefficace, surtout sur le long terme.

Il faudrait bien plus que ces quelques pages pour aborder en profondeur tous les aspects du racisme, mais il était important que je ne finisse pas sans souligner trois cas particuliers universels et extrêmement inquiétants. Le premier cas est celui des "escroqueries au racisme". Il y a d’abord de gens qui, par perfidie, alors qu’ils ne le sont pas eux-mêmes, s’appuient sur des racistes pour régler leur compte avec une personne d’un autre type. Feignant d’être fortement terrorisés, ils crient : "Je suis de votre race et je suis attaqué par un dangereux ennemi, aidez-moi". Cela fonctionne et ils obtiennent souvent gain de cause, mais ils sont bien plus horribles que leurs alliés de circonstance, c’est au-delà du dégoût. Puis il y a ceux qui se servent d’une position d’éventuelle victime comme d’un excellent bouclier racial pour dissimuler leurs malhonnêtetés, leurs défauts, leurs médiocrités, etc. Et là aussi, parfois ça fonctionne. A ceux de ces deux groupes d’escrocs, cette lettre ne servira à rien, car ils sont dans une pure logique de vol, et ce n’est pas ce qui est traité ici, mais il est clair que si la notion de race perdait sa valeur marchande, ils y perdraient leur gagne-pain. Il y a ensuite ceux qui ne reconnaissent plus le racisme que sous ses formes les plus criantes, et qui ne font plus le moindre effort pour l’identifier quand il agit avec légèreté et subtilité, ce qui est son mode d’expression le plus courant et de loin le plus dangereux. Il leur arrive d’accuser celui qui s’en plaint d’être paranoïaque, ce qui pour ce dernier est profondément douloureux et pire que le racisme lui-même, car il a l’impression qu’il ne lui reste même plus le droit de dire son calvaire. Si on peut porter à la décharge de certaines personnes de cette catégorie, le fait qu’il est parfois difficile de ressentir ce que l’on n’a jamais vécu, pour d’autres, il s’agit simplement de nier certains symptômes d’un mal qu’elles réprouvent mais dont elles ont peur d’être atteintes, ou encore de chercher à le camoufler parce qu’elles l’approuvent mais le trouvent honteux. Ceux qui se reconnaîtront dans ce second cas non désespéré, pourront trouver un excellent bouclier pour pouvoir enfin regarder la bête en face dans la dispersion planétaire que j’en ai faite. Pour terminer, il y a ceux qui aimeraient bien être seuls au monde et d’une seule espèce, qui ne sont réduits à une guerre tiède locale et inconfortable que parce qu’il leur est impossible de nos jours de la faire mondiale et ultra bouillante au grand jour. On pourrait penser leur cas totalement désespéré, j’ai dû même le dire plus haut, mais il reste une toute petite issue, c’est la piste de l’épuisement. Leur résistance semi-souterraine ne peut pas tenir éternellement, car, ne serait-ce que pour galvaniser les troupes, elle aurait besoin de réelles perspectives de victoire, or il n’en existe plus aucune, les temps ont irrémédiablement changé. Elle pourra encore longtemps provoquer de sérieuses nuisances chez l’ennemi, mais ce ne sera jamais qu’un petit lot de consolation et elle dépérira de ne pouvoir assouvir sa grande soif de tous les mauvais sangs. Et là, on devrait penser que cette perspective de fatigue extrême fait son effet et qu’elle lâche prise, mais ça ressemble à une défaite si peu honorable qu’elle lui préférerait peut-être un entêtement suicidaire. Il me faut placer sur son chemin quelque chose de bien plus repoussant, et ce sera encore une fois l’argument imparable de l’adversaire se renforçant de l’inhumanité des coups qu’il reçoit pour exiger aux bonnes consciences des contreparties auxquelles il n’aurait jamais eu droit, des contreparties de très mauvaise foi, parfois, mais de bonne guerre, une très mauvaise guerre en somme. Et là, je brûle non ? Face à ce constat catastrophique, je me risquerai à lui demander de déposer les boomerangs et de négocier avant qu’il ne soit tard (et ça urge) les véritables intérêts de la différence qu’elle défend à travers d’autres formes d’expression qui lui offriraient une paix avec elle-même et avec les merveilleuses diversités d’une humanité qui ne la remercierait alors jamais assez d’avoir à la fois sauvé une de ses belles nuances de l’uniformisation et de lui avoir en même temps apporté une contribution précieuse pour l’aider à se guérir d’un mal qui la ronge depuis toujours. Ne serais-je pas en train de sombrer dans une illusion, comme celle que j’ai dénoncée plus haut ? Vous me le direz.

Comme je l’ai précisé au début de cette lettre, cette analyse sur le racisme n’est qu’une toute petite partie d’un ensemble de réflexions plus vaste sur l’humain, les origines de son univers, le rôle qu’il a à jouer dans le but de cet univers sur le très long terme et en cela, elle n’a qu’une valeur ponctuelle dans le temps, car en tenant compte du futur lointain, je suis allé bien plus loin en m’appuyant sur une logique bien différente. Mais comme il nous faut vivre tous les instants qui nous séparent de ce futur-là, il vaut mieux les vivre au mieux.

Pour terminer, j’aimerais que la diffusion de cette lettre porte ses fruits, des fruits qui ne seraient pas le triomphe d’une opinion qui resterait sans effet concret, mais l’amélioration de mon existence parfois extrêmement douloureuse de noir, et de celle de milliards d’autres terriens qui souffrent du racisme sous ses différentes formes, soit parce qu’ils en sont victimes, soit parce qu’ils le portent et, ceci ne pourra se faire sans la contribution de nombreuses forces positives que j’espère pouvoir toucher par cette lettre dans tous les pays. Je l’ai adressée aux "racistes" français, mais en réalité, elle est destinée à tous, des non "racistes" et des non français. Ceux qui y trouveront de l’intérêt pourront l’utiliser comme bon leur semble : la diffuser en partie ou en totalité, dans d’autres langues éventuellement ; s’y appuyer pour mener de nouveaux débats ou de nouvelles actions ; me proposer des idées qui puissent me permettre de concrétiser cette démarche ultra ambitieuse ou simplement de mieux l’orienter ; etc.

Très cordialement

Vous pouvez diffuser cette lettre, ou les idées qu’elle contient sans les trahir.


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