Lettre ouverte à mes collègues profs

par Jordi Grau
vendredi 22 février 2019

 

Chères collègues, chers collègues,

 

Comme beaucoup d'entre vous, je suis en colère. J'aimerais, par cette lettre, vous expliquer pourquoi. J'aimerais aussi vous convaincre qu'il est possible de transformer cette colère en une action constructive. Bien entendu, ce texte est destiné à un plus large public. En m'adressant à vous, j'entends aussi toucher les autres personnels de l'éducation nationale, mais encore les élèves, leurs parents, les professeurs d'université et tous les gens qui s'inquiètent pour l'avenir de notre école.

Mais d'abord, un petit rappel sur les raisons de notre colère. Elles peuvent se résumer en un mot : mépris. Je crois que nous ne sommes plus nombreux à en douter : nos gouvernants nous méprisent, nous et notre métier, et cela a des conséquences très concrètes sur notre vie. Certes, nous n'avons pas tous exactement les mêmes problèmes. Nos statuts et nos situations ne sont pas identiques. L'âge et le niveau de nos élèves sont très variables : certains d'entre nous enseignent dans les écoles primaires ou maternelles, d'autres dans des collèges, d'autres dans des lycées. Certains d'entre nous sont titulaires d'un poste, d'autres sont contractuels, certains sont fonctionnaires, d'autres non. Nous n'avons pas tous le même âge ni les mêmes rémunérations. Certains d'entre nous enseignent dans des établissements relativement tranquilles, avec des élèves disciplinés et d'un niveau correct. D'autres travaillent dans des conditions beaucoup plus difficiles. Pourtant, malgré toutes ces différences, nous avons un point commun : nos gouvernants n'ont plus aucun respect pour nous. Ce qui le montre, entre autres, c'est que nous sommes mal payés. Nos salaires sont bloqués depuis des années. Un professeur en début de carrière gagne à peine plus que le SMIC alors que les conditions d’entrée dans le métier sont devenues plus difficiles, depuis qu'il est nécessaire d'avoir un master pour être professeur titulaire.

Faut-il s’étonner, dans ces conditions, que le métier de professeur devienne moins attractif ? De plus en plus, l’école publique doit faire appel à des professeurs contractuels, qui n’ont pas le diplôme leur permettant de devenir fonctionnaires. Comme dans d’autres services publics, l’État recourt ainsi à une main d’œuvre précaire, flexible, mal payée, ce qui lui permet en outre de diviser le corps enseignant pour mieux le dominer.

Et cette pratique n'est pas près de s'arrêter. Car le remplacement progressif de professeurs titulaires par des contractuels ne vient pas seulement d'une crise du recrutement : elle fait partie de la sacro-sainte doctrine néolibérale, que le bon élève Macron applique consciencieusement dans l'espoir d'être félicité par le MEDEF et les institutions européennes. D'après cette idéologie, les fonctionnaires sont nécessairement des bons à rien, des boulets qui coûtent cher à la collectivité – sauf, bien entendu, si ce sont de hauts fonctionnaires chargés de détruire le reste de la fonction publique. Les fonctionnaires ordinaires, il faut les remplacer par de la main d’œuvre moins chère, plus précaire, donc plus docile (en principe sinon en fait) à l'égard de la hiérarchie. Le paradoxe, c'est que ce libéralisme économique conduit à un autoritarisme forcené. Au lieu de faire confiance dans notre compétence et notre amour du métier, nos gouvernants veulent instaurer un climat de peur. En témoigne, notamment, ce projet de loi qui prévoit une limitation de notre droit d'expression, et contre lequel il existe au moins une pétition

Le mépris de nos gouvernants se traduit également par nos conditions de travail. Je pense tout particulièrement au fait que les classes sont souvent surchargées, pour des raisons purement comptables. Cela vaut même pour les disciplines qui nécessitent le plus une participation orale des élèves, comme l’enseignement des langues vivantes. Et cette situation va empirer. Dans mon lycée de Sarreguemines (Moselle), le rectorat a annoncé une baisse de moyens significatifs (une soixantaine d'heures d'enseignement en moins), ce qui va conduire à la fermeture de trois classes et demi si nous ne réagissons pas. Et mon établissement est très loin d'être un cas isolé. Si le vôtre est encore relativement épargné pour la prochaine année scolaire, dites-vous bien que ce n'est que partie remise.

Cet exemple des classes surchargées illustre un autre scandale. Ce ne sont pas seulement les professeurs qui sont méprisés : ce sont aussi les enfants et les jeunes gens que nous sommes censés instruire. Car si les conditions de travail sont mauvaises pour nous, comment pourraient-elles être acceptables pour nos élèves ? Or, mépriser les élèves, c’est attaquer tout à la fois des êtres humains et la démocratie. Car l’un des buts principaux de l’école, rappelons-le, c’est bien de former des citoyennes et des citoyens. Le savoir que nous apportons aux élèves ne sera pas toujours très utile pour leur vie professionnelle. Comme le disait un grand homme d'État, on n’a pas besoin d’avoir lu La princesse de Clèves pour passer le concours d'attaché d'administration. Mais, si nous remplissons correctement notre mission, nous aiderons nos élèves à acquérir ou à développer une culture générale, un esprit critique et une capacité de raisonner qui leur permettront de s’informer et de débattre sur les grands sujets de société. Même ceux d’entre nous qui enseignent les matières les plus techniques ont un rôle politique à jouer, ne serait-ce que parce qu’ils doivent apprendre aux élèves à se respecter mutuellement, ce qui est la condition de toute démocratie digne de ce nom.

Tout cela est très joli en théorie, mais très difficile à appliquer en pratique. L’école, telle qu’elle existe aujourd’hui, forme assez mal les élèves à la citoyenneté. Les raisons en sont multiples. Je suis persuadé, pour ma part, qu'il faudrait une véritable réforme de l'école, une transformation en profondeur et qui ferait l'objet d'un long débat public. Il n'est pas normal que tant d'élèves s'ennuient à l'école. Il n'est pas normal qu'ils gaspillent leur belle énergie juvénile à bachoter ou à plagier des articles trouvés sur Internet au lieu d'accroître leur culture générale et de développer une réflexion personnelle. Je crois que notre manière d'instruire et d'évaluer nos élèves a une part de responsabilité dans ce gâchis. Mais je ne m'étends pas sur ce sujet, car les conditions de la réforme et du débat public que j'appelle de mes vœux ne sont pas encore réunies. En effet, pour que l’école soit réformée dans le bon sens du terme, il faut au minimum qu’elle dispose de moyens suffisants. Et ces moyens, contrairement à ce que pense notre gouvernement, ce ne sont pas d’abord des moyens techniques. Ce n’est pas en demandant aux familles d’acheter des tablettes – censées remplacer les manuels scolaires traditionnels – qu’on fera mieux travailler les élèves. (Pour plus de détails sur ce sujet, cliquez ici ou .) Il faut des moyens humains, pour permettre aux professeurs d’enseigner à des groupes d'élèves réduits, mais aussi pour que les collègues absents soient rapidement remplacés. Il faut des moyens humains pour accueillir convenablement les élèves handicapés. Il faut des moyens humains pour remettre à niveau les élèves en difficulté.

J’insiste sur ce dernier point, car notre école est extrêmement inégalitaire. Plusieurs d’entre vous, je le sais, ont le sentiment que notre école n’est pas assez élitiste, puisqu’elle abaisse ses exigences pour permettre à une très large majorité d’élèves – même d’un niveau faible – d’avoir leur brevet des collèges et leur baccalauréat. Ce constat n’est pas entièrement faux. Effectivement, notre école est égalitaire en apparence, et il est vrai que les correcteurs sont souvent sommés d'abaisser leurs exigences pour permettre à une large majorité d'élèves d'avoir un diplôme. Cependant, il faut tout de même se rappeler que tout le monde n’a pas le baccalauréat. Et le niveau réel des bacheliers est extrêmement variable. De manière générale, le niveau moyen des élèves français n’est pas très bon pour un pays riche, et les inégalités ont augmenté. Ces inégalités scolaires sont, en grande partie, liées à des inégalités sociales. Quand on naît dans une famille aisée, cultivée, on a dès le départ beaucoup plus de chances de réussir sa scolarité et ses études que lorsqu’on a des parents pauvres et ayant un vocabulaire plus limité. Comme l’a montré le sociologue Camille Peugny (Le destin au berceau – Inégalités et reproduction sociale, éditions du Seuil), le constat que faisaient Bourdieu et Passeron dans les années 60 est toujours valable dans les années 2010. Les inégalités se sont même renforcées.

Si nous voulons que l’ensemble de nos élèves progresse, nous devons sortir du modèle pseudo-inégalitaire actuel. Mais nous devons - à plus forte raison - refuser le modèle ouvertement inégalitaire que le gouvernement actuel veut imposer. Je pense notamment au fait que l’entrée à l’université fasse désormais l’objet d’une sélection. Certains ou certaines d’entre nous pensent que ce n’est pas une mauvaise chose. De toute manière, disent-ils, certaines facultés sont déjà engorgées, et mieux vaut refuser des étudiants à cause de leur niveau insuffisant que de les sélectionner au hasard, comme cela s’est fait par le passé. Seulement, pourquoi certaines facultés sont-elles contraintes de refuser des étudiants ? Cela vient de ce que, depuis des années, l'État recrute trop peu d'enseignants dans les universités. Délibérément, les gouvernements successifs ont laissé pourrir la situation. Ensuite, comment se fait-il que certains bacheliers aient un niveau faible ? Ne serait-ce pas lié au fait que l’école – depuis la maternelle jusqu’à la classe terminale – n’a pas les moyens d'aider les élèves en difficulté à surmonter leurs handicaps scolaires et sociaux ? Bien évidemment, nos gouvernants ne veulent pas entendre ce discours-là. Notre président, qui prétendait naguère faire sortir la France de l'« ancien monde », n’a fait qu’accentuer les dérives oligarchiques du système économique et politique actuel.

L'actuelle « réforme » du baccalauréat s’explique en partie par là. Il s’agit, certes, de faire des économies à tout prix, au détriment de la qualité du service public d’enseignement : la « réforme », si elle est mise en œuvre, permettra plus facilement de bricoler des groupes de 35 élèves, en supprimant les spécialités dans tous les lycées où elles n'auront été choisies que par une vingtaine d’élèves. Mais le but n’est pas seulement économique. Comme une grande partie de la note finale sera issue du contrôle continu et d’épreuves internes aux établissements, la valeur du bac ne sera plus la même partout. Les lycées les plus bourgeois fabriqueront des diplômes d’excellence, tandis que les lycées des villes ou des quartiers défavorisés remettront un diplôme au rabais. Ainsi, les universités seront encore moins accessibles qu’aujourd’hui aux bacheliers des classes populaires – alors même qu’ils sont d'ores et déjà désavantagés, notamment parce qu'ils doivent travailler pour financer leurs études.

Voilà donc le monde de monsieur Macron et de sa République en marche vers l'abîme. Un monde toujours plus inégalitaire, où l’école sera – encore davantage qu’aujourd’hui – un moyen de reproduire les hiérarchies sociales, et non une institution chargée de former des citoyens libres et égaux. Un monde où les gens de la bonne société n'auront plus à fréquenter les gueux, ni à débourser un « pognon de dingue » pour assister les miséreux. Bienvenue dans le « nouveau monde ». Bienvenue au 19ème siècle.

Battons-nous contre cette régression, et pour une véritable réforme de la société et de notre système éducatif. Une autre école est possible : une école qui aplanirait les écarts entre les élèves sans pour autant renoncer à ses exigences. En réalité, le niveau moyen augmenterait s’il y avait moins d’inégalités. Comme l'ont expliqué les sociologues Christian Baudelot et Roger Establet (L’élitisme républicain, éditions du Seuil), les pays où les inégalités scolaires sont les plus faibles (Finlande, Corée du sud), sont aussi ceux où le niveau d'ensemble est le meilleur. Inversement, l’accroissement des inégalités scolaires est ruineux à plus d’un titre. D’abord, il entraîne une baisse du niveau scolaire d’ensemble, ce qui est catastrophique d'un point de vue économique mais aussi sur un plan politique, tant il est vrai que les citoyens ont besoin d’être bien formés pour exercer pleinement leur citoyenneté.

Ensuite, l'accroissement des inégalités scolaires aggrave la fracture sociale. Le problème n’est pas tant que les classes populaires et les classes moyennes inférieures se méfient de plus en plus des institutions républicaines et de leurs dirigeants : après tout, cette méfiance est en soi une bonne chose, et elle peut conduire à un vrai sursaut démocratique pour peu que les citoyennes et les citoyens ne se laissent pas berner par des démagogues prétendument « antisystèmes ». Le plus problématique, c’est que les classes supérieures se sentent de moins en moins solidaires du reste de la population. Tels des Robins des bois inversés, les oligarques qui nous gouvernent prennent des milliards aux classes populaires et à la petite bourgeoisie pour s’enrichir toujours plus. Parfois, c’est de manière légale – grâce, par exemple, à toutes les lois permettant des exemptions de cotisations sociales ou la création de niches fiscales. Parfois, c’est de manière illégale ou semi-légale. Je pense ici, tout particulièrement, à ces « paradis fiscaux », ces repaires de fraudeurs et de maffieux qui contribuent à faire de la Terre un enfer pour des milliards de gens. En comparaison de ces crimes et de ces délits organisés au plus haut niveau, les fraudes aux prestations sociales font pâle figure. Pour avoir une idée des chiffres, je recommande cet article de l'association ATD Quart Monde. On y trouve notamment cette belle citation du Conseil d'État : « La fraude des pauvres est une pauvre fraude ». Je recommande également cet article du Figaro qui nous apprend que des Français détiendraient environ 300 milliards d'euros dans les paradis fiscaux, soit 15 % du PIB.

Si j'écris tout cela, c'est dans l'espoir de susciter une indignation massive face à un système politique et social de plus en plus injuste. C'est aussi pour que cette indignation se transforme en action. Nous sommes encore trop nombreux, je crois, à avoir quelque scrupule à défier l’autorité. Cela tient peut-être à ce que nous étions, pour beaucoup d’entre nous, de bons élèves quand nous étions à l’école. Cela aurait pu nous prédisposer à la révolte : nous avons un peu plus de culture générale que la moyenne de nos concitoyens, ce qui nous donne les moyens de nous informer et de critiquer intelligemment les politiques de nos dirigeants. Le revers de la médaille, c’est que nous avons appris à aimer le système scolaire, et l’ordre établi en général. Il est toujours difficile de contester une organisation sociale dont on est soi-même bénéficiaire.

Mais il est temps de relever la tête, car nous bénéficions de moins en moins de ce système injuste. Notre pouvoir d’achat stagne ou diminue, nos conditions de travail se détériorent, et cela n’est pas près de s’arrêter. Non seulement, nos classes vont devenir plus chargées, mais l’accroissement des inégalités sociales et scolaires va pousser une partie de nos élèves à se révolter toujours plus face à un système où elle ne trouve pas sa place. Avez-vous remarqué ? Ce sont rarement les premiers de la classe qui contestent l’autorité et posent des problèmes de discipline. En général, ceux qui posent problème sont les mauvais élèves, ceux qui « ne travaillent pas suffisamment », ceux qui sèchent les cours, ceux qui bavardent sans arrêt parce qu’ils accumulent des lacunes depuis des années et ont perdu l’appétit de savoir qu’ils avaient jadis, quand ils étaient petits. Souvent, nous essayons de les culpabiliser, comme si la source de leurs difficultés se trouvait dans leur mauvaise volonté. En réalité, ces garnements sont enfermés dans un cercle vicieux : les lacunes entraînent des mauvaises notes, qui entraînent le découragement, un manque de travail, donc un accroissement des lacunes. Si nous voulons les aider à sortir de ce cercle vicieux – et avoir du même coup de meilleures conditions de travail – nous devons sortir de notre passivité et nous révolter massivement contre les politiques de nos gouvernants.

Et ne nous laissons pas fléchir par des rhétoriques spécieuses. On nous dit qu’il n’y a pas d’argent, que nous devons penser à nos enfants, et à la dette publique qui ne fait que s’accumuler sur leurs frêles épaules. Tout cela, c’est de la propagande à deux balles. D'une part, la dette publique n'est pas nécessairement une catastrophe, si elle sert à financer des investissements utiles pour toute la société. D'autre part, il faudrait se demander si les politiques néolibérales (dérégulation financière, concurrence fiscale entre les États, cadeaux fiscaux aux plus riches et aux grosses entreprises...) ne sont pas principales causes du gonflement de la dette. À ceux qui voudraient approfondir la question, je recommande le Traité d’économie hérétique de Thomas Porcher (éditions Fayard), ou la lecture de cet entretien.

Un autre argument, consiste à dire : « Il ne faut pas faire d’actions trop fortes (rétention de notes, grèves reconductibles, occupation d’établissement, démission de professeurs principaux….) parce que ce serait prendre les élèves en otage. » Ainsi donc, nous aurions à nous sacrifier dans l’intérêt des élèves ? Cet argument est spécieux, car ce sont d’abord les élèves qui subissent ces politiques de « rigueur budgétaire » que nos gouvernements nous imposent depuis tant d’années. Il y a là une véritable casse du service public, dans l’école comme dans les hôpitaux, la poste ou les chemins de fer. Filons la métaphore de la casse. Supposez que de petits voyous s’amusent à frapper à la porte d’une salle où vous êtes en train de faire cours. Au début, vous ne réagissez pas, pensant que les voyous vont finir par partir. Seulement ils ne partent pas. En fait, votre passivité les enhardit. Ils ne se contentent plus de frapper doucement. Ils donnent de grands coups de pied dans la porte. L’un d’eux va même jusqu’à casser une vitre. Bientôt, si vous ne sortez pas pour les arrêter, ils vont certainement entrer dans la salle de cours et tout vandaliser. Qu'allez-vous faire ? Sortir pour chasser les voyous ? Aller demander de l'aide à vos collègues si les voyous sont trop nombreux ou trop agressifs ? Mais non, bien sûr ! Ce serait abandonner vos élèves, ce ne serait pas se conduire de manière « responsable » ! Ainsi, par une conscience professionnelle mal placée, nous laissons nos dirigeants saccager l'école publique. Il est temps que cela cesse. Tenons enfin tête aux voyous qui nous gouvernent. Nous devons, sans doute, les respecter en tant qu’êtres humains, et nous efforcer de les comprendre plutôt que de les haïr. Mais nous n’avons pas à respecter ce qu’ils font – ou ce qu’ils ne font pas.

Car ce ne sont pas seulement leurs actes, qui sont catastrophiques : c'est aussi leur passivité criminelle. Que font-ils, nos gouvernants, pour lutter contre le réchauffement climatique ? Beaucoup trop peu. Quatre associations, soutenues par une pétition signée par deux millions de personnes, ont porté plainte contre l’État français à ce sujet. Que font nos gouvernants pour mettre fin aux paradis fiscaux ? Rien, ou presque. Depuis la crise financière de 2007-2008, cette immense catastrophe économique et humaine, qu’ont fait nos gouvernants pour réguler la finance internationale et l’activité des grandes banques ? Rien, ou presque rien, si bien qu’une nouvelle crise financière nous pend au nez, qui pourrait être encore plus grave que la précédente. Par amour de l'humanité, arrêtons de laisser nos dirigeants faire n'importe quoi !

Mais j'entends déjà, certains ou certaines d'entre vous : « De toute façon, à quoi bon agir ? Cela ne sert à rien... Les Gilets jaunes, pour l'instant, n'ont presque rien obtenu... Les mouvements sociaux de 2003, 2010, 2016, 2017 n'ont servi à rien... Les gouvernements ne veulent plus rien entendre. Ils sont devenus inflexibles... ». Combien de fois avons-nous entendu cette complainte dans les salles des professeurs ? Cette prophétie autoréalisatrice est devenue le meilleur atout de nos gouvernants. Nous sommes de plus en plus critiques à l'égard de leur propagande. Mais nous croyons dur comme fer que nous serons toujours les plus faibles et qu'il n'y a plus rien d'autre à faire qu'à se laisser tondre gentiment. Contre cette sinistrose, contre cette auto-intoxication, il faut se dire trois choses.

Primo, il est vrai que nous ne pouvons jamais être sûr qu'un mouvement social va marcher. En revanche, nous pouvons être sûrs que la casse des services publics et le creusement des inégalités continueront si nous ne faisons rien... Pourquoi nos dirigeants voyous s'arrêteraient-ils en si bon chemin ?

Secundo  : l'histoire a montré que des mouvements populaires puissants peuvent apporter un réel progrès social ou stopper une régression. Pensez aux exemples de 1995 ou de 1936. De manière générale, croyez-vous que les classes dirigeantes auraient spontanément accordé une augmentation des salaires, une diminution du temps de travail, un code du travail et une protection sociale si elles n'avaient pas craint une révolution ou une révolte massive des classes populaires ?

Tertio, nous pouvons faire changer les choses si nous sommes assez nombreux. Nous devons convaincre un maximum de nos collègues, autour de nous, de se joindre à nous. Si nous avons la chance d'être fonctionnaires, soyons davantage solidaires de nos collègues ayant un statut précaire. Bien entendu, soutenons les élèves et les étudiants en colère. Nous n'avons pas à leur dire de faire grève ni de bloquer des établissements, mais nous pouvons au moins nous associer à leur combat. Rapprochons-nous également des personnels non enseignants qui travaillent dans nos établissements : surveillants, CPE...

Mais, de manière générale, associons notre combat à celui des autres salariés. Manifestons massivement aux côtés des Gilets jaunes, par exemple. Ce sont des gens courageux, et dont les revendications sont en grande partie justifiées. Comme eux et avec eux, exigeons une démocratisation des institutions et un système économique plus équitable. Bien entendu, les Gilets jaunes ne sont pas parfaits. Une minorité d'entre eux est séduite par les sirènes de l'extrême droite. Mais qui sommes-nous pour les juger ? Pouvons-nous condamner en bloc un mouvement à cause de quelques dérives isolées ? Après tout, il y a aussi des gens d'extrême droite dans le corps enseignant, et certains ne s'en cachent pas.

Au risque de me répéter, chères et chers collègues, nous ne devons pas rester les bras croisés. Déjà un certain nombre d'entre nous s'organisent. Le mouvement des stylos rouges a créé des groupes Facebook, au niveau national mais aussi dans différentes académies. Soyons des centaines de milliers à nous inscrire dans ces groupes, de manière à nous informer, à nous échanger des idées et à planifier des actions communes.

Si nous sommes déjà syndiqués, poussons nos syndicats à nous soutenir activement. Dans le cas contraire, syndiquons-nous, et de préférence dans des syndicats combatifs. Si les syndicats sont aujourd'hui peu puissants, c'est sans doute en raison de leurs divisions et de leurs erreurs stratégiques, mais c'est aussi parce qu'ils ont beaucoup trop peu d'adhérents.

Prenons exemple sur tous ces établissements où des professeurs se rebellent par différentes actions (rétention de notes, démission de professeurs principaux, occupations de locaux....). À Lille , dans la région de Toulouse ou en région parisienne, des luttes d'un style nouveau ont lieu. Mais cela bouge aussi ailleurs, comme en témoigne ce texte, écrit par un collègue de Metz, et que je vous laisse méditer en guise de conclusion :

"Bonjour cher(e)s collègues,

Je vous informe que nous avons pris la décision lors d’une réunion d’appliquer une rétention des notes et des appréciations sur Parcoursup afin de protester contre la réforme du lycée et du Bac, synonyme de dégradations incommensurables des conditions de travail pour les élèves et les professeurs, de suppressions de postes, de remise en cause des valeurs mêmes de l’école républicaine dont nous sommes les principaux garants,… Nous nous étonnons que face à une attaque d’une telle ampleur et d’une telle férocité contre l’institution scolaire à tous les niveaux (primaire, secondaire, université) bon nombre de collègues « regardent ailleurs, pendant que la maison brûle !!! »… Nous vous appelons à une prise de conscience généralisée, à vous joindre au mouvement de contestations, à mobiliser au maximum autour de vous pour faire barrage et à proposer une alternative à ce qu’on vous impose comme unique et seule solution, la concurrence de tous contre tous (entre matières, entre établissements, entre professeurs, entre élèves, …). Celle-ci n’aura que pour effet que de nous opposer les uns aux autres, de réduire, d’année en année, les maigres moyens laissés à notre disposition comme palliatifs à une situation qui ne fera que se dégrader… Dans le contexte actuel de crise sociale (depuis maintenant plus de 2 mois avec celle des gilets jaunes), le gouvernement affaibli comme jamais, compte sur l’aide « des médias » pour verrouiller toute communication, tout comme le ministre Blanquer, concernant les multiples conflits sociaux qui opposent localement les collègues à leur administration, seul moyen pour lui de faire avancer à grand pas sa réforme (qui est loin de faire l’unanimité). Le calcul est donc simple, diviser pour mieux régner, diluer la contestation localement, réduire au maximum la visibilité d’un mouvement social qui monte en puissance à l’échelle nationale (cf. « les stylos rouges », #pasdevague, mouvement lycéen,... voir carte des lycées concernés en pièces jointes). Nous vous enjoignons dès lors à prendre toutes vos responsabilités et à faire bloc contre une logique qui met à mal l’avenir de nos élèves, de notre profession, de notre école, et qui affaiblira considérablement le pacte républicain. Refusons de participer à toutes les réunions consultatives, refusons de faire remonter les notes, refusons de remplir les appréciations sur Parcoursup, refusons cette école de la concurrence libre et non faussée où la grande masse des plus faibles sera écrasée, et qui prépare une société toujours plus injuste pour nos enfants.

 

Alexis CHHEN professeur de Sciences Économiques et Sociales,
père, très inquiet, de deux petits garçons,
non syndiqué, non affilié à un parti politique, (Lycée Georges de la Tour, METZ)"

 

 


Lire l'article complet, et les commentaires