Lettre ouverte à Ségolène Royal sur le référendum

par Ben Ouar y Villón
mardi 13 novembre 2007

Partisane en son temps du Oui au référendum sur le T.C.E, Ségolène Royal aurait été formidablement bien placée pour appeler au respect démocratique. Las...

J’ai voté pour votre candidature à deux reprises lors de la dernière élection, adhéré à Désirs d’avenir, sur la base de multiples accords de fond avec les valeurs et les propositions du Pacte présidentiel. Membre d’un autre parti que le vôtre, je suis toujours très bien accueilli auprès des militants de Désirs d’avenir et je vous en remercie. Je tiens à vous le dire sans pudeur, je vous ai trouvée magnifique devant le candidat adverse, à revendiquer des colères saines.

J’en ai une aujourd’hui. J’ai été très déçu récemment par la teneur de vos propos sur la question du traité européen. Parmi les 17 millions de voix que vous avez recueillies, il y fort à parier qu’un grand nombre de celles-là soient sceptiques. Tout démocrate reconnaît la valeur légitime du résultat d’un référendum qui fut l’occasion, en 2005, d’une participation exceptionnelle des citoyens et des citoyennes dans l’histoire de notre pays.

Contre toute attente, votre sensibilité républicaine, ni celle de certains de vos camarades, ne semblent pas heurtées outre mesure par la décision prise de ne pas reconvoquer le peuple français devant les urnes pour la ratification du traité dit "simplifié". Qu’y a-t-il à redouter de la voix des citoyens ? Je pense pour ma part qu’un acte démocratique aussi important que le Non de la France au T.C.E méritait mieux que le placard où il est jeté.

Vous dites pour la défense de ce procédé de ratification : "Le monde va vite, la France est en retard..." S’il s’agit de la vitesse et de la brutalité avec laquelle les droites européennes mettent au pas les millions de personnes qui travaillent pour littéralement enrichir ceux qui sont déjà nantis et créer quelques nouveaux riches délocalisables, alors vous avez raison, le monde bouge. S’il s’agit de constater la mise au ban de la France et des Pays-Bas du concert des nations par une culpabilisation permanente, orchestrée au travers des médias par des caciques déçus et des élites mauvaises joueuses, alors oui, en effet, la France a pris du "retard".

J’aurais plutôt pensé, positivement, qu’elle s’était illustrée comme le fer de lance européen d’une prise de conscience fondamentale, une conscience critique au néolibéralisme financier dont l’Europe entière crève, une conscience dont on sent bien les prémices en Amérique Latine.

Ces deux pays n’ont pas voté "Non" par incompréhension, au contraire. Ils ont exprimé l’inévitable mécontentement acquis depuis 1992 au contact de cette Europe-là qui, je le croyais, n’était pas la vôtre non plus (mais nous aurait-on menti ? rassurez-nous).

Ces deux pays instruits et conscients n’ont rien défait. Ils ont simplement utilisé légitimement un droit que la Convention leur donnait (le droit de dire Non, en l’occurence). Après tout, si le Non d’aucun pays ne plaisait pas à la Convention, elle n’avait qu’à prévoir dans son droit une ratification automatique. Or, vous le savez, de nombreux articles de ce traité de Lisbonne reprennent nombre de ceux qui irritaient nos concitoyens : le déficit démocratique inhérent aux institutions, la jurisprudence constante de la Cour de Luxembourg, l’absence de révision des statuts de la BCE, par exemple.

Mais le peuple d’en bas, dont je suis, regarde tout ça avec révolte ou écoeurement. Voler le référendum du 29 mai 2005 aux Français décourage la vivacité démocratique des gens de notre pays, après qu’on vole le fruit de leur travail. Il ne faudra pas s’étonner à l’avenir de voir la démocratie moins "participative" qu’elle devrait l’être.

Quant à l’Europe sociale que vous appelez de vos voeux, d’autres avant vous la clamaient déjà, montées sur des bidons dans la cour des usines du Nord. En septembre 1992, à Béthune, Martine Aubry ne disait-elle pas : « Comment peut-on dire que l’Europe sera moins sociale demain qu’aujourd’hui, alors que ce sera plus d’emplois, plus de protection sociale et moins d’exclusion ? » Alors, cette Europe sociale que tout le monde à l’air de souhaiter, serait-ce un nouveau mythe, un nouveau rêve à donner en pâture à ceux qui croient encore que les bonnes intentions suffisent ? Ce traité de Lisbonne incarne-t-il cet espoir ?

Ce qui est dommage, c’est que vous auriez été formidablement bien placée, Madame, ayant appelé à voter Oui, à appeler au respect démocratique. Las...

Je crains malheureusement que l’espoir formidable que vous-même avez éveillé en nous, Mme Royal, ne s’éteigne à force de déclarations où la démocratie n’est pas reconnue à sa juste valeur. La gauche qui n’a pas su se féderer, hélas, autour du Non, a tout à y perdre.

Tout ce gâchis revient-il à dire que la droite, même perdante un jour, se retrouve toujours gagnante un autre jour ?


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