Lettres sarkoziennes, an I : Juin.

par Voltaire
jeudi 26 juillet 2007

Où le lecteur se réjouira des triomphes du nouveau prince, de la sagesse de son modèle politique, et des mœurs qui en découlent...

Juin.

En ce pays, le mois de juin est traditionnellement une période agitée. À l’approche de l’été, on s’anime, on se précipite, avant que la torpeur estivale ne paralyse la pensée de ses habitants.

En ce début de juin, toute l’attention était de nouveau portée sur des élections. Après celle du prince, que l’on nomme ici « président » venaient celles du Parlement. Enfin, pour être tout à fait exact, ces élections ne concernaient seulement qu’une partie du Parlement, appelée « Assemblée nationale ». Il existe en effet ici une seconde assemblée, que l’on nomme le « Sénat », qui n’a guère à voir avec l’antique sénat de la république romaine, et sur lequel j’aurais sans doute l’occasion de revenir.

Comme dans bien des pays, ce parlement a pour mission de voter les lois. Mais, peut-être par regret envers la monarchie, on a soigneusement évité de lui laisser le soin d’élaborer ces mêmes lois. Ainsi, contrairement à ce qui se passe dans la plupart des pays de ce continent, ce parlement n’a qu’un rôle symbolique : s’il est majoritairement du parti du prince (et tout est fait pour que cela soit le cas), il sert à enregistrer passivement les lois que le gouvernement veut bien lui soumettre. Et s’il lui est majoritairement opposé, il sert à enregistrer passivement les lois qu’un gouvernement alors dirigé par cette opposition lui transmet... On comprend alors que les membres de ce parlement ne sont guère assidus pour participer à ces « travaux » législatifs, mais là n’est point leur occupation principale. Les parlementaires ont en effet ici pour premier objectif de répondre aux doléances personnelles du peuple qui les élit, afin d’assurer leur réélection. Chaque parlementaire a donc pour dessein de se trouver des alliés et amis puissants parmi les exécutifs locaux et nationaux, auprès desquels il ira quémander faveurs et honneurs pour les habitants de sa « circonscription ». Et comme on est jamais mieux servi que par soi-même, chaque membre de ce parlement tâchera d’accumuler le plus de fonctions exécutives en sus de son mandat de parlementaire, afin de faciliter cette tâche.

Si ces élections sont donc d’une importance relative pour le peuple, en tout cas pour ceux qui n’ont rien de particulier à demander aux futurs élus, elles n’en sont en revanche pas moins capitales pour le nouveau président, qui désire s’assurer d’un parlement docile, et pour les membres de ces partis politiques, dont les moyens financiers et les futures fonctions et honneurs en dépendent.

Il est bon de savoir que ces parlementaires que l’on nomme « députés » sont élus par un scrutin à deux tours. Chacun peut se présenter au premier tour, pourvu qu’il satisfasse à quelques obligations légales, mais seuls ceux qui obtiennent un nombre élevé de voix au premier tour ont le droit de se présenter au second, si personne n’a recueilli la majorité des voix au premier. Ce système fort judicieux permet aux deux partis politiques principaux qui s’affrontent en ce pays de s’assurer que nul autre candidat indépendant ne puisse venir troubler un jeu qui ne se joue qu’à deux, et ainsi conserver soigneusement pour eux un pouvoir fort savoureux.

Les médias, dont je vous ai déjà conté l’influence, ayant annoncé que le parti du prince serait le grand vainqueur de ces élections, la foule ne se déplaça pas en masse pour ce premier tour de scrutin. Guère plus d’un électeur sur deux consentit à faire le déplacement jusqu’à l’urne, et ceux qui se savaient battus restèrent tranquillement chez eux, afin de ne point incommoder les vainqueurs annoncés. Tout s’annonçait donc pour le mieux pour le nouveau président, au parti duquel l’on prédisait un grand triomphe à l’issue de ce premier tour. Mais, par une ironie dont l’histoire a le secret, cette victoire annoncée fut réduite à un bien modeste succès. La faute en revient à l’un des ministres du prince, personnage fantasque que le Tout-Paris adore. Lors d’un débat organisé au soir du premier tour de scrutin, alors que chacun s’extasiait sur les prouesses du parti du prince, ledit ministre, ayant peut-être fêté plus que de raison la victoire, ne vit pas venir la foudre dans une question que lui posait l’un de ses opposants. Ainsi avoua-t-il innocemment que son gouvernement envisageait bien une lourde augmentation des taxes pour le peuple, tandis que celles pour les riches devaient diminuer. Il n’en fallut pas plus pour que ce peuple brutalement dessaoulé ne se rende compte de l’entière signification d’une trop grande victoire de son nouveau prince. Le second tour de cette élection vit ainsi la participation des électeurs faire un bond, et porter au Parlement une assemblée sinon plus sage, du moins plus équilibrée.

 

Ce mois de juin fut aussi l’occasion pour le nouveau prince d’étrenner ses nouvelles fonctions de chef de la politique extérieure de son pays. Sachez que, s’il existe une fonction que le chef de l’État ici se garde jalousement, c’est bien, avec la direction de l’armée, celle de la diplomatie (quoique le nouveau prince n’ait point fait mystère de s’approprier aussi l’ensemble des autres fonctions du gouvernement). Sa première sortie fut à l’occasion d’un sommet des plus grandes puissances de ce monde, réunions sur lesquelles il y aurait beaucoup à raconter par ailleurs. Je ne vous narrerai ici qu’une cocasse anecdote concernant notre nouveau prince. Celui-ci, ayant rendez-vous avec la presse qu’il affectionne tant, se présenta devant elle en titubant, tout essoufflé et goguenard. On apprit peu après que le prince avait auparavant rencontré le maître de la Russie, et d’aucuns suggérèrent que le prince, peu habitué à l’alcool, avait dû sacrifier à une coutume qui veut que l’on avale cul sec un fort breuvage de là-bas. Bien entendu, les images du prince dans cet état furent soigneusement occultées par les médias d’ici (on était alors avant les élections du Parlement, et il n’était point question de porter atteinte d’une quelconque façon aux chances des candidats du prince) mais, d’autres moins délicats, situés dans un pays voisin, n’eurent point tant de sollicitude, et la rumeur, immédiatement démentie, se répandit fort effrontément.

Le nouveau prince eu de nouveau l’occasion de briller lors d’un sommet des princes européens, qui avait lieu fin juin. Ses pairs purent enfin admirer le nouveau président dans toute sa bienveillante nature : il faut au nouveau prince des victoires, et victoire il y eut. C’est ainsi que l’on apprit que, seul contre tous, il avait défait une coalition de bien tristes sires, et convaincu l’assemblée d’adopter son projet. Un nouveau traité était né, qui devait assurer bonheur et prospérité à tous les citoyens.

Je me rends compte que j’ai jusqu’ici omis de vous narrer ce qu’il était advenu de notre candidat béarnais et de l’égérie de ces opposants que l’on nomme ici « socialistes ». Il serait trop long de vous le raconter en détail, mais sachez que ce mois de juin fut pour eux à l’inverse du mois précédent. Ils avaient connu la gloire, ils connurent le désespoir. L’un aurait dû savoir que la modération n’est jamais récompensée, qu’il vaut toujours mieux crier, accuser, s’emporter, et que la raison n’a jamais eu de défenseurs bien nombreux (même si un phénomène inattendu se produisit néanmoins, que je vous conterai tantôt). Quant à l’autre, ayant le double malheur d’être femme et vaincue, elle se trouva prise dans la dérive d’un parti déchiré, dont le futur est encore à écrire.

Je ne saurai conclure cette lettre sans vous rapporter ce fait divers, qui illustre combien les traditions sont importantes en ce beau pays. Sachez que l’on se targue ici de respecter les femmes, qu’on les admire beaucoup, et que politesse et savoir-vivre entrent dans l’éducation de tout jeune homme digne de ce nom. Or, donc, il se trouve qu’à l’issue de ces élections au Parlement une députée sortante, dame d’un certain âge fort estimée en sa ville, fut néanmoins battue par le jeune responsable local du parti du prince. Cette dame avait ainsi commis l’erreur de demeurer fidèle à ses idées, attitude sans doute admirable mais tout autant irresponsable politiquement. À l’occasion d’un reportage sur ce nouvel élu que réalisait un média local, voici donc que ce dernier se fait introduire de façon enthousiaste auprès du nouveau responsable du parti majoritaire, ami fidèle du nouveau président, qui après s’être fait quelque peu rouler dans la farine par son prince, avait reçu ce lot de consolation. Félicitant ce jeune élu qu’on lui présentait pour sa victoire face à la candidate imprudente, le nouveau chef du parti du prince s’empressa de qualifier cette dame d’un adjectif fort amène, que le dictionnaire défini comme « femme débauchée, de mœurs dépravées, ou qui se prostitue ». On voit là combien l’élégance est de rigueur en ce pays qui se veut servir d’exemple à toute l’Europe.


Lire l'article complet, et les commentaires