Libéraux, fédéralistes, immigrés : selon l’extrême-droite, nous sommes « l’anti-France »

par Nicolas Kirkitadze
mardi 18 juin 2019

Le nationalisme français a ceci de particulier qu'à la différence de ses homologues italien, allemand et scandinave (qui puisent leurs sources dans un nationalisme républicain issu des Lumières et du romantisme) il est une émanation directe du catholicisme, et, plus spécifiquement, du thomisme : la branche philosophique la plus réactionnaire et la plus dogmatique de cette religion où la distinction entre temporel et spirituel est abolie (ce qui, comme le dit Hannah Arendt, constitue un marqueur du totalitarisme). Cette explication jette un éclairage nouveau sur le manichéisme inhérent à l'extrême-droite française dont le fonctionnement binaire n'admet que deux options "patriote" et "ennemi". Ceci dit, même dans sa définition de l' "ennemi", le nationalisme français se démarque de ses homologues européens par sa vision eschatologique. Prenons l'exemple de l'immigration, bête noire de toutes les extrême-droites du monde. Là où les nationalistes allemands et italiens voient l'immigration comme une menace conjoncturelle et purement politique, les nationalistes français y décèlent aussi un péril spirituel et imaginent l'arrivée de personnes étrangères non comme un phénomène socio-économique inscrit dans la logique des évènements, mais comme une conjuration contre la France afin de lui faire perdre son "âme".

Oui, son "âme", vous avez bien lu. Car, toujours contrairement aux nationalistes des autres pays, ils voient leur prétendue patrie comme une personne morale bien vivante. Or, au même titre que l'Antéchrist s'oppose au Christ, ils considèrent que la France a aussi un ennemi naturel : l'anti-France. Cette dernière étant à l'œuvre non pas depuis 1968 ou même 1789 (qui en seraient les simples émanations) mais dès la naissance même de la France, que ces nationalistes situent au 25 décembre 496, date (très hypothétique) du baptême de Clovis. L'une des figures de la pensée néo-thomiste, le professeur Harouel (qui, au passage, n'est pas historien mais juriste) fait remonter le clivage droite/gauche non pas à la Révolution comme la plupart des historiens (y compris droitards) mais… au IIIème siècle et à la naissance des Gnostiques, qui seraient des Pharisiens infiltrés chargés de dynamiter le christianisme de l'intérieur… Une vision dénuée de toute historicité qui frôle (de très près) l'antisémitisme mais qui a néanmoins fait florès dans les rangs de l'extrême-droite royaliste. Ainsi, la Réforme de Luther, l'édit de Nantes, la Révolution, la franc-maçonnerie, la Libération et Vatican II ne seraient que des réminiscences de cette Gnose qui tente de "remplacer" le christianisme. Et puisque, selon la formule consacrée, "Dieu a choisi la France", il semble tout à fait naturel à ces nationalistes que les ennemis du Christ soient aussi ennemis de la France, prétendue "fille aînée de du christianisme" (en vrai, la fille aînée, c'est l'Arménie, puis la Géorgie, puis Rome, le royaume franc ne venant qu'en 7ème place). Dès lors, l'anti-France serait à l'œuvre afin de séculariser, de "météquiser" (sic) et de remplacer la France par la République universelle. Toujours cette lubie du "remplacement", typique du nationalisme français… De fait, le fantasme du "Grand Remplacement" démographique imaginé par Renaud Camus n'est pas à considérer comme un courant de pensée indépendant mais comme un avatar du système de pensée dextrogyre où la théorie de l'éclipse tient une place prépondérante : l'Église authentique éclipsée par l'église conciliaire, le "pays réel" éclipsé par le "pays légal", les Français éclipsés par les "métèques" et la France éclipsée, bien sûr, par l'anti-France…

Ce terme d' "anti-France" est né durant l'affaire Dreyfus, dans les pamphlets hallucinés d'un Déroulède avant d'être repris en 1918 par Léon Daudet, lequel clamait que "la victoire du traitre Dreyfus" (sic) signait aussi "la victoire de l'anti-France". Un terme qui allait faire florès dans l'extrême-droite antirépublicaine de l'entre-deux-guerres, surtout chez Maurras puis Pétain lequel clama dès l'automne 1940 que son inique "révolution nationale" avait pour but de vaincre une fois pour toute cette "anti-France" représentée selon lui (s'inspirant directement de Maurras) par les "quatre états confédérés" qu'étaient, dans l'ordre, les Juifs, les franc-maçons, les protestants et les "métèques".

En 2019, l'extrême-droite française croit toujours à ces théories. Certes, le FN et DLF n'en font pas ouvertement mention et jurent par la République mais le vivier intellectuel de l'extrême-droite (à commencer par les plumitifs Soral et Marion Sigaut) promeut sans relâche ce fantasme remplaciste. La seule chose qui a changé, c'est que les Protestants (trop peu nombreux pour exciter la haine des nationalistes) ont cédé la place aux Musulmans dans la liste des "quatre états confédérés". L'historien Jean de Viguerie, ancien cadre du FN, ne dit pas autre chose dans son opuscule Les deux patries, paru en 1998, où il réactualise cette théorie du complot. Bien qu'indigeste et clairement WTF, cet ouvrage est très intéressant pour comprendre la psychologie de la droite catho. Le professeur Jean de Viguerie (car, hélas, il est prof de fac) présente en effet la France comme une personne morale et non comme une entité politique : son opposante de toujours, l'anti-France, qui est selon lui au pouvoir depuis 1789 (avec un bref interlude entre 1940 et 1944 où la "vraie France" aurait, un temps, repris les commandes). Ainsi, la "vrai France" serait celle des rois, des clochers, de Pétain et de la blancheur cutanée.

Je me souviens avoir eu "l'honneur" en 2016 d'être convié à une conférence sur le thème de l'anti-France, coanimée par l'ex-rappeur gabonais Tepa (reconverti dans le journalisme fachosphérique) et son ami l'avocat pétainiste antidreyfusard Adrien Abauzit. Une conférence lors de laquelle les deux compères avaient repris mot pour mot les vieilles théories maurasso-pétainistes de l'anti-France en les réactualisant : aujourd'hui, l'anti-France ne se limiterait plus à quatre groupes confédérés mais il faudrait y ajouter aussi la finance, les médias et l'UE… Navré, mais je ne me souviens pas du reste, la conférence étant si lénifiante que des ronflements s'étaient élevés dans la salle et que j'avais moi-même failli m'assoupir tel un vieillard. L'ambiance s'était dégrisée lorsque le jeune avocat avait comparé la France à un bateau : les personnes de toutes origines (mais blanches et chrétiennes, de préférence) y seraient les bienvenus à condition de ramer au rythme de l'équipage et de ne pas en modifier la structure, toute personne servant l'anti-France devait être "jetée par-dessus bord". Une imprécation galvanisante qui déclencha une standing ovation dans la salle, un vieux moustachu visiblement éméché entonna même la chanson Santiano de Hugues Aufray ("c'est un fameux trois-mâts fin comme un oiseau…"). Ces preux matelots du navire France ne se doutaient pas qu'un flibustier libéral était à bord.

Car, faisons le compte. Métèque, je le suis comme l'atteste mon nom. Protestante, une partie de ma famille l'est. Libéral, je le suis devenu, comme je suis devenu islamophile suite à mes lectures et aux belles rencontres offertes par la vie. C'est officiel, si Vichy était toujours au pouvoir, votre serviteur serait tondu à l'heure qu'il est (si on y ajoute mon handicap visuel, le compte est bon : le régime vichyssois ayant fait liquider des milliers de handicapés visuels, mentaux et moteurs). Alors, nous, libéraux, banlieusards, europhiles, handicapés, anticléricaux, sommes-nous vraiment l'anti-France ? Oui, et voici pourquoi.

Premièrement, parce que l'extrême-droite n'a pas totalement tort lorsque elle déclare que la "vraie France" est celle des clochers et de la Tradition. Pour le coup, je suis d'accord avec eux, sauf que je n'y vois là aucun motif de fierté. Bien au contraire. Oui, la France est, dans ses fondements même, une entité traditionaliste et passéiste qui a un mal fou à adopter la nouveauté, non pas uniquement sur un plan politico-religieux mais même sur des choses anodines telles que la télévision couleur (décriée par 70% des ménages lors de son invention). Il n'y a qu'à voir le tollé suscité par la création du livre numérique (les Français sont nostalgique des bouquinistes et de l'odeur du papier rongé par les mites) pour comprendre que ce pays est enchaîné au passé et que même ceux dits "de gauche" sont en fait dans la perpétuation d'une vision réactionnaire. Si vous aimez les nouvelles technologies, le progrès, la nouveauté, alors vous êtes (que vous le vouliez ou non) partie prenante de cette fameuse anti-France. Idem si vous êtes antichrétien. Car, le christianisme a hélas imprégné l'ensemble de la société française qui continue de l'observer sans s'en rendre compte et parfois en se croyant athée… Comme l'a déclaré le réalisateur dextrogyre Sylvain Durain sur les ondes de Radio Courtoisie en novembre 2017 : "Même le plus athée des Français a en lui un fond chrétien". Encore une fois, je suis d'accord. Sauf que si lui s'en réjouit, moi, je le déplore. Il n'y a qu'à voir l'émoi suscité par la brûlerie de Notre-Dame (suspension de campagne électorale, milliards débloqués) pour se rendre compte que la loi de 1905 n'est que de la poudre aux yeux et que nous vivons dans un pays faussement laïc. En effet, pensez-vous qu'on aurait eu tout ce cirque si c'est la Grande Mosquée de Paris qui avait flambé ? Il est permis d'en douter…

Deuxièmement parce que la France, si elle est passéiste, a aussi – je le dis sans intention d'insulter les Français – un fonds raciste ou du moins une antipathie envers ce qui est perçu comme étranger. Bien sûr, tous les Français ne sont pas des Le Pen en puissance, le score du RN dépassant rarement les 20%. Mais tout le vice serait justement de croire que le peuple est xénophile sous prétexte qu'il rejette l'extrême-droite. En vérité, si les Français rechignent à voter pour l'extrême-droite ce n'est pas tant par humanisme et par xénophilie que par peur pour leur portefeuille et, accessoirement, par hédonisme inné : l'extrême-droite étant vue (à tort, d'ailleurs) comme celle qui empêchera les gens de boire et de forniquer librement et qui interdira les jeans moulants. Mais si la majorité des Français se désolidarise du nationalisme réac sur les questions sociétales (euthanasie, féminisme, mariage gay, cannabis, avortement) et rejette son programme économique dangereux (sortie de l'euro, localisme économique, taxation des produits importés) la majorité d'entre eux se retrouve sur les thèses anti-immigrationnistes. Combien de fois ai-je lu ou entendu, parfois même sur AgoraVox, des personnes dites "de gauche" voire communistes proférer des préjugés sur les immigrés et dire, de plus en plus ouvertement, que "il y en a trop". Les Français ne veulent pas de l'extrême-droite mais ils en partagent les thèses. De fait, bien qu'on parle souvent (moi le premier) de la "menace nationaliste", l'honnêteté m'oblige à vous confier qu'il me semble très peu probable de voir un jour ces gens arriver au pouvoir, tant la méfiance des Français est grande envers l'extrême-droite depuis l'épisode vichyssois. Mais, hélas, l'hypocrisie est un des défauts inhérents à notre pays où l'on craint davantage le bruit du vice que le vice lui-même. Si les gens bouderont à coup sûr un mouvement ouvertement d'extrême-droite, ils ne verront aucun mal à voter pour celui qui en reprendra les thèses xénophobes sans en reprendre l'étiquette. Ironiquement, on peut dire que le mot "extrême-droite" effraie plus que l'idéologie d'extrême-droite elle-même. Or, le danger réside dans l'idéologie et les thèses de l'extrême-droite qui se sont métastasées sur l'ensemble de l'échiquier politique et qui sont déjà au pouvoir : les déclarations du président Macron sur la fécondité des femmes africaines, le positionnement anti-immigrationniste de Gérard Collomb et l'islamophobie générale de l'échiquier politique suffisent à le démontrer. Alors, puisque nous nous opposons aux idées nationalistes et à la xénophobie qui gangrènent les mentalités, oui, nous sommes l'anti-France.

J'ai évoqué plus haut l'islamophobie. Le sujet mérite plus de développement. La majorité des Français sont par essence islamophobes. Ne pensons pas que l'islamophobie est exclusive à l'extrême-droite. Il existe en fait deux islamophobies en France, celle de gauche (inspirée par une lecture dévoyée des Lumières) et celle de droite inspirée par le national-catholicisme évoqué au début du présent article. Le bouc-émissaire idéal fut successivement le protestant, le franc-maçon, le Juif, le communiste ou le patron… aujourd'hui, c'est le Musulman (et la Musulmane) qui font office de punching-ball général. Pour le "peuple de droite", le Musulman n'est autre que le Sarrasin, ennemi héréditaire de la chrétienté, désireux d'envahir l'Europe blanche et d'y imposer la charia. L'islamophobie de gauche, plus insidieuse, est quelque peu différente : le Musulman y fait figure de "nouveau beauf", celui qui tape femme et enfants, qui commande à la maison, qui se comporte en patriarche et qui est donc suspect d'être réactionnaire. La femme musulmane exacerbe aussi les passions : réceptacle du Grand Remplacement pour l'extrême-droite, obstacle au féminisme universaliste pour la gauche. Bref, le Musulman fait figure de punching-ball idéal dans la mesure où ils font l'objet d'une suspicion générale qui s'est certes accrue avec la vague terroriste de 2015 mais qui gangrénait déjà le pays depuis bien longtemps. Parce que nous, banlieusards, ne voulons ni du nationalisme droitard ni de l'universalisme gauchiste, oui, nous sommes résolument l'anti-France et même l'anti-Occident. Que l'on ne s'y méprenne pas : il n'est pas question de remettre en cause la République et ses valeurs, ou de demander à ce que les gens changent leur mode de vie, mais de réclamer simplement à ce qu'on nous prenne en considération, qu'on ne nous infantilise plus et qu'on nous accorde des accommodements raisonnables comme l'ont fait les gouvernements canadiens et britanniques, que l'État cesse de vouloir nous assimiler et d'obliger nos frères à raser leurs barbes ou nos sœurs à troquer leurs robes pour des jeans troués.

Le quatrième point est le libéralisme. La France est dans son essence même étatique et antilibérale. Le président le plus libéral que nous ayons eu est Emmanuel Macron, un haut-fonctionnaire issu du Parti Socialiste. Que l'on ne s'y trompe pas, j'ai défendu et je défendrai le bilan du Président qui, comme je l'ai déjà dit, est "le moins pire et le plus libéral parmi l'offre politique". Néanmoins, il faut garder à l'esprit que par rapport à des pays comme Singapour ou la Corée du Sud, l'ami Macron ferait figure de bolchevik. C'est que la France fut jacobine bien avant la Révolution. Huit siècles de monarchie capétienne et de charité ecclésiale (charité intéressée puisqu'il s'agissait de garder les pauvres sous l'emprise du bénitier plutôt que de leur permettre de sortir de la pauvreté) ont eu raison de toute volonté entrepreneuriale et ont confit le peuple dans l'hébétude de l'assistanat. Car la France est la patrie des missi dominici, des corporations, des pragmatiques sanctions, de l'absolutisme, autant d'éléments étatiques freinant la liberté politique et économique. N'en déplaise à l'extrême-droite, la Révolution n'est pas une rupture mais au contraire la suite logique de cet étatisme existant depuis les Mérovingiens et même depuis l'Empire romain. Le jacobinisme n'est dès lors que la version modernisée et laïcisée du dirigisme étatique, clérical et corporatiste qui fut de mise durant toute l'époque médiévale. Ainsi, un libéral authentique ne peut qu'être anti-France. Car, un libéral digne de ce nom ne peut qu'être apatride. Le libéralisme français, teinté de conservatisme corporatiste et familialiste n'en est pas un. Pour qu'il soit authentique, le libéralisme doit s'affranchir de tout localisme, de toute religiosité et de toute appartenance à une collectivité. Imaginez un Netchaïev avec le gauchisme en moins et le désir d'ascension sociale en plus, eh bien voilà, c'est cela, un anarcho-libéral. Il ne peut dès lors être patriote et sera même l'adversaire de tout système étatique, boycottera la Marseillaise, désertera le service militaire et n'aura pas de scrupule à s'expatrier pour optimiser sa fiscalité. Oui, le libéralisme est donc bien caractéristique de ce que nos amis nationalistes nomment l'anti-France et que je nomme quant à moi la liberté.

Nous conclurons par l'anti-colonialisme. Si l'on est opposé à l'impérialisme, on ne saurait être un patriote français ou même simplement se définir comme Français. Car la France est par essence coloniale. Il ne s'agit pas uniquement de son passé conquérant en Afrique et en Amérique où nombre de peuples furent mis sous le joug du Roi puis de la République quand ils ne furent pas tout simplement génocidés comme les amérindiens Beothuks qui vivaient sur l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon (ajoutons aussi que ce sont les Français qui ont inventé la pratique du scalp qui devait servir de preuve qu'on avait tué un Indien pour toucher la récompense instituée par les autorités coloniales). Au-delà même de ces forfaitures qui restent toujours impunies, il est essentiel de dire que la politique intérieure de la France est elle-même basée sur le colonialisme. C'est bien par la conquête ou des traités assymétriques que s'est construite la France en tant que telle. Du seul bassin parisien que contrôlait Hugues Capet à son avènement en 987, la France est arrivée à ses frontières actuelles en 1860 avec le "rattachement" de Nice et de la Savoie enlevés à l'Italie nouvellement formée. La conquête de la Normandie qui appartenait au royaume anglais, l'annexion de la Bretagne par un traité violant toutes les conventions d'usage, ou l'achat de la Corse – sans même que ses habitants soient consultés – sont trois exemples de la manière dont s'est bâtie l'entité France, par l'épée, l'hymen et la bourse. De fait, il n'existe pas d'ethnos français comme il y a un ethnos grec, finnois, allemand ou irlandais : la France est le seul pays d'Europe qui comprend des populations latines, celtiques, germaniques sans appartenir à aucune de ces aires. Pour illustrer cela, prenons le cas des prénoms : Éric est un prénom viking, Nolwenn est un prénom celtique, Lucie est un prénom latin… Mais il n'existe pas de "prénom français" à proprement parler puisque la France n'est pas un ethnos mais un démos, constitué par l'agrégat et l'assimilation progressive de plusieurs ethnies. La langue française appartient certes au groupe roman (la tentation est dès lors forte de ranger les Français parmi les peuples latins) mais il faut tenir compte du fait que cette langue ne s'est définitivement imposée qu'au XIXème siècle : Alphonse Daudet, qu'on ne peut taxer d'être libéral ou europhile, raconte par exemple que la mère de Frédéric Mistral et les autres vieux de la région ne comprenaient pas le français et s'exprimaient en provençal encore dans la seconde moitié du XIXème siècle. En outre, pendant longtemps, les régions étaient appelées "pays" par ses habitants qui les considéraient comme leur véritable patrie tandis que Paris et son roi faisaient figure d'étrangers quand ils ne suscitaient pas l'hostilité. Et n'oublions pas d'ajouter la présence d'une aire culturelle et génétique musulmane depuis plus de mille ans. Par exemple, les villes de Toulouse et Béziers (Ménard, si tu me lis, assieds-toi et respire un coup) furent musulmanes durant plusieurs décennies au VIIIème siècle : la chronique relate que "moult Bitterois se firent musulmans" et que les unions mixtes étaient fort répandues. Ainsi contrairement à de nombreux autres peuples d'Europe (Grèce, Estonie, Irlande, Islande, Italie, pays slaves), il n'y a pas de patrimoine génétique commun en France. On peut donc dire sans crainte qu'il n'y a pas de "peuple français" mais bien une "nation française" née progressivement entre le Xème et le XIXème siècles. Être "anti-France", c'est dès lors être pour l'Europe, pour l'humanité et contre le colonialisme sur le terreau duquel est bâti l'État. C'est dire haut et fort que la Normandie, la Bretagne, la Corse, l'Alsace, la Savoie, les "DOM-TOM" (joli nom chantant pour dire "colonie"), le Pays Basque, la Provence et les banlieues ne sont pas des "régions" ou des "territoires perdus" mais des peuples à part entière. Je le dis fièrement : je ne me sens pas Français mais banlieusard, Normand et Européen.

L'extrême-droite reproche à tout ce qui ne lui ressemble pas d'être "l'anti-France". Bercée par un messianisme judéo-chrétien dangereux, elle se croit faite pour défendre le "peuple français" qu'elle imagine choisi par Dieu. "Le Christ doit régner sur la France et par la France sur le monde", déclare ainsi un blogueur tradi qui s'est visiblement trop shooté à l'encens. Eh bien, nous, banlieusards, libéraux, europhiles, handicapés, immigrés, régionalistes, nous leurs disons : "Si vous êtes la France, messieurs, alors c'est un honneur pour nous d'être l'anti-France et de combattre ce que vous représentez".

Nicolas Kirkitadze, blogueur et opposant à l'impérialisme occidental.

 


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