Liu Xiaobo, dissident chinois : le prix de la liberté et le prix Nobel de la Paix

par Daniel Salvatore Schiffer
vendredi 8 octobre 2010

Que Liu Xiaobo, dissident chinois âgé de 54 ans, se soit vu décerner, ce 8 octobre 2010, le prix Nobel de la paix, voilà qui ne pourra que réjouir au plus haut point les quelques intellectuels, dont ma modeste personne, qui l’ont toujours soutenu, y compris dans ces mêmes pages, depuis son arrestation, le 25 décembre 2009, à Pékin, par les autorités politiques de son pays, l’un des derniers bastions de la dictature communiste, quoique celle-ci se voit également teintée, aujourd’hui, des pires dérives du capitalisme sauvage et autre mercantilisme boursier.
 
 Ce souhait d’attribuer le prix Nobel de la paix à Liu Xiaobo, condamné à 11 ans de prison pour « incitation à la subversion au pouvoir d’Etat », venait par ailleurs d’être émis très opportunément, ces jours derniers, par un autre intellectuel chinois de tout premier plan, le philosophe Xu Youyu, lequel, membre de l’Académie des Sciences Sociales de Pékin, prenait bien évidemment là, en s’opposant ainsi publiquement au régime en place, d’énormes risques.
 
 D’autant que cette longue et dure période d’emprisonnement à laquelle a été condamné Liu Xiaobo s’avère, depuis 1997, date de l’instauration de cet odieux chef d’accusation, la peine la plus sévère qui ait jamais été administrée à un dissident de ce pays. Phelim Kine, responsable, pour l’Asie, de Human Rights Watch, l’un des organismes politico-humanitaires les plus crédibles, avec Amnesty International, ne s’y était d’ailleurs pas trompé : cette très lourde peine sonne comme « un avertissement explicite du Gouvernement aux intellectuels chinois, aux militants de la société civile et aux défenseurs des droits de l’homme » avait-il très judicieusement déclaré, heurté tout comme nous par cette ignoble et vile inculpation, au lendemain de ce terrible verdict. 
 
 La réprobation de ces méthodes aussi répressives qu’arbitraires avait été, du reste, quasiment unanime aux quatre coins de la planète démocratique. Car que prônait-il au juste, Liu Xiaobo, écrivain, professeur à l’Ecole normale de Pékin et auteur de la Charte 08, manifeste idéologique, mais pacifiste, calqué sur la fameuse Charte 77 des anciens dissidents tchécoslovaques, et de Vaclav Havel en particulier, fiers et mémorables artisans, au lendemain de la chute du « Mur de Berlin », de l’historique « révolution de velours » ? Rien moins, très exactement, que les principes les plus élémentaires mais inaliénables, dont la liberté d’expression, de toute démocratie digne de ce beau nom !
 
 De fait : « Nous devrions cesser la pratique qui consiste à qualifier de crimes des mots », y écrit, de manière aussi lucide que courageuse, Liu Xiaobo. Et, dans la foulée, d’en appeler, pour son pays, à « la rédaction d’une nouvelle Constitution qui garantisse les droits humains, des élections libres, ainsi que les libertés religieuses, de pensée et d’expression ».
 
 Telle est la pure et simple vérité, révoltante pour tout démocrate : c’est pour avoir osé écrire ces mots aussi limpides que sensés, défiant ainsi ce pouvoir suprême et central, à la fois, que représente, aujourd’hui encore, le Parti Communiste Chinois, que le pauvre Liu Xiaobo s’est vu infliger 11 ans d’emprisonnement.
 
Qu’il n’en soit que le plus illustre des boucs émissaires, brandi aux yeux des masses populaires à titre d’exemple à ne pas suivre, sous peine d’avoir à endurer les mêmes sévices, voilà qui ne nous étonnera d’ailleurs pas, malgré notre indignation, lorsque l’on sait que cette même Charte 08 a été signée par des milliers de personnes, dont quelques centaines d’intellectuels de haute volée, au sein desquels émergent notamment Hu Jia (déjà condamné, en 2007, à plusieurs mois d’incarcération), Jan Jiaqi (président, en 1989, des manifestants de Tienanmen et fondateur, en exil à Paris, de la Fédération pour la Démocratie en Chine) et Gao Xingjian (prix Nobel de littérature en 2000).
 
 Les poètes, de Federico Garcia Lorca à Salman Rushdie, en passant par Robert Desnos ou Pablo Neruda, ne l’ont-ils pas d’ailleurs naguère déjà chanté, parfois au prix de leur vie : « les plus beaux chants sont des chants de revendication » !
 
 Mais, par-delà cette bonne et heureuse nouvelle qu’est cette attribution du prix Nobel de la paix à Liu Xiaobo, reste à espérer, surtout, que ce même Gouvernement chinois, qui l’a aussi injustement envoyé derrière d’aussi injustifiables barreaux, retrouve à présent, sous l’effet de cette noble et prestigieuse leçon d’humanisme tout autant que de tolérance que vient de lui prodiguer ainsi l’Académie de Stockholm, cette conscience morale sans laquelle il n’est point de véritable liberté, pas même sous les cieux de cet hypothétique « grand soir », trop souvent rougeoyant, paradoxalement, du sang de la honte plus que des feux de l’idéal socialiste.
 
 La liberté donc maintenant, dans le sillage son prix Nobel de la paix, pour Liu Xiaobo !

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