Loose change, le film pas nouveau qui ne dérange pas l’Amérique
par versac
mardi 21 mars 2006
Carlo Revelli a fait la une d’AgoraVox avec un article sur un « nouveau documentaire » consacré au 11 septembre. Ce documentaire n’est pas nouveau, ne dérange pas l’Amérique (qui n’en parle pas) et est très critiqué dans les milieux qui cherchent à faire le jour sur les événements du 11 septembre.
La blogosphère française bruisse donc du "nouveau film qui dérange l’Amérique", Loose Change, un documentaire réalisé par Dylan Avery, un jeune homme qui a fait tout ça en mai 2005 depuis sa chambre, avec un compaq à 1500$. Suite à des notifications par e-mail et à une reprise récente sur Radio Canada, Laurent Gloaguen reprend, Loïc Le Meur aussi, puis se rétracte, Carlo Revelli en fait la une d’Agoravox dans un article qu’il signe lui-même, et le mouvement est lancé. Voilà le nouveau document accablant sur le fait que le 11 septembre n’est pas ce qu’on nous a dit.
Le document est présenté par Carlo Revelli comme un très bon exemple de ce nouveau journalisme citoyen, de cette capacité de chacun à produire des documentaires vidéo de qualité avec un matériel très simple, et aussi, dans l’attitude, un bel exemple de cette volonté de livrer au citoyen les moyens de se faire une opinion par lui-même.
Je tiens à corriger deux ou trois choses, qui sont écrites par Carlo Revelli dans son article.
1. D’abord, il est totalement faux que "non seulement la blogosphère, mais aussi les grands médias et le monde politique s’enflamment suite à la diffusion impressionnante du deuxième volet du documentaire américain". Le blogosphère n’en parle pour ainsi dire pas : les citations de ce documentaire sont ridiculement peu élevées, et les médias américains n’en parlent pas. Comparez par exemple les occurrences des citations de "Loose change", "dylan avery" et le terme "9/11" sur les blogs. Ce documentaire a par ailleurs fait l’objet d’une courte citation sur Fox News en décembre 2005 (il y a trois mois). Il n’est pas nouveau (il date de mai 2005).
Evidemment, on peut regretter (ou pas) qu’il ne fasse pas l’objet d’une discussion large, mais il vaut mieux éviter de dire que tout le monde en parle quand ce n’est pas le cas.
En outre, ce documentaire n’apporte absolument aucune nouveauté dans les "analyses indépendantes" (ou thèses conspirationnistes) post 11 septembre. Ces thèses sont depuis longtemps mises dans le domaine public. On peut en voir un bon résumé sur Wikipedia. Sa seule nouveauté, c’est la vidéo. Et c’est sûr que c’est plus choc que des pages de texte sur des sites Web.
2. Dylan Avery fait de la manipulation, avec des méthodes proches de celles de Thierry Meyssan, ici adaptées en vidéo. Il a très bien compris que le pronétaire, selon l’expression de Joël de Rosnay, que le citoyen connecté, en quelque sorte, cherche à se forger son opinion avec les moyens dont il dispose sur Internet, et qu’il est dans un mode actif de recherche d’informations, avec une culture de défiance par rapport aux mass media. Dès lors, l’ensemble du documentaire est ainsi monté : on distille le doute, on utilise le mode interrogatif, ou interronégatif, en permanence. Ce discours est d’ailleurs très proche de la rhétorique sarkozienne, du spin politique habituel : en posant une question, on fait croire qu’on laisse à l’auditeur le soin d’y répondre, en lui fournissant quelques éléments "d’information", qui l’influencent sans qu’il s’en rende forcément compte.
3. Le documentaire n’est pas fait de manière rigoureuse, alors qu’il dit nous apporter de l’information pour nous plonger dans le doute. Il n’y a rien de contradictoire. Or, ici, non seulement Dylan Avery nous livre des informations très partielles, des théories fumeuses et fumantes fondées sur l’observation de vidéos du drame accessibles à tous, mais il nous donne sciemment ces informations partielles et des démonstrations non vérifiées en nous faisant croire que ce sont des évidences. Il nous place dans la position d’experts. Il ne cesse de citer des nombres (tonnes de béton, de métal, vitesses, volumes, nombre de personnes, etc.) pour nous montrer le sérieux de son propos. Mais ces chiffres ne correspondent pas à des éléments qui nous permettent de saisir effectivement la totalité de l’information.
Quelques exemples pour illustrer ce propos :
- Thèse 1 : la fonte du métal a lieu à 1600 degrés, mais le kérosène ne peut pas fournir cette chaleur : ce sont donc des explosifs qui ont fait péter les tours du WTC. La preuve, de nombreux immeubles en métal ont brûlé pendant des heures sans s’effondrer. Bien répété, avec la bonne phraséologie et la réitération d’images, c’est très crédible, on se dit que, ben oui, c’est vrai. Sauf qu’on n’a pas besoin d’attendre la température de fusion du métal pour que celui-ci perde ses qualités, et qu’on oublie une petite chose : tous les immeubles qui avaient brûlé n’avaient pas reçu en pleine poire un boeing, qui apporte tout de même un peu d’énergie cinétique à tout ça. Je peux tordre une barre d’acier sans attendre sa fusion complète, en lui donnant un bon coup dedans. Et puis, comme par hasard, on oublie de dire que certaines tours ont vu leur partie métallique s’effondrer, et pas celle en béton.
- Thèse 2 : regardez ces portaits des terroristes. Il y en a plein qui vivent en liberté en Arabie Saoudite ou en Tunisie. Aucune vérification possible, pas de sources, pas de vérification. Juste une information distillée : pas de vérification possible, juste un doute.
- Thèse 3 : regardez la tour s’effondrer, vous voyez, il y a plein de petites explosions partout en dessous de la chute. Des explosifs avaient donc été placés et ont fait s’effondrer la tour. On nous montre des points blancs, des nuages de fumée, qui ne signifient rien pour une personne qui ne connaît pas ces choses-là. Et on nous pousse à penser que c’est le signe d’explosifs. Personnellement, je ne suis pas un expert en démolition d’immeubles. Je me souviens avoir lu dans des revues d’architecture des essais très fournis sur les structures du WTC et sur les raisons de cet effondrement (Le moniteur, je crois, qu’on ne peut pas accuser d’être à la solde du gouvernement Bush). Mais non, je devrais absolument croire ces "preuves" : des petits nuages de fumée, juste en dessous d’une énorme masse qui s’effondre. Qui me dit ce que c’est ? Personne. Après tout, ce peut être un peu n’importe quoi, la descente d’éléments plus rapidement à travers une cage d’escaliers, une rupture d’un étage avant l’autre, etc. En outre, sur ce point, des analyses des poussières et résidus du WTC ont été effectuées par de multiples laboratoires, et aucune n’a trouvé de traces d’explosifs. Evidemment, la réponse à ce genre d’émission de doute sur la thèse conspirationniste se trouve balayée par l’argument du contrôle gouvernemental. De même, une analyse poussée a eu lieu - et n’est d’ailleurs pas encore finie - sur l’effondrement des tours. Mais c’est un peu plus long à lire qu’un documentaire vidéo avec des musiques branchées et des "rendez-vous compte".
- Thèse 4 : celle de Thiery Meyssan : aucun grand avion ne s’est planté dans le Pentagone. Il suffit de regarder le trou, l’absence de débris, ce gros trou à la place du nez, etc. Toutes ces théories sont très critiquées, au sein même des mouvements de recherche de la vérité sur le 11 septembre (9/11 truth movement). Posez-vous la question : "L’information" qu’on me montre est-elle pertinente ? Voyez-vous bien les images qu’on vous montre ? Je ne prendrai que deux exemples : le gros trou, net, clair, dans le "3e cercle" du Pentagone. On nous dit qu’il ne peut pas être réalisé par le nez d’un avion, très fragile. Mais qu’est-ce qui nous dit que c’est le nez qui l’a fait ? Ne serait-ce pas justement ces réacteurs en titane, dont Dylan Avery s’inquiète -avec lourdeur- de la disparition ? De même, on cite des témoins parlant d’un "petit avion", mais, comme par le plus grand des hasards, on ne cite pas les centaines de témoignages contradictoires, qui identifient clairement un gros avion de ligne, avec le nom de la compagnie écrit dessus. Tiens. Pourquoi ?
Et ainsi de suite. Tout cela, encore une fois, est déjà largement discuté sur le Net et n’est en aucun cas nouveau. Wikipedia est un très bon endroit où démarrer son enquête personnelle, si on veut vraiment se faire sa propre opinion. Le "documentaire" de Dylan Avery a droit à sa page de critiques sur Wikipedia. Sur le sujet du Pentagone, Snopes a réalisé un dossier tout à fait correct.
Je ne dis pas qu’il n’y ait pas d’éléments troublants dans l’analyse du drame du 11 septembre. Il y en a énormément, à commencer par le fameux vol 93 et son drôle de crash. L’enquête est longue, le gouvernement américain a une fâcheuse tendance à ne pas être transparent.
Mais enfin, ce documentaire est très manipulateur, plus encore que ne le sont les grands médias dans leur rapport à l’information concernant ce drame. Il diffuse une rhétorique dangereuse, qui fait croire que l’on dispose d’une réelle information, fondée sur la présentation hyper partielle de micro-faits, et d’insinuations bien dirigées. Il est sexy, bien monté, facile à regarder, haletant, et, après l’avoir vu, on doute. Ca marche bien, essayez vous-même, vous en sortirez comme moi, avec la certitude qu’on s’est foutu de vous, que tout ça n’est qu’un grand complot.
Mais regardez ce film en sachant que tout ce qui y est présenté l’est avec un but bien précis, et que vous vous faites manipuler.
Dailymotion blogged video
Loose Change 2d Edition ST VF