Louis XVI, Louis XVII, grandeur et tragédie du roman national
par Emile Mourey
vendredi 22 mai 2015
Voilà ! C'est dit ! C'est écrit ! C'est décrété ! On n'enseignera plus notre histoire nationale comme au temps de la scolarité que mes aïeux, moi-même et mes enfants ont connue. Adeptes de la nouvelle religion des droits de l'homme qui a supplanté le message évangélique, nos modernes penseurs s'apprêtent à jeter les bases d'une mémoire mondialiste dans laquelle on n'oubliera pas de critiquer l'amour "nationaliste" que les Anciens portaient à leur pays, quelqu'il soit, jusqu'au sacrifice suprême.
Notre histoire de France ne sera plus enseignée pour donner sens à ce que nous sommes aujourd'hui en tant que nation cotoyant d'autres nations, mais dans une sorte de tribunal qui jugera du bien et du mal, jusqu'à la condamnation et la repentance.
Je suis un ancien officier des armées de la République. Oui, j'ai fantasmé, enfant, sur un Danton tonitruant du haut de la tribune du peuple. Oui, je me suis attendri sur la détresse de l'enfant du temple. Je suis un romantique, mais cela ne m'empêche pas d'être un romantique conscient. Si je me suis enflammé pour un Vercingétorix proclamant : "Je ferai de la Gaule un seul conseil", je n'ai pas oblitéré le fait qu'il faisait crever les yeux de ses opposants politiques après avoir dévasté leurs territoires, soulignant ainsi la dureté des coeurs de l'époque.
Merci à mes professeurs qui m'ont fait vibrer, à la fois, à l'héroïsme du Cid de Corneille et aux tragédies de Racine. Merci à eux qui m'ont expliqué la rigueur de raisonnement du cerveau latin de César. Merci au bain d'histoire dans lequel ils m'ont plongé, ce qui a donné un sens à ma vie comme un prolongement qui m'était présenté comme un devoir à accomplir.
Le dernier "Secrets d'Histoire" de Stéphane Bern "Louis XVI, l'inconnu de Versailles", est un merveilleux documentaire sur notre roman national. C'est une façon d'enseigner qui est à l'opposé de ce que proposent les professeurs de morale historique. Ici, sur un fond de ciel bleu ou tourmenté, la grandeur du château de Versailles côtoie la terreur de la guillotine ; la-bas, dans une salle fermée, sur les bancs scolaires disposés en cercle comme pour un conseil municipal, l'ennui. Stéphane Bern nous élève au sommet de la grandeur et de la tragédie de notre histoire, dans l'image d'un roi auquel tout un pays se référait jusqu'au moment où il s'est emparé de la responsabilité de son destin.
Il ne faut pas se mentir. Quand les touristes de France et de l'étranger visitent nos musées, c'est, en priorité, notre histoire de France qu'on veut voir dans les tableaux. En voici quelques-uns en rapport avec le documentaire.
Louis XVII, l'enfant du temple, par Greuze.
À la date où le dauphin avait dix ans, soit vers mars 1795, trois mois ou un peu plus avant sa mort, le peintre Greuze de Tournus était à Paris. Avant l’incarcération de la famille royale, il avait fait un premier portrait de l’enfant alors qu’il n’avait que six ans.
Le grand dauphin, père de Louis XVI, par Louis-Michel Van Loo.
À 34 ans, deux ans avant sa mort, le fils de Louis XV s'est fait représenter en homme fort, avec tout son programme politique. Il tient dans sa main droite son bâton de commandement semé de dauphins et de fleurs de lis. Sa main gauche tient l'épée. Son casque est posé à sa droite. Son armure resplendit. Il porte autour du cou l'ordre autrichien prestigieux de la Toison d'or, montrant par là son plein accord avec son épouse pour une politique "européenne" de rapprochement entre la France et l'Autriche. En sautoir, accroché à un large ruban de soie bleue, il arbore la plus haute décoration française de son époque : l'ordre du Saint-Esprit qu'agrémente le ruban rouge de l'ordre de Saint-Michel. La colombe rayonnante rappelle le serment de fidélité que la noblesse de France prononça à l'égard de son roi dans la période troublée des guerres de religion.
En arrière-plan, on aperçoit les deux symboles sur lesquels le prince veut appuyer sa politique. A droite, la tente militaire aux rayures caractéristiques symbolise l'armée. A gauche, dans le creux du bras, l'église isolée évoque le peuple pieux des campagnes qu'encadre le clergé.
Chef du parti dévot, le Dauphin se montre ici comme le futur homme fort de la monarchie, alors que le roi, son père, bien aimé au début de son règne, perd de plus en plus la faveur du peuple du fait de sa vie libertine. Sa mort affaiblira le seul courant qui aurait pu s'opposer aux premières fermentations révolutionnaires urbaines.
S'il s'était trouvé à la place de son fils, aurait-il toléré qu'on mette au bout d'une pique la tête du gouverneur de la Bastille ? Rien n'est moins sûr. L'Histoire est faite d'imprévus et c'est ce qui fait son mystère, un mystère qui n'a jamais ennuyé l'enfant que je fus.