Lourdes et Fatima, deux lieux de spectacle très prisés de la papauté
par Paul Villach
vendredi 12 septembre 2008
Comme son prédécesseur Jean-Paul II, le pape Benoît XVI montre, en se rendant à Lourdes et, bientôt sans doute un jour à Fatima, toute l’importance qu’il attache à ces sanctuaires si différents des autres. Des apparitions à des enfants analphabètes de la Vierge Marie, mère de Jésus, et des miracles qui s’y seraient produits, y ont attiré des pèlerins en foule, et en particulier tous ceux qu’accable une souffrance sans espoir de rémission. Même en civière ou sur leur lit de malade, ils viennent dans l’attente d’un improbable soulagement. Des guérisons médicalement surprenantes y ont été enregistrées. Un organisme de contrôle médical y est même chargé de les vérifier pour écarter les allégations infondées.
L’Église, d’abord longtemps réticente, a trouvé finalement dans ces sanctuaires qui accueillent des centaines de milliers de personnes par an, un forum et une tribune rêvés pour diffuser sa doctrine. La souffrance n’est pas près de cesser de tourmenter la vie humaine. De plus, elle affaiblit les défenses rationnelles et fait vaciller la raison. Qui n’est pas prêt à tout tenter pour la faire lâcher prise surtout quand on la dit sans remède ? Le père Zambelli, recteur des sanctuaires de Lourdes, en sait quelque chose (1). « La souffrance enfante les songes / Comme une ruche ses abeilles », lit-on dans Le Roman inachevé d’Aragon.
Le spectacle de la souffrance
Mais quelles que soient ses croyances, peut-on ressortir de ces sanctuaires sans un ébranlement profond ? Même un jour ordinaire sans affluence, on ressent un malaise sur l’immense esplanade quasi déserte que bornent à ses extrémités deux églises, avec sur un côté une chapelle érigée à l’endroit des apparitions – à Lourdes, c’est une grotte, à Fatima, c’était un chêne. L’esplanade a beau être vide : son étendue témoigne à elle seule des foules qui peuvent s’y presser certains jours pour espérer l’impossible. Dans une des deux églises des cérémonies se succèdent sans interruption. À l’entrée, comme dans une gare, des écrans en affichent les horaires et les groupes de pèlerins concernés, venus de partout pour y participer.
Mais c’est surtout sur les lieux des apparitions que le spectacle en devient insoutenable. À Fatima, on voit de loin s’en échapper une fumée noire par volutes. Des cierges par brassées y brûlent avec la même ardeur que les cœurs de ceux qui les ont allumés pour implorer secours. À côté sur un gril posé au-dessus d’un brasier fondent et se consument des objets en cire qu’on dirait arrachés à des poupées : une tête, une oreille, un ventre, un bras, une jambe. On devine que ce sont les images du siège du mal dont on attend la guérison : elles sont vendues à deux pas dans un bac avec les cierges. Les Romains aussi offraient à leur dieu guérisseur Esculape des modèles réduits en terre cuite de main, de jambe ou d’utérus. Pendant ce temps, devant des fidèles recueillis, sur une piste qui fait le tour du site des apparitions, se traînent à genoux des pèlerins en prière, le chapelet à la main, le visage ravagé par l’imploration.
Une architecture du spectacle
Fatima comme Lourdes sont ainsi forcément des lieux où la souffrance est offerte en spectacle. L’Église catholique en est même venue, semble-t-il, à modifier l’architecture de ses lieux de réunion. On sait que le modèle initial des églises chrétiennes était la basilique civile romaine, à la fois marché couvert et tribunal. Car, à la différence du temple romain exigu qui n’accueillait que les statues des dieux, le temple chrétien était un lieu de rassemblement des fidèles pour les cérémonies. Sa géométrie ne se prêtait certes pas à une bonne vision du spectacle qui s’y déroulait. Celle du théâtre gréco-romain aurait été plus indiquée. Mais on sait que l’Église a longtemps condamné les spectacles de théâtre, lieux de dépravation selon elle.
Or, voici qu’à Fatima, il y a tout juste un an, faisant face à la première basilique néo-baroque à l’autre extrémité de l’esplanade, une nouvelle église a été inaugurée en octobre 2007, la basilique de la Très-Sainte-Trinité. Son architecture a pris cette fois pour modèle le théâtre gréco-romain. On y retrouve les sièges disposés sinon en hémicycle complet du moins en ligne courbe sur une pente qui s’élève plus on s’éloigne du chœur, à la façon de "la cavea" ; les allées sont rayonnantes comme l’étaient les escaliers ; et l’autel vers lequel elles convergent est dressé sur une scène devant une vaste muraille comme "un frons scaenae" qui renvoyait le son vers les gradins.
Sans doute n’est-ce pas la première fois qu’une église est construite sur le modèle d’un édifice autrefois tant honni de la religion chrétienne. L’hémicycle gréco-romain semble même désormais être préféré à la nef longitudinale de l’ancienne basilique civile qu’on retrouve encore, malgré sa forme ovale, dans la basilique Saint-Pie X construite à Lourdes il y a cinquante ans. Du moins est-ce une illustration du spectacle qu’entend faire de ses cérémonies l’Église catholique pour que les assistants fassent provision d’images.
Depuis les crises iconoclastes des VIIIe et IXe siècles où elle a su, pour le bonheur de l’architecture des siècles suivants, prendre ses distances avec le second commandement du décalogue biblique (2), elle est, en effet, la première à savoir que l’image est la voie royale pour investir les esprits. Une formule prêtée à Bill Gates, le fondateur de Microsoft, ne fait jamais que résumer une des règles de sa communication millénaire : « Qui maîtrise les images, aurait-il dit, maîtrise les esprits ». On peut, en effet, quitter Lourdes et Fatima, mais on ne se défait pas des images tragiques qu’on y a collectées. Paul Villach
(1) Paul Villach, "Les Dons du père Zambelli, recteur des sanctuaires de Lourdes", Agoravox, 28 août 2008.
(2) « Tu ne te feras point d’image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre. »