Louviers, Firminy... Qui sont ces voyous qui s’attaquent ŕ l’autorité ?

par Florentin Gastard
mercredi 15 juillet 2009

Entre mardi 7 juillet et vendredi 10 juillet, suite au suicide de M. Mohamed Benmouna dans un commissariat de Firminy où il avait été mis en garde à vue pour tentative d’extorsion de fonds, des violences extrêmement graves ont éclaté au pied de l’immeuble du jeune homme, dans la banlieue de Saint-Etienne : jets de pierres, incendies d’un bureau de tabac et d’une pharmacie, sous prétexte que Mohamed Benmouna n’était pas suicidaire et que, fatalement, la police avait une responsabilité dans l’affaire.
De la même façon, à Louviers, dans l’Eure, la mort, vendredi 10 juillet, d’un jeune homme qui circulait sur une mini-moto à un barrage routier, a provoqué des jets de bouteilles incendiaires de jeunes en colère qui ont dégradé la gare, la mairie et la gendarmerie.
Pour ces deux affaires, aucune arrestation n’a été signalée.

 
 
Un constat : l’augmentation de la délinquance 
 
 La montée de violence dont nous sommes témoins ces derniers jours, qui nous ramène aux échauffourées dans les banlieues de fin 2005, ne laisse pas de nous interpeller. Ces jeunes gangsters, maîtres du terrain dès que la nuit tombe, craints autant par la population miséreuse de leur quartier, première victime des destructions occasionnées, que par les forces de l’ordre qui semblent avoir perdu la notion d’autorité, se croient tout permis sur "leur" territoire, et considèrent que l’Etat n’a rien à leur imposer. De fait, les voyous dont nous parlons ne se sentent pas intégrés à la nation, ne se reconnaissent plus dans ses lois, en deux mots n’ont désormais aucun sentiment de responsabilité ; leur priorité, c’est de montrer qu’ils n’ont rien à craindre de personne et que nul obstacle ne peut s’opposer à leurs volontés, qui consistent à casser sans discernement tout ce qui se présente devant eux.
Ces jeunes sont en effet à l’aise dans leur époque, qui flatte, dans un monde à économie de marché, la jouissance rapide et irrationnelle, la haine de la réflexion, l’agressivité (influence du cinéma américain, et de notre modèle économique, course impitoyable à l’argent) : ils n’ont aucune idée politique très claire, ne se reconnaissent dans aucun modèle existant (surtout pas dans celui de la France), mais se veulent les porteurs d’une identité bien à eux, synthèse de la sous-culture américaine des ghettos aux relents anarchisants et de la valorisation d’un certain mélange ethnique ("on vient tous de milieux différents et on n’est qu’à moitié français", etc), qui rendent impossible toute reconnaissance de valeurs communes, condition sine qua non de l’harmonie au sein de l’Etat.
De toute manière, ces personnes qui s’attaquent aux fondements de l’autorité ont souvent été habituées dès leur enfance à ne pas se sentir intégrées dans la communauté nationale. En effet, on remarque sans peine que leurs parents font rarement l’effort de s’adapter aux mentalités et aux traditions de la France, s’exprimant dans la langue de leur pays d’origine ou dans un jargon caractéristique des banlieues ; ainsi, c’est aussi parce que les géniteurs ne jouent plus leur rôle, mettant en avant le cadre de la famille contre la société, que la situation est aussi grave aujourd’hui. Comme le dit l’historien Ralph Schor dans Histoire de la société française au XX ème siècle, "ces jeunes (...) développent leur propre mode de socialisation et se fabriquent une échelle de valeurs où prennent place la violence, le patriotisme de quartier, la solidarité de bande, le soutien agressif apporté à une équipe de football. Beaucoup éprouvent un fort sentiment d’impunité car les réactions imprévues et collectives gênent l’action des forces de l’ordre".
 
 
Les réaction des pouvoirs publics
 
Une gauche qui a signé un compromis avec les délinquants
 
 Au pouvoir en 1981, la gauche a commencé par décrédibiliser en partie l’autorité en voulant la rendre plus humaine (abolition de la peine de mort, abrogation de la sévère loi Sécurité et liberté adoptée par la droite en 1980, réforme libérale du code pénal), ce qui a eu pour effet une augmentation très rapide des actes de délinquance, même si cette évolution est surtout sensible entre 1997 et 2002. De fait, là où le pouvoir a voulu se montrer plus compréhensif dans la forme, il n’en a pas moins facilité le passage au néolibéralisme à partir de 1982 en trahissant les classes populaires et la France ouvrière qui avaient voté pour Mitterrand. Il ne fallait donc pas s’étonner si l’insécurité s’aggravait, due à la fois à des difficultés sociales et à l’individualisme des voyous qui ne se considéraient plus comme astreints aux mêmes lois que les autres. Marcel Gauchet dira à ce propos dans son "Essai sur la psychologie contemporaine" (La Démocratie contre elle-même) que "la modernité correspond, métaphysiquement, au renversement de la logique ancienne qu’exprimait le principe d’individuation : partir du général pour le particulier. A l’opposé ed cette démarche, la modernité pose le singulier au départ, afin de l’universaliser. C’est de cela qu’est fait au plus profond notre sens de l’individualisme".
Cet individualisme présent dans la société, la gauche en a pris acte en favorisant les libertés individuelles plutôt que la sécurité publique, et en jouant ainsi l’individu contre la société. De cette façon, elle a fait croire aux Français que dans les banlieues, elle mettait en avant les initiatives collectives (travailleurs sociaux, police de proximité, etc) alors que ces dernières se révélaient a posteriori initiatives privées en tant qu’elles ne concernaient qu’une petite partie de la population, signe d’une cassure à la fois sociale et identitaire au sein de la société.
 
Une droite qui ne connaît rien d’autre que la répression aveugle
 
 
 Le bilan de la droite s’avère un peu plus satisfaisant dans le sens où Edouard Balladur, Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy ont largement insisté sur la politique sécuritaire dans leurs programmes respectifs. Ainsi, en privilégiant la sécurité de tous sur les tendances libertaires et anarchisantes de chacun, l’Etat a pu, entre 1985 et 1988, entre 1995 et 1997, et à partir de 2002, faire baisser la délinquance (cf Histoire de la société française au XXème siècle). Toutefois, la répression systématique que la droite mène quand elle est au pouvoir ne s’accompagne jamais d’une véritable réflexion autour de la question : les raisons sociales de ce malaise sont mises entre parenthèses, le modèle néolibéral n’est pas remis en cause, et cette autorité (salutaire, mais insuffisante) à l’intérieur est contrariée par un affaiblissement à l’extérieur dans le cadre d’une économie mondialisée. Surtout, l’Etat, chaque jour plus faible à cause de dirigeants qui privatisent et qui avantagent l’investissement privé, gardera-t-il une force suffisante pour empêcher ce que Dominique de Villepin lui-même craint, "un risque révolutionnaire" ?
Le diagnostic de Marcel Gauchet, qui considère que "de l’âge de l’affrontement, nous passons à l’âge de l’évitement" (La Démocratie contre elle-même), est une mise en garde pressante au vu de l’évolution de la situation : à force de ne pas affronter les problèmes et de ne pas poser les vraies questions, la communauté nationale se disloque, s’ignore en tant que telle, et désagrège, lentement mais sûrement, le lien social et la constitution politique.
 
Pour plus d’informations :
florentingastard.blogspot.com/
 

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