Lucie Aubrac, la fiancée des Résistances

par Tristan Valmour
jeudi 15 mars 2007

Six heures trente du matin, jeudi quinze mars deux mille sept. Le poste de radio tonne la mort comme un orage assourdissant : Lucie Aubrac, la fiancée des Résistances, n’est plus. J’ai eu le privilège de connaître Lucie Aubrac, l’espace d’une demie-journée, lors d’un colloque que nous organisions sur les femmes dans la Résistance.

Rencontrer madame Aubrac, c’est prendre rendez-vous avec l’Histoire, c’est recevoir une leçon de courage et d’humanité, de celles qui vous inspirent dans votre quotidien. Chacune de ses rides reflétait le combat d’une vie, et elle en parlait avec tant de simplicité, tant d’humilité qu’on ne côtoyait plus un personnage mais une amie.

Elle avait le don de s’imposer dans la plus grande discrétion, non pas parce qu’elle représentait une glorieuse figure de la Résistance, mais parce qu’elle incarnait ce qu’il y a de meilleur en nous, cette petite flamme qui nous anime, trébuche et vacille, et se renouvelle toujours. Sa flamme à elle consumait pourtant une jeunesse éternelle que ses combats contre l’injustice et le totalitarisme avaient à peine entamées.

Dire que Lucie Aubrac était quelconque n’est pas lui faire injure mais lui rendre hommage, parce qu’elle incarne parfaitement la définition du héros : un personnage ordinaire dans une situation extraordinaire.

Née le 29 juin 1912, d’extraction modeste, Lucie Aubrac se destinait à une carrière d’institutrice, pour finir par obtenir une agrégation d’Histoire. Si elle a sympathisé avec les communistes, elle a pourtant exclu de recevoir ses ordres de Moscou, refusant de sacrifier son indépendance. En 1940, au lendemain de la capitulation de la France face à l’Allemagne Nazie, elle entre en résistance, avec son mari Raymond, à Lyon, au sein du mouvement Libération-sud. Son action fut immortalisée par un film éponyme de Claude Berri.

La fin de la seconde guerre mondiale ne met pourtant pas un terme à ses luttes, puisqu’elle s’engage dans le combat pour l’égalité des femmes, contre le racisme, pour les sans-papiers, tout en continuant à dénoncer les totalitarismes. Sous toutes ses formes.

Lucie Aubrac n’était d’aucun autre camp que celui de l’humanité. Une femme ordinaire qui n’a jamais reculé, jamais renoncé, toujours disponible pour lutter contre les injustices, pour enseigner à la jeunesse le refus des dictatures. Elle pensait que chacun de nous était capable d’accomplir ce qu’elle a réalisé, qu’il fallait juste tenir les autres en plus grande estime que soi-même. Malgré ses handicaps, malgré la quasi-cécité que le soleil de Jérusalem lui infligea comme une peine supplémentaire, dans les années 90. Mais elle n’en parlait pas, ne le montrait pas. Elle puisait au cœur même de son amour pour les autres la force qui la caractérisait si bien.

Cette rencontre, comme celle d’autres résistants, sont de nature à susciter des engagements envers nos pairs, à se battre contre les tyrannies qui prennent diverses formes. Elles s’incarnent aujourd’hui dans les hyper-puissances financières, et sont combattues par de nouveaux résistants, tels Denis Robert, qu’il faudrait soutenir autrement que par nos silences ou par des « qu’est-ce que je peux faire ? ». Pour que nous ne soyons pas réduits à des unités économiques dont la tâche se borne à produire et consommer.

Je rappelle enfin que Lucie Aubrac a cosigné en 2004 un appel à la Résistance, censuré par les médias, et reproduit ci-dessous. On peut également consulter la version vidéo à l’adresse suivante : http://www.alternatives-images.net.

« Au moment où nous voyons remis en cause le socle des conquêtes sociales de la Libération, nous, vétérans des mouvements de Résistance et des forces combattantes de la France Libre (1940-1945), appelons les jeunes générations à faire vivre et retransmettre l’héritage de la Résistance et ses idéaux toujours actuels de démocratie économique, sociale et culturelle. Soixante ans plus tard, le nazisme est vaincu, grâce au sacrifice de nos frères et sœurs de la Résistance et des nations unies contre la barbarie fasciste. Mais cette menace n’a pas totalement disparu et notre colère contre l’injustice est toujours intacte.

Nous appelons, en conscience, à célébrer l’actualité de la Résistance, non pas au profit de causes partisanes ou instrumentalisées par un quelconque enjeu de pouvoir, mais pour proposer aux générations qui nous succéderont d’accomplir trois gestes humanistes et profondément politiques au sens vrai du terme, pour que la flamme de la Résistance ne s’éteigne jamais :

Nous appelons d’abord les éducateurs, les mouvements sociaux, les collectivités publiques, les créateurs, les citoyens, les exploités, les humiliés, à célébrer ensemble l’anniversaire du programme du Conseil national de la Résistance (C.N.R.) adopté dans la clandestinité le 15 mars 1944 : Sécurité sociale et retraites généralisées, contrôle des « féodalités économiques », droit à la culture et à l’éducation pour tous, une presse délivrée de l’argent et de la corruption, des lois sociales ouvrières et agricoles, etc. Comment peut-il manquer aujourd’hui de l’argent pour maintenir et prolonger ces conquêtes sociales, alors que la production de richesses a considérablement augmenté depuis la Libération, période où l’Europe était ruinée ? Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l’ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l’actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie.

Nous appelons ensuite les mouvements, partis, associations, institutions et syndicats héritiers de la Résistance à dépasser les enjeux sectoriels, et à se consacrer en priorité aux causes politiques des injustices et des conflits sociaux, et non plus seulement à leurs conséquences, à définir ensemble un nouveau « Programme de Résistance » pour notre siècle, sachant que le fascisme se nourrit toujours du racisme, de l’intolérance et de la guerre, qui eux-mêmes se nourrissent des injustices sociales.

Nous appelons enfin les enfants, les jeunes, les parents, les anciens et les grands-parents, les éducateurs, les autorités publiques, à une véritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation marchande, le mépris des plus faibles et de la culture, l’amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous. Nous n’acceptons pas que les principaux médias soient désormais contrôlés par des intérêts privés, contrairement au programme du Conseil national de la Résistance et aux ordonnances sur la presse de 1944.

Plus que jamais, à ceux et celles qui feront le siècle qui commence, nous voulons dire avec notre affection : « Créer, c’est résister. Résister, c’est créer ».

Signataires :

Lucie Aubrac, Raymond Aubrac, Henri Bartoli, Daniel Cordier, Philippe Dechartre, Georges Guingouin, Stéphane Hessel, Maurice Kriegel-Valrimont, Lise London, Georges Séguy, Germaine Tillion, Jean-Pierre Vernant, Maurice Voutey.


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