Lure, Haute-Sâone, se mobilise pour un parrainage républicain avec risques et périls

par Pierre R. Chantelois
vendredi 20 février 2009

Selon le Réseau Éducation sans frontières, la famille Turabi Tatli, de nationalité turque et d’origine kurde, arrive en France en 2001 avec leurs trois enfants, Halil, Gizem et Gözde. La famille obtient, en janvier 2003, une « Autorisation Provisoire de Séjour » pour raison de santé : « Mme Tatli, malade, est suivie régulièrement à Reims. Les soins dont elle bénéficie peuvent être reçus en Turquie mais sous réserve d’en avoir les moyens (ce qui n’est pas le cas) ».

En 2001, M. et Mme Tatli suivent des cours de langue française avec l’AHMI afin de pouvoir s’intégrer rapidement. Dès qu’il en a eu la possibilité légale (en 2003), Turabi Tatli trouve un emploi et réussit à assumer les besoins de sa famille. Habitant Saint-Dizier (Haute-Marne), élevés dans une famille parfaitement intégrée, les deux aînées sont scolarisées dès leur arrivée en France, le plus jeune ayant suivi toute sa scolarité en France. Titulaire d’un CDD dans l’entreprise luronne Keko, le père s’est vu proposer un CDI chez le même patron. Bref, comme l’indique si bien Réseau Éducation sans frontières, La famille est parfaitement intégrée : autonomie, réussite éducative et scolaire des enfants, stabilité.

Tout bascule le 14 janvier 2008. La famille reçoit une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français). Le 28 septembre 2008, la direction du travail émet un avis défavorable à leur encontre. Le 19 février 2009, nous y sommes, la famille a l’obligation de quitter le territoire français.

 

Photo Gérard Faivre

À la fin d’août 2008, Turabi Tatli, son épouse et leurs enfants, arrivent à Lure. Peu de gens connaissent la détresse de cette famille. Deux raisons motivent ce choix de Lure : l’éducation des enfants et le rapprochement d’autres membres de la famille, un oncle et des cousins. « En raison de l’état de santé de son épouse qui nécessite parfois des hospitalisations et laisse donc les enfants seuls à la maison, cette famille rapprochée pourrait, le cas échéant, être disponible en cas de problème ».

À Lure, en Haute-Sâone, Halil fréquente l’école du Centre. Gözde fréquente le lycée Colomb. Gizem étudie au collège du Mortard. Les parents des trois établissements scolaires ont appris le drame de la famille Tatli. C’est l’incompréhension face à cette « procédurite aigüe » d’un État sans compassion. Consternation et mobilisation débordent le cadre des établissements scolaires. La famille kurde était reçue en mairie le lundi 16 février à 17 h.

Photo : Posuto

Le maire de cette municipalité de 8000 habitants, Lure, monsieur Eric Houlley, a décidé de se prévaloir d’une disposition bien spéciale pour soutenir en un fort symbole cette famille kurde en détresse : « le parrainage républicain ». Ce parrainage consiste, la plupart du temps, en une aide active qui peut, notamment, prendre la forme de fourniture de moyens d’hébergement, de subsistance, de documents ou encore de transport. Comme l’explique Arthur Porto, de Médiapart, le sort fait aux personnes dites « sans-papiers » est révoltant par les méthodes, les menaces et l’arbitraire dont elles sont victimes. C’est devant ce constat que des Municipalités, depuis deux ou trois ans, ont remis à l’ordre du jour le « parrainage civil », créé pendant la Révolution Française « redonnant du corps à notre conception républicaine d’accueil et d’asile qui a toujours été une valeur fondamentale de la France ».

Le déroulement est simple, comme le montre Médiapart : « Le Maire ou son Adjoint accueille dans sa mairie, dans sa ville, et finalement dans notre République, ces personnes sans-papiers. Une carte et un diplôme de parrainage avec le logo de la ville, mentionnant le nom de l’élu et du citoyen qui s’engagent conjointement à les protéger. Les parrains et les marraines sont des personnes qui décident de s’engager solidairement auprès de ces personnes venues d’ailleurs et en s’opposant « aux atteintes et violations des droits des étrangers  ».

Michel Charasse, ancien ministre du PS et actuel sénateur du Puy-de-Dôme, est membre de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation. Jean-Michel Apathie le décrit en ces termes : « Certains jours, Michel Charasse est unique : au micro ou loin du micro, le propos est le même. D’autres jours, Michel Charasse est double : il a, hors micro, des mots très éloignés de ceux qu’il choisit devant le micro ». Le 10 juillet dernier, le sénateur Charasse adresse cette question écrite à Mme la ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales. Il l’a prie de : « bien vouloir lui faire connaître si le fait, pour des élus et notamment pour des maires, d’organiser des cérémonies publiques intitulées « Parrainage Républicain » en faveur d’étrangers séjournant irrégulièrement sur le territoire français peut être considéré comme constituant le délit d’aide à séjour irrégulier et donner lieu à des poursuites pénales ».

L’État veille. Il ne peut accepter une dérogation, si minime fut-elle, à l’atteinte de ses quotas d’expulsion. C’est le garde des sceaux et ministre de la Justice qui répond au sénateur Charasse. Elle se déclare particulièrement attentive à la réponse judiciaire apportée dans le cadre de la lutte contre l’immigration clandestine qui passe notamment par la poursuite de l’aide à l’entrée et au séjour irrégulier. Ces derniers faits sont définis par l’article L. 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers en France qui prévoit que « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 euros ».

À la lumière des décisions des juridictions pénales et de la jurisprudence de la Cour de cassation, écrit le garde des sceaux, « sont le plus souvent retenus, pour caractériser cette infraction, des agissements consistant en une aide active qui peut, notamment, prendre la forme de fourniture de moyens d’hébergement, de subsistance, de documents ou encore de transport. Pour autant, compte tenu du caractère assez général de l’incrimination, on ne saurait exclure que puisse être retenue comme aide au séjour une abstention délibérée de la part d’un agent public ou d’une personne dépositaire de l’autorité publique qui a le devoir ou le pouvoir de faire cesser une infraction et qui volontairement s’en abstient. Dans ces conditions, et en fonction d’une appréciation concrète des actes de parrainage, l’hypothèse de poursuites pénales sur le fondement de l’aide au séjour irréguliers ne peut être totalement écartée ».

Par solidarité, il faut appuyer la démarche du maire de Lure, monsieur Eric Houlley, des élus et élues locaux et régionaux, de la population et des professionnels et professionnelles de l’enseignement. Ces gens courageux n’ont pas hésité à faire appel au « parrainage républicain » pour élever, au-dessus des quotas d’immigration, la vie, l’avenir et le bonheur de la famille Turabi Tatli, bien intégrée dans son milieu. Merci aux Posuto pour l’information et leur engagement.

En rappel, cette vidéo lourde de sens.


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