Lutte contre le hooliganisme et plus encore

par Julien
mardi 22 septembre 2015

Peu évoquée et encore plus rarement remise en question dans les médias, la lutte contre le hooliganisme est pourtant le théâtre de nombreuses dérives et l'occasion pour toute une classe de faire un ménage beaucoup plus large autour des stades. Entre bafouement des libertés et exclusion des pauvres, bienvenue dans le football moderne.

Qu’il suive ou non le football, tout quidam un peu au fait de l’actualité aura entendu parler des « ultras ». Ces derniers sont depuis quelques années dans le viseur des autorités, bien relayés par des médias jamais bien loin lorsqu’un sujet semble pouvoir permettre de faire sensation et/ou de semer la peur. Pourtant, bien que certains d’entre eux se rendent parfois coupables de violences, la majorité des ultras ne demande qu’à supporter son club, « partout, toujours » et à passer de bons moments « entre potes ». Ainsi, si l’on pouvait comprendre la volonté des autorités de faire face à la violence des hooligans, la répression qui sévit désormais dans le milieu ultra, et plus largement encore, semble déjà beaucoup moins légitime.

Hooligan, ultra, qu’est-ce que c’est ?

Pour comprendre tout ça, reprenons au début et à la naissance des mouvements hooligan et ultra. Concernant le hooliganisme, il apparait autour des terrains et de manière significative au cours des années 60. Il existait bien une violence auparavant, mais elle n’était pas organisée, plutôt spontanée, et souvent liée à l’aspect sportif. Ainsi, une erreur d’arbitrage coûtant la victoire à une équipe, pouvait être suivie de violences improvisées de la part d’une partie du public. Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’on peut trouver, jusque dans les années 80, des journalistes justifiant ces violences (par exemple, lorsqu’un arbitre a commis une erreur d’arbitrage ou encore face à des provocations policières). Aujourd'hui, et depuis environ 50 ans, cette violence est organisée et n'est plus nécessairement la conséquence de ce qui se passe sur le terrain. Depuis l’avènement du hooliganisme, il est dans la majorité des cas décidé qu'il y aurait des affrontements entre supporters bien avant le début d'un match. Les hooligans sont organisés en groupes indépendants du club (appelés « firms » outre-Manche) et supportent leur équipe, à domicile comme à l’extérieur, par l’intermédiaire de chants et de combats de rue face aux groupes adverses.

Face aux défilés des groupes anglais dans les villes européennes, le mouvement ultra nait en Italie au tournant des années 70. A l’instar des hooligans, ils sont indépendants et ont pour objectif de suivre et de supporter leur club « partout, toujours ». Comme eux, ils misent sur les chants pour ce faire, néanmoins, bien qu’ils existent également dans le milieu ultra, les affrontements de rue y sont moins prioritaires et moins systématiques.

Plus organisés et comptant plus de membres que les firms anglaises, ils ne se contentent pas de chants et de « fights » pour défendre l’honneur de leur club et de leur ville. La première différence majeure concerne les « tifos ». Ces animations réalisées par les groupes ultras sur leurs fonds propres donnent au stade une dimension nouvelle et sont l’occasion pour chacun d’entre eux de faire montre de leur puissance et de leur créativité. Les ultras se veulent également une sorte de garde-fou de l’identité de leur club et du football en général. Ainsi, nombreux sont les groupes à s’être opposés à la direction de leur club, de leur fédération ou aux pouvoirs politiques (mauvaise gestion, prix des places, horaires, « foot business », répression...). En France, c’est ce mode de supporterisme qui s’est majoritairement imposé dans les tribunes.

Les mesures mises en place pour lutter contre les hooligans et ultras

Face aux problèmes liés à la violence autour des stades, la première réponse d’ampleur viendra de Margaret Thatcher. La Dame de Fer avait une appétence certaine pour l’ordre et la sécurité et la politique qu’elle mettra en place pour faire barrage au hooliganisme s’inscrira parfaitement dans une vision idéologique plus globale. Parmi les mesures imposées par Maggie, on retiendra, pêle-mêle : contrôles renforcés, fichage, vidéo-surveillance, infiltration des firms, obligation de rester assis dans le stade, hausse drastique des prix... tout un programme ! D’aucuns diront que les problèmes de violence ont été solutionnés du côté de la Perfide Albion et c’est en partie vrai, mais en partie seulement, les « fights » autour des stades anglais restent bien plus fréquentes qu’en France, par exemple, et puis : à quel prix ? Baisse considérable du niveau des ambiances en Angleterre (même à Liverpool, dont on nous rabâche que les supporters y sont formidables, en dehors de quelques poussées impressionnantes, l’ambiance n’y a rien d’exceptionnel), bafouement des libertés individuelles, discrimination par les prix, plus que la dimension violente des stades, c’est sa dimension populaire qui a été mise à mal.

Ces recettes appliquées par Thatcher, nous les retrouvons désormais en France, et en particulier du côté du PSG. Et s’il est vrai que la violence avait atteint du côté du Parc des Princes un niveau inquiétant, il n’en reste pas moins vrai que les méthodes pour y faire face sont dignes d’un roman d’Orwell. Tous les moyens cités plus haut dans le cas anglais sont vérifiés dans dans celui du PSG. Viennent s’y ajouter des interdictions toutes plus discutables les une que les autres. Nombre de ceux qui se sont vus interdire de stade ne l’ont été qu’en qualité de membres ou sympathisants de groupes ultra, alors qu’ils ne se sont jamais rendus coupables d’actes justifiant cette interdiction. Aujourd’hui, le Parc est calme, très calme, contraste saisissant d’une l’époque, pas si lointaine, où vous pouviez à peine vous entendre chanter au sein du parcage visiteur, alors situé au pied de la très bruyante tribune Auteuil. Récemment, l’un leaders des nouveaux supporters s’est vu annuler son abonnement pour avoir contesté le prix des places. La CNIL condamnera d’ailleurs le PSG pour « exclusions arbitraires » et « fichage illégal ».

De l'anti-hooliganisme à l'anti-supporterisme

De la répression des hooligans, nous sommes donc passés à celle des ultras, et récemment, un nouveau fichage a été mis en place, ne concernant plus seulement les hooligans et ultras, mais tous les supporters du PSG. L’ADAJIS et la LDH ont lancé une procédure d’urgence devant le Conseil d’État pour la faire annuler, mais ce nouveau pallier franchi par l’État en complicité avec le club parisien témoigne d’une dérive sécuritaire et liberticide inquiétante. Car ces mesures ne se limitent pas au PSG, nombreux sont les supporters qui voient leurs libertés mises à mal, en particulier lorsqu’ils suivent leur club à l’extérieur. Pour un déplacement à Lille en tant que visiteur, il est par exemple obligatoire de rejoindre l’escorte de CRS à une heure imposée, à l’extérieur de la ville. Une fois arrivé au stade, 3 fouilles sont de mise : une première, classique mais appuyée, une deuxième, par groupes de 5 contre un mur, jambes écartées et une troisième, par un chien. Et il vous sera demandé 25€ pour la place (contre 10 dans la majorité des stades de France en parcage visiteurs). Pour la première fois, lors de la saison 2014-2015, pour la rencontre Saint-Étienne – Nantes, le même principe a été imposé à l’intégralité de supporters nantais désireux de se rendre au stade Geoffroy Guichard. Il leur était demandé de rejoindre les forces de l’ordre à 10h du matin (pour un match à 14h) à un péage à l’extérieur de la ville, endroit à partir duquel il leur était imposé d’emprunter des navettes qui leur seraient facturées 10€. Quelques semaines plus tard, on demandera plus ou moins la même chose aux supporters du FCN comptant se rendre à Bordeaux. Le principal groupe nantais, la Brigade Loire, a boycotté ces 2 déplacements, après avoir proposé une solution alternative et raisonnable aux autorités, proposition qui s’est bien sûr heurtée à un mur. Ces mesures sont désormais monnaie courante pour plusieurs clubs de Ligue 1. Cette saison encore, pour les deux déplacements à Bordeaux et Saint-Étienne, les autorités ont une nouvelle fois imposé à tous les nantais des conditions similaires. Pour le dernier match de la saison 2014-2015, Nantes se rendait à Amiens pour y affronter Lens, match pour lequel un arrêté préfectoral interdisait à tous les nantais de se rendre au Stade de la Licorne. Pour justifier cette interdiction totale ledit arrêté s’appuie sur une succession de mensonges faisant par exemple mention d’« un contentieux permanent opposant les groupes ultras des deux clubs depuis plusieurs années » alors que les Red Tigers et la Brigade Loire, groupes ultras des deux clubs, se sont retrouvés, par hasard dans le même camping à Bastia la saison précédente et qu’aucun incident ne fut à déplorer et qu’aucune rivalité particulière ne les oppose. Et ça n’est là que l’un des arguments mensongers de cet arrêté... Pour les nantais s’étant risqués à braver l’interdiction, la réponse sera cinglante : 16 supporters placés en garde à vue qui rapporteront avoir été arrêtés pour possession d’une carte d’identité faite à Nantes ou encore pour une plaque d’immatriculation 44. Au commissariat, certains policiers eux-mêmes feront part de leur surprise. Et les nantais ne sont pas les seuls à subir pareils abus... De toute évidence, l’objectif n’est plus seulement de juguler les mouvements hooligan et ultra.

De plain-pied dans le néo-libéralisme

Le football est un sport populaire par essence. Il n’est besoin de rien, ou presque, pour le pratiquer et historiquement, ce sont les tribunes dites populaires qui ont animé les stades. Mais voilà, dans ces tribunes se sont crées des groupes contestataires, indépendants et parfois violents (de plus en plus rarement) et ces groupes sont un caillou dans la chaussure des thuriféraires de ce football moderne qu’on appelle « foot business ». Cette tournure moderne n’est autre que l’entrée du football dans le néo-libéralisme : les clubs sont aujourd’hui de véritables firmes multinationales, la dérégulation économique est devenue la règle et les sommes en jeu sont exorbitantes. Une oligarchie est en train de faire main basse sur le football. Rien qu’en France, de François Pinault aux oligarques russes en passant par les hautes sphères des pouvoirs qatari et azerbaïdjanais, plusieurs milliardaires ont acheté un club. Et ces milliardaires, avec la complicité bienveillante des États, entendent bien adapter le football à leur vision de la société : un monde des stades sécuritaire mais liberticide, où l’ordre règne mais qui manque cruellement de passion et surtout – surtout ! - un monde dans lequel les prix pratiqués débarrasseraient les stades des pauvres, ces pauvres qui ne peuvent pas acheter les produits dérivés. Car au stade comme ailleurs, désormais, on vient pour consommer.


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