M. Jack Lang promet dans un livre d’agir « demain comme hier » : est-ce si alléchant ?

par Paul Villach
lundi 4 mai 2009

M. Jack Lang a éprouvé le besoin de se raconter dans un livre d’entretiens avec le journaliste J.-M. Helvig, qui vient de paraître, intitulé « Demain comme hier  » (1). Pourquoi ? Sans doute a-t-il souhaité se faire mieux connaître et se montrer prêt pour « demain » à assumer les plus hautes fonctions en rappelant tout ce qu’il a fait « hier ». Son échec face à Mme Royal dans la course à l’investiture socialiste pour la dernière présidentielle ne l’a pas découragé. Sa popularité, selon lui, ne faiblissant pas, il reste sûrement convaincu de conserver encore toutes ses chances.

 
Une stature de présidentiable

Il s’attache, en effet, à montrer de lui une stature, voire une statue, susceptible de faire de lui un présidentiable pour 2012. Celles-ci reposent sur un socle indéniable, celui de l’expérience qui associe à la fois le savoir et la pratique. M. Lang a des connaissances étendues. Il rappelle qu’il est d’abord un juriste de haut niveau en insistant sur son titre d’agrégé de droit, spécialisé aussi bien en droit fiscal ou international qu’en droit constitutionnel. C’est à ce titre d’ailleurs qu’il a participé à la commission Balladur chargée de préparer une révision constitutionnelle votée en juillet 2008, à une voix près, la sienne, dit-on, au grand dam de ses amis socialistes qui l’ont rejetée.

Mais M. Lang s’est surtout fait connaître par une activité intense et multiforme dans le domaine culturel, en commençant par le théâtre et le festival international de Nancy qu’il a créé. De fil en aiguille, il a investi bientôt le champ culturel tout entier. Existe-t-il un seul art qui lui soit étranger ? Son immersion dans les milieux culturels divers l’ont tout désigné pour être le ministre de la culture du président Mitterrand autour duquel il avait réuni tous les artistes qui à l’époque comptaient. Sa longévité dans le poste n’a d’égal que celle d’André Malraux, ministre du Général de Gaulle. L’Éducation nationale s’est ensuite tout naturellement ajoutée à son champ de compétences, au point d’avoir été un temps à la fois ministre de la culture et de l’éducation.

Une telle exposition continue sur le devant de la scène politique a enrichi, on l’imagine, un carnet d’adresses époustouflant. De quel dirigeant étranger n’est-il pas proche ? Qui ne connaît-il pas ? De qui n’est-il pas l’ami ? On devine comme il a pu être précieux pour organiser au pied levé réunions, manifestations, colloques, forum en tout genre sous la présidence mitterrandienne. Le président Sarkozy l’a ainsi récemment chargé d’une mission d’exploration à Cuba. Il a tant d’amis de par le monde et dans presque toutes les familles politiques. M. Lang n’est pas un sectaire, il est profondément tolérant. Il aime à saluer les grandes qualités de ses adversaires politiques : pour lui, par exemple, le président Sarkozy est « un personnage hors normes » qui l’impressionne. Il n’hésite pas au besoin à faire acte de contrition pour certaines de ses critiques qu’avec le recul, il juge excessives à leur égard.

Une vénération aveugle pour François Mitterrand

Surtout, M. Lang a un modèle, François Mitterrand qui a fait sa carrière politique. On le savait prosterné devant son mentor. Il le confirme. Entré progressivement dans les années 70 dans les premiers cercles qui gravitaient autour du futur président, il s’est dévoué à lui corps et âme. Il n’a que louange à la bouche à son égard et rejette les critiques qui pourraient lui être faites. Ainsi s’explique qu’il tienne toujours rigueur, par exemple, à M. Rocard de l’indigne audace avec laquelle il a tenté d’écarter F. Mitterrand de la présidentielle de 1981. Il n’a pas apprécié davantage la critique de M. Jospin rêvant pour F. Mitterrand d’ « un parcours moins sinueux ». M. Lang ne juge pas qualifié pour donner pareille leçon quelqu’un comme M. Jospin qui a longtemps joué la taupe trotskiste au Parti Socialiste. La relation de F. Mitterrand avec Bousquet, le chef de la police de Vichy ne contient, en tout cas, pas l’ombre d’un nuage pour M. Lang : Bousquet, selon lui, n’était pas un ami du président, il avait été réhabilité à la libération et on le croisait dans nombre de conseils d’administration. La seconde famille de M. Mitterrand ? M. Lang n’était pas au courant. On doit le croire sur parole. Il a dû avoir la surprise de sa vie à ses obsèques.


Surtout, il passe sous silence les forfaitures qui frappent d’infâmie le règne mitterrandien. M. Lang, le défenseur des droits de l’homme à des milliers de kilomètres sur la planète, n’a pas un mot pour les sordides affaires de la présidence, comme « l’affaire des Irlandais de Vincennes » et celle des « écoutes téléphoniques de l’Élysée », qui ont vu le pouvoir exécutif et l’autorité judiciaire œuvrer de concert pour violer les droits fondamentaux de la République. M. Lang, le juriste, ne paraît pas s’en être ému. Il est vrai que ses activités dans le domaine culturel ne lui laissaient guère de temps, du prix unique du livre ou de la création de fêtes conviviales à la chasse des voitures des conseillers d’État dans la cour du Palais Royal par la plantation des plots zébrés de Buren, en passant par le suivi des grands chantiers architecturaux présidentiels, comme le Louvre et ses merveilleuses pyramides de verre.

Le chaos à l’Éducation nationale avec ou sans lui

Il ne pouvait donc être au pressoir et au moulin. C’est pourtant l’image inverse qu’il entend donner de lui pour « demain », celle d’un politique aguerri omnipraticien, en droit comme en relations internationales, en droits de l’homme ou en projets culturels et éducatifs. Mais si son investissement dans le domaine de la culture ne peut lui être contesté, en est-il de même en matière d’éducation ? C’est moins sûr. Lors de ses deux passages au ministère de l’Éducation nationale, au début des années 90 et 2000, son action, à vrai dire, ne s’est guère distinguée de celle de ses prédécesseurs.


- Ce sont les années où le formalisme échevelé a déferlé sur l’enseignement du Français en particulier dans les collèges et les lycées : on s’est préoccupé d’apprendre aux malheureux élèves à classer les discours selon leur forme (narrative, descriptive, explicative, argumentative, et même informative !) en oubliant de les trier d’abord en fonction de leur fiabilité, comme si on classait les champignons selon leur pied et leur chapeau en ne distinguant pas les toxiques des comestibles : on voit d’ici les dégâts dans les deux cas ! Il n’est que de voir, du reste, la qualité de l’information aujourd’hui disponible. On ne raconte de bobards qu’ à ceux qui ne sont pas capables de les repérer. Les médias officiels auraient tort de se gêner avec des récepteurs aussi égarés grâce à leur formation initiale.


- Face à la laïcité combattue par un islamisme militant, la riposte de M. Lang a été identique à son prédécesseur, M. Jospin : l’atermoiement et le pourrissement, avec des coups par coups contradictoires selon les établissements, ont permis à l’adversaire de se montrer toujours plus audacieux jusqu’à ce qu’en 2004, une loi soit enfin jugée nécessaire pour écarter de l’école tous signes ostentatoires d’un prosélytisme religieux.


- Que dire de la violence à l’école – qualifiée d’abord d’ "incivilité" par un délicieux euphémisme - qui s’est propagée dans les années 90 comme une traînée de poudre ? M. Lang prétend avoir été le premier à prendre des mesures pour la combattre. On n’en a pas vu l’efficacité. Surtout, pas plus que ses prédécesseurs, il n’a imposé à l’administration de l’Éducation nationale de commencer par donner l’exemple en respectant la loi : le devoir de protection statutaire des professseurs attaqués à l’occasion de leur fonction a été quasi systématiquement violé par la hiérarchie. On ne sache pas que M. Lang s’en soit préoccupé.

Un penchant pour la démagogie

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si M. Lang a apprécié le film « Entre les murs », exemple parfait du désastre où conduit la démagogie. Il ose trouver « passionnants » dans ce film « les rapports humains entre violence et tendresse ». La blague ! Il est significatif que l’humiliation du professeur lui échappe, non seulement celle que lui infligent en permanence des élèves devant qui il est abandonné sans défense, mais surtout celle du principal qui l’oblige à refaire son rapport pour y mentionner ses propres propos jugés contestables envers l’élève qui l’a injurié ! C’est ainsi que travaille à vulnérabiliser quotidiennement les professeurs l’administration de l’Éducation nationale.

Le titre d’un des livres de M. Lang résume d’ailleurs son penchant pour la démagogie : « Une école élitaire pour tous », a-t-il osé revendiquer. Le démagogue aime le paradoxe violent, même s’il ne signifie rien, du moment que chacun croit entende ce qu’il aime. M. Lang se définit pareillement comme « un archaïque d’avant-garde ». Comprenne qui pourra !

Ce n’est donc pas par hasard non plus s’il a jugé bon de décorer de la légion d’honneur la secrétaire générale du SNES, le 11 décembre 2001, Mme Vuaillat dont il fait l’éloge. Entre permanents syndicaux et politiques, on s’entend comme larrons en foire ! Le cocasse est tout de même l’idée que M. Lang se fait des décorations : « Je n’aime pas les décorations, avertit-il. Il faudrait les supprimer au moins pour les élus.(…) C’est un détestable instrument d’allégeance au pouvoir. » Message transmis à la syndicaliste récipiendaire qui avait, à l’époque, salué avec emphase sa distinction comme « un hommage aux professeurs, aux femmes et aux syndicalistes » (Le Monde, 13.12.2001) ! Tu parles, Charles ! On l’avait alors compris, avant que M. Lang n’en livre le mode d’emploi : c’était le baiser mortel du pouvoir à un syndicalisme qui n’était plus le contre-pouvoir qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être. Voilà encore un joli résultat de la Gauche au pouvoir : la domestication des syndicats.

« Demain comme hier » est donc une promesse bien peu alléchante. Qui a envie que « demain » soit comme « hier » ? Et dire que M. Lang a eu pour premier modèle Pierre Mendès-France ! Le maître reconnaîtrait-il l’élève ? Paul Villach

(1) Jack Lang, avec Jean-Michel helvig, « Demain comme hier », Éditions Fayard, Coll. Témoignages pour l’Histoire, 2009.
 

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