M.Macron et le discours d’Istres : sparadrap, pommade et enfumage sur une crise politique et militaire aux conséquences trop prévisibles

par Renaud Bouchard
samedi 22 juillet 2017

Les officiers généraux parlent peu. Ils écrivent. Mais lorsqu'ils parlent et écrivent il vaudrait mieux les écouter et les lire attentivement.

« Their business is war, and they do their business. » - R. Kipling, France at war (1915)

«  Dans les circonstances actuelles, je considère ne plus être en mesure d’assurer la pérennité du modèle d’armée auquel je crois pour garantir la protection de la France et des Français  »

Général P. de Villiers

 

I-Un constat

Sur le plateau du "Vélo Club" de France 2, M.Emmanuel Macron n'a pas fait que rendre hommage au général de Villiers démissionnaire. Au contraire, il l'a une fois de plus mis en cause, inutilement. Évoquant la nomination du général François Lecointre aux fonctions de nouveau chef d'état-major des armées, le président de la République a en effet déclaré : "Il aura non pas un budget à défendre, parce que ce n'est pas le rôle du chef d'état-major, c'est le rôle de la ministre des Armées. Il aura des troupes à conduire, des opérations à mener, une stratégie, des capacités à défendre et à proposer au chef des armées qui est le président de la République. C'est comme ça que la République fonctionne bien. Voilà".

Hé bien non, M. le Président, ce n'est pas exactement comme cela que fonctionne la République et il est infiniment regrettable que vous ne l'ayez pas compris, ce qui est fort préoccupant sinon inquiétant pour l'avenir et les suites de la situation que vous avez créée.

 

- Vous n'avez pas compris que si le CEMA a démissionné c'était pour vous priver du plaisir de se faire congédier comme un larbin, étant ici précisé que dans les bonnes maisons lesdits employés de maison savent parfaitement être respectueux des maîtres qui les respectent, détail qui semble vous avoir singulièrement échappé.

 

- Vous n'avez pas compris que face à un quidam arrivé au pouvoir dans un mouchoir de poche électoral à la suite d'un coup de force judiciaire, face à un Narcisse ivre de son succès et tout entier préoccupé par la contemplation de son image dans le reflet de l'eau, un véritable aristocrate incarnant la France militaire dans une discrète mais prestigieuse lignée dévouée au métier des armes venait tout simplement de brouiller votre image.Avec tact et talent. On ne se refait pas, tradition oblige.

 

- Vous n'avez pas compris que si un train peut en cacher un autre - comme chacun sait -, qu'un général peut aussi en éclipser un autre - comme on vient de le voir -, un président pourrait très bien succéder à un autre beaucoup plus rapidement que vous ne sauriez l'imaginer. Car voyez-vous, en matière d'exercice du Pouvoir, les faux-pas ne pardonnent pas. Le général de Villiers a démissionné et est parti en pleine gloire, laissant le petit coq fier de s'être dressé sur ses ergots parader au milieu de la basse-cour.

 

Permettez-moi M. le Président de vous souffler un conseil : remettez vous aussi votre démission tant qu'il en est encore temps avant que d'être mis aux arrêts.

 

Vous avez (mal) joué et vous avez perdu la confiance des Armées et de la nation toute entière. Le film est terminé et les lumières de la salle se rallument.

J'espère simplement que tout ceci ne se soldera pas, faute de budget adéquat, par l'annonce regrettable d'une disparition et d'une dissolution prochaine de la souveraineté militaire française dans une armée européenne ainsi qu'on peut désormais légitimement le craindre.Si tel est le cas nul doute alors que les premiers intéressés, la France et ses armées, sauront réagir car il n'y aura pas d'autre avertissement.

 

https://www.theguardian.com/world/2017/jun/06/eu-defence-funds-plan-drones-military-technology

 

http://foreignpolicy.com/2017/05/22/germany-is-quietly-building-a-european-army-under-its-command/

 

http://www.telegraph.co.uk/news/2017/05/20/new-eu-army-headquarters-branded-little-call-centre/

 

II- Une crise de régime ouverte ?

 

La crise désormais ouverte va très probablement s’aggraver. Elle revêt en effet de multiples facettes et le conflit avec l’institution militaire n’est pas près de s’effacer. Le mal est trop profond. La maladresse de M. Macron laissera des traces. Le « discours » d’Istres va rapidement se révléler n'être qu’un pâle « baratin » de circonstance avec des considérations générales qui n’auront trompé personne. Il n’est qu’à entendre les applaudissements polis et discrets qui ont conclu cette opération de lissage du poil et de "cirage de pompes" pénible à regarder pour comprendre de quoi il retourne : personne n'est dupe de ce qui a été dit, pas plus le président que ses auditeurs.

On ajoutera à cette situation difficile le comportement très « mauvais joueur » et particulièrement stupide du porte-parole du gouvernement, M. Christophe Castaner, qui n'a pu s'empêcher d'en rajouter une couche en déclarant :

-« Le chef d’état-major a été déloyal dans sa communication, il a mis en scène sa démission. »

-« On n’a jamais vu un Cema [chef d’état-major] s’exprimer via un blog, ou faire du off avec des journalistes ou interpeller les candidats pendant la présidentielle, comme cela a été le cas. Il s’est comporté en poète revendicatif. On aurait aimé entendre sa vision stratégique et capacitaire plus que ses commentaires budgétaires. »

Nul doute que le « poète » appréciera.

Il est évident que de tels propos, fort malvenus de la part d’un « porte-parole du Gouvernement » - poste et fonctions qui à mes yeux exigent des qualités de subtilité et de diplomatie réelles -, ne peuvent qu’entraîner une aggravation de la rupture en cours entre le pouvoir civil et l’autorité militaire.

Quant à qualifier l’ex-CEMA de « poète revendicatif » dont « on aurait aimé entendre (la) vision stratégique et capacitaire plus que ses commentaires budgétaires », M. Castaner parle d’or et a là encore à mon avis manifestement perdu une précieuse occasion de se taire tant ses propos pourraient bien plutôt concerner M. Macron dont la « vision stratégique et capacitaire ainsi que ses commentaires budgétaires » n’ont manifestement pas convaincu les foules et encore moins les Armées. Il est manifeste que le général Lecointre, successeur du général de Villiers, va avoir fort à faire pour remonter une situation délicate désormais devenue complexe.

Sur le fond la situation ne se règlera donc pas de sitôt car l’institution militaire est sortie de son mutisme et s’est mise à parler haut et fort pour affirmer des vérités fondamentales plus que jamais importantes dans un monde devenu in certain.

Ainsi le général Vincent Desportes, évoquant la « plus haute crise politico-militaire en France depuis le putsch des généraux [contre De Gaulle] en 1961 », n’a-t-il pas hésité à appuyer son collègue en déclarant à propos du général de Villiers :

« Il a raison de défendre ses moyens et de démissionner. Son rôle est d’assurer la défense des Français. Le président Macron n’a pas tenu ses engagements. »

M. Macron a été élu dans un mouchoir de poche et ne bénéficie que d’une légitimité politique restreinte qui ne reflète pas la volonté profonde et complète de la France.
Celle-ci a compris qu’il se passait quelque chose de grave qui révélait l’extrême fragilité d’un système constitutionnel désormais en sursis.

Si l’on ajoute à cela la perception évidente que les acrobaties budgétaires et les rétropédalages dont les Armées on fait et sont encore l’objet sans que la question soit pour autant réglée sont consécutives aux mesures d’austérité dictées par Bruxelles et l’Allemagne qui pèsent donc sur la Défense nationale, il devient évident que la perspective d’un accident (attentat ou pertes militaires - matérielles et humaines toujours possibles, inévitables mais désormais accrues eu égard aux difficultés rencontrées par les armées dans la conduite de leurs missions-, accident survenant à l’occasion d’un engagement des armées à l’étranger, matériels obsolètes et usés), règlera brutalement la question et mettra un terme à la « pommade » et aux enfumages dont les militaires sont loin d’être dupes.

Nul doute que dans d’autres circonstances qui se traduiraient par exemple par une perte de souveraineté militaire nationale insupportable – on reviendra prochainement sur cette grave question -, l’idée d’un putsch militaire ou à tout le moins d'une reprise en mains de la situation traverserait alors les esprits. Cela s’est déjà vu, la déclinaison des remises en cause politiques sous forme de pronunciamiento, putsch ou Coup d’État - qui trouve d’ailleurs son origine en France avec le Coup d’État des 18 et 19 Brumaire An VIII (9 et 10 novembre 1799) et celui de Napoléon III survenu le 2 décembre 1851- étant loin de constituer une hypothèse d'école en cas de troubles politiques et de crises de régime.La France est loin d'âtre un pays de stabilité politique immuable.

Chacun pourra toutefois penser - histoire de se tranquilliser à bon compte -, qu’à notre époque la survenance de pareil soubresaut est désormais impossible mais les événements d’Algérie qui ont conduit à une tentative de putsch avortée (« Putsch d’Alger » du 21 avril 1961) succédant à l’arrivée au pouvoir du général De Gaulle avec le « Coup d’État démocratique » du 13 mai 1958, rappellent qu’en la matière rien n’est impossible. Que l'on se rassure ! Seules changeront les modalités avec, pourquoi-pas ? un revirement politique, une lame de fond citoyenne et parlementaire qui déciderait d'un changement de chef constitutionnel, le président devenant alors une « variable d'ajustement » pour remédier à une situation "managériale" complexe dans la nouvelle start-up France...

En à peine trois semaines, le contexte s’est considérablement dégradé. En désaccord avec le chef de l'Etat sur les coupes budgétaires imposées à la défense, le général de Villiers – quasiment inconnu du grand public -, a signé, avec sa lettre de démission un geste sans précédent sous la Ve République qui marque la première crise ouverte du quinquennat.

Symbole des tensions qui agitent l’armée française, l'état-major (le détail est notable) a publié une video sur laquelle on voit le général de Villiers quitter le ministère de la Défense sous les applaudissements de dizaines de militaires en tenue qui lui dressent une haie d'honneur, dans un tweet intitulé « Merci ». Le discours d'Istres n'aura servi à rien.

Sources :

 

Merci. pic.twitter.com/cjSdmf0PYl
— État-Major Armées (@EtatMajorFR) 19 juillet 201

 

http://www.leparisien.fr/politique/emmanuel-macron-a-istres-pour-entamer-la-reconciliation-avec-les-militaires-20-07-2017-7145667.php

 


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