M. Mélenchon et les médias : ne met-il pas la charrue avant les bœufs ?

par Paul Villach
jeudi 28 octobre 2010

Interviewé, mardi 26 octobre 2010, sur RMC dans l’émission, « Les grandes gueules  », M. Jean-Luc Mélenchon, président du Parti de Gauche, s’en est pris une nouvelle fois à des journalistes de télévision (1). Après David Pujadas qu’il avait traité récemment de « larbin » et de « salaud », c’est surtout Laurence Ferrari qui, cette fois, a été habillée pour l’hiver : il a révélé son salaire extravagant d’ 1,1 million d’euros par an, qui détermine forcément des solidarités socio-politiques, et surtout dénoncé un aphorisme arrogant qu’elle aurait proféré : « Les politiques passent, les chaînes restent  ». Il en a appelé à une « révolution citoyenne » dans les médias qui expulserait « les médiacrates  ». Mais n’est-ce pas mettre la charrue avant les bœufs ?

La qualité de l’information proportionnelle à la culture du récepteur
 
D’où vient qu’un David Pujadas et une Laurence Ferrari "restent", l’un sur France 2 et l’autre sur TF1 à la présentation des « 20 heures » des deux chaînes ? Suffirait-il de les remplacer par d’autres journalistes encore obscurs pour que la qualité de l’information offerte par ces chaînes et les autres médias officiels en soit aussitôt améliorée ? Il n’en est rien. Ces «  chaînes restent » malgré leur médiocrité, et avec elles leurs journalistes vedettes, parce qu’elles drainent de larges audiences qui les plébiscitent. La qualité de l’information dépend moins des émetteurs que des récepteurs qui l’accueillent en vertu d’une règle triviale : on ne raconte pas de bobards à qui sait les repérer. À qui, en revanche, ne les reconnaît pas, la tentation est grande de lui en servir.
 
Ainsi, par leur chasse à l’audience qui leur fait choisir les leurres propres à la drainer, les médias renvoient-ils moins à la médiocrité des journalistes qu’à celle de leurs récepteurs. Qui aurait idée de reprocher à un pêcheur d’avoir son panier rempli de poissons ? N’est-il pas dans son rôle de choisir lui aussi les leurres adaptés à l’espèce qu’il tente de capturer, la mouche ou le ver rouge pour la truite selon la saison, la cuiller pour le brochet ? Tant que les poissons ne sauront pas reconnaître les leurres utilisés pour les capturer, ils finiront dans le panier du pêcheur puis dans sa poêle à frire.
 
Un avertissement de Jean de La Fontaine
 
Jean de La Fontaine, très au fait de la relation d’information, pose bien le problème dans sa fable « Le petit poisson et le pêcheur  ». Mais, distrait par la morale explicitée, on n’y prend pas garde en général. Le Carpillon étourdi qui a mordu à l’hameçon et se retrouve dans la main de son prédateur, a beau user d’un leurre astucieux : il lui promet un gain futur plus grand que le gain présent, en le suppliant de le laisser vivre, le temps qu’il grossisse un peu, qu’il remplisse plus qu’ « une demi-bouchée  » et devienne carpe « pour faire un plat  ». On n’apprend pas au vieux singe à faire la grimace ni à un pêcheur à se laisser prendre aux leurres qu’il connaît si bien : s’il le rejette à l’eau, quelle chance a-t-il de l’attraper une seconde fois ? C’était avant de mordre au leurre que le Carpillon devait veiller à sa sécurité. Après, il est trop tard. La fable montre, en fait, les deux cas de figure selon que l’on reconnaît ou non les leurres : on ne s’y laisse pas prendre quand on les repère comme le pêcheur - « Un Tiens vaut mieux que deux Tu l’auras  » avertit la morale écrite. Si on les ignore et se laisse prendre comme le poisson, il n’y a pas de salut : on peut y laisser la vie, enseigne la leçon qui, si elle n’est pas écrite, n’en est pas moins implicite.
 
Une communion apparente de la Droite et de la Gauche dans la même erreur ou la même stratégie
 
Or, défenseurs de l’ordre établi et partisans d’un ordre alternatif, de Droite ou de Gauche ne se sont jamais souciés dans un programme scolaire d’apprendre aux citoyens à repérer les leurres et les illusions dont est constituée structurellement la trame de l’univers médiatique.
 
- Les uns se contentent de faire valoir une déontologie pour garantir la qualité de l’information diffusée. Seulement, peut-on être sûr qu’une déontologie soit toujours respectée ? Et que pèse-t-elle même face aux contraintes qui s’exercent sur l’information, comme celle des motivations de l’émetteur dictées par l’instinct de survie ? Une maxime prêtée à Churchill ne souffre pas de réplique : « En temps de guerre, la vérité est si précieuse qu’elle devrait toujours être protégée par un rempart de mensonges ». Or, en temps de paix, ne l’est-elle pas aussi puisque, fussent-ils de plus faible intensité, les conflits entre les individus et les groupes ne cessent pas ?
 
- Les autres, comme M. Mélenchon, en appelle à une « révolution citoyenne  » dans les médias et à un changement de personnel. Mais l’expérience historique n’a-t-elle pas montré que les sociétés alternatives « révolutionnaires » étaient celles où la qualité de l’information était encore plus médiocre et déplorable ? La construction d’une société nouvelle exigeait la censure. 
 
Défenseurs de l’ordre établi et partisans d’un ordre alternatif communient donc dans la même erreur ou la même stratégie : ils nient les contraintes qui s’exercent sur l’information et qui, comme la loi de la pesanteur, s’appliquent dans quelque société que ce soit. Quelle société peut prétendre que son organisation empêche les objets de tomber ou qu’elle les maintient en état d’apesanteur ? Les leurres et les illusions de l’univers médiatique ne sont pas le fruit de la malignité d’abord mais celui de la nécessité, que l’on soit de Droite ou de Gauche, croyant ou athée. Rien n’est perdu pour autant : la prise en compte de la loi de la pesanteur a permis aux avions de voler et aux fusées de s’arracher à l’attraction terrestre.
 
Un apprentissage scolaire de l’information et de ses leurres
 
S’il veut donc être crédible, M. Mélenchon qui a été ministre de la formation professionnelle, devrait proposer « une révolution » non pas dans les médias, mais dans l’École. Que l’apprentissage de l’information et de ses leurres fasse partie du socle commun d’enseignement ! On y apprendrait par exemple ce qu’on n’enseigne surtout pas aujourd’hui : 1- une information n’est pas « un fait  » mais seulement « la représentation d’un fait plus ou moins fidèle  » ; 2- « la loi d’influence » régit la relation d’information au nom d’un principe selon lequel « nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire » ; 3- « le discours informatif » - censé ne pas influencer, n’est qu’un leurre ; 4- « Le médium est le message », il faut donc s’en méfier ; 5- il convient de distinguer « l’information donnée  » peu fiable et « l’information extorquée  » plus fiable ; 6- chaque être humain, doté de « cœur » et de « raison », selon Pascal, est une cible à deux centres que des gammes de leurres visent à atteindre simultanément en déclenchant « les réflexes innés et socioculturels  » dont il est équipé, il importe donc de les connaître, etc. !
 
Alors seulement viendra peut-être le temps où TF1, France 2 et les autres devront renoncer d’abord à leurs leurres les plus grossiers, puis à de plus raffinés et, - qui sait ? - , un jour, s’adresser à l’intelligence de leurs téléspectateurs et non plus à leur « temps de cerveau disponible  » pour rencontrer une audience. Sans doute, alors les politiques passeront-ils toujours, mais les Laurence Ferrari et leurs chaînes, elles, ne resteront plus. Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, M. Mélenchon ! Paul Villach
 
(1) http://www.agoravox.tv/actualites/medias/article/melenchon-il-faut-une-revolution-28138

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